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S’attaquer aux consultants «sans scrupules» d’abord

C’est le «Far West» dans le domaine des consultants en immigration

S’attaquer aux consultants «sans scrupules» d’abord
photo adobe stock


OTTAWA | Le gouvernement fédéral promet de s’attaquer aux consultants illégaux en immigration qui contrôlent une partie de l’industrie du tourisme obstétrique après les avoir laissés prendre racine au pays.

Le Journal rapportait hier qu’environ une femme étrangère accouche chaque jour au Québec après avoir fait des milliers de kilomètres pour donner naissance ici dans un seul but : offrir la citoyenneté canadienne à son enfant.

Le Canada et les États-Unis font partie des rares pays riches où il est encore possible d’obtenir la citoyenneté ainsi. Ce phénomène des « bébés passeport » est en pleine explosion au pays.

Certains des consultants auxquels ces mères étrangères ont recours font partie intégrante du stratagème (surtout localisé à Vancouver) permettant à des femmes — principalement chinoises — de venir accoucher ici en se faisant passer pour de simples touristes.

« Tout nous porte à croire que des consultants en immigration sans scrupules incitent les demandeurs à mentir sur la raison de leur visite au Canada », soutient un porte-parole d’Immigration Canada, Peter Liang.

Maisons de naissance

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Hugues Langlais. Avocat Photo courtoisie

L’avocat montréalais Hugues Langlais soutient que ceux qui gèrent les maisons de naissance de Richmond, en Colombie-Britannique, pourraient être considérés comme des consultants illégaux en vertu de la loi.

Au Canada, seuls les avocats, les notaires et les consultants en immigration certifiés peuvent prodiguer des conseils en matière d’immigration, comme l’obtention de visas de voyage.

« Si des gens font de la promotion pour des naissances au Canada — comme les maisons de naissance de Richmond — et font des démarches pour solliciter ou renseigner des clients, ils pourraient s’exposer à des poursuites », croit-il.

Immigration Canada dit mener un examen afin de connaître la meilleure façon de serrer la vis aux consultants non autorisés. Or, jusqu’à présent, Ottawa a fait bien peu pour stopper leur progression.

Manque de ressources

C’est que l’agence fédérale responsable de mener ce genre d’enquête admet à mots couverts qu’elle n’a ni les ressources ni le temps de s’occuper de la lutte aux consultants œuvrant dans le domaine du tourisme obstétrique.

L’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC), responsable de faire respecter la loi sur l’immigration, se concentre avant tout à assurer la sécurité nationale, et elle s’attaque uniquement aux plus gros délits.

« L’ASFC engage des poursuites pour les cas les plus sérieux de fausses déclarations commises par des consultants en immigration sans scrupules », fait-on valoir.

L’ASFC et Immigration Canada ont d’ailleurs été incapables de fournir des données sur les enquêtes en cours concernant la lutte aux consultants frauduleux.

« Far West »

Parallèlement, Ottawa refuse pour l’instant d’accorder plus de pouvoir à l’ordre professionnel qui régit le travail des consultants en immigration.

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Dory Jade, directeur Photo Twitter

« Présentement, c’est le “Far West”, soutient le directeur de l’Association canadienne des conseillers professionnels en immigration (ACCPI), Dory Jade.

Ce dernier demande à Ottawa de donner plus de pouvoir au Conseil de réglementation des consultants en immigration canadienne.

Avec des pouvoirs accrus, ces organismes pourraient mener des enquêtes dans le but de démanteler les maisons de naissance qui pullulent à Vancouver.

Jusque dans les petites annonces

Les facilitateurs du tourisme obstétrique affichent leurs services un peu partout, des petites annonces jusqu’aux réseaux sociaux comme Instagram.

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Photos Captures écran

♦ Le Plus International Mother and Child club, situé à Vancouver, offre notamment dans son annonce des services « haut de gamme pour les mères d’outre-mer et leur bébé », précisant que les bébés sont canadiens.

♦ En plus du logement, de l’hébergement, du suivi médical, etc., le Canada Moon Centre B & B propose son aide pour le traitement des certificats de naissance, des passeports canadiens, des documents de voyage et des visas.

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Photos Captures écran

♦ Sur internet, le Canada Vancouver Ocean Baby Club écrit : « Bienvenue dans notre club pour la grossesse, la maternité, la formation postnatale, les visites tourististiques et le bonheur d’un bébé citoyen canadien ».

♦ Le Mansion Moon Center précise dans son annonce qu’une infirmière habite la villa qu’elle loue, et qu’on offre le transport depuis l’aéroport et vers les rendez-vous médicaux.

Une pratique choquante qui deviendra un problème

Un important facilitateur du tourisme obstétrique au pays juge la pratique choquante, même si elle est légale, et voudrait la voir cesser.

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Alex Davidson. Avocat torontois Photo Guillaume St-Pierre

« Je n’essaie pas de me justifier et de dire que c’est noble ce que je fais, affirme sans détour Alex Davidson en entrevue dans son bureau de Toronto.

« Mais la loi, c’est la loi, ajoute candidement l’avocat spécialisé en droit de l’immigration. Ça ne me concerne pas si ces familles souhaitent venir ici donner naissance pour avoir un passeport pour leur enfant. »

« injuste »

Me Davidson redoute les dérives d’un système qu’il juge « injuste » pour les candidats à l’immigration qui respectent le cours normal du processus. Les « bébés passeport » pourraient même « devenir un problème » pour le Canada, selon lui, s’ils choisissent de s’établir ici et de fréquenter les universités en grand nombre dans quelques années.

L’avocat torontois d’origine américaine et russe déplore que ces personnes aient accès aux systèmes d’éducation et de santé comme tous les autres Canadiens, simplement parce qu’ils sont nés ici.

Mais pour l’instant, la pratique est encore légale et Me Davidson a l’intention de continuer de profiter de ce lucratif marché en offrant ses services aux familles souhaitant entrer au pays en toute légalité avec un visa de voyage.

Il collabore aussi avec six médecins, qui touchent chacun une rémunération pour l’accouchement et le soutien prénatal et postnatal.

« Cadeau pour la vie »

Il y a quelques semaines à peine, il a publié une vidéo sur sa très populaire chaîne YouTube, dans laquelle il invite les familles qui envisagent de s’exiler pour accoucher d’agir avant qu’il ne soit trop tard.

Dans cet extrait, Me Davidson soutient que le Canada pourrait bientôt abolir le droit du sol, car « plusieurs pensent qu’il est injuste de conserver le système actuel », prévient-il.

Comme le président Donald Trump a promis de mettre fin au tourisme obstétrique aux États-Unis, le Canada pourrait bien emboîter le pas, précise-t-il. Mais pour l’instant, aucun parti politique fédéral ne compte aller aussi loin pour contrer le phénomène.

L’avocat qualifie au passage de « cadeau pour la vie » le passeport canadien, qui offre par ailleurs « de nombreux avantages ».

« Il vous reste un an pour vous décider, si vous considérez venir ici pour donner naissance. Il est encore temps d’en profiter », explique-t-il.

Me Davidson s’est fait connaître dans le monde entier grâce à sa chaîne YouTube, dans laquelle il offre des conseils pour immigrer au Canada. Il soutient toutefois que le tourisme obstétrique ne représente qu’une petite fraction de sa clientèle.

Le Canada devrait-il abolir ou pas le droit du sol ?

Le Parti conservateur n’envisage plus d’abolir la citoyenneté à la naissance pour s’attaquer au phénomène des « bébés passeport » comme le souhaite une majorité de ses militants.

« Il y a clairement de l’abus, mais je ne crois pas que ce soit un problème envahissant à l’échelle nationale », croit la députée conservatrice responsable du dossier de l’immigration, Michelle Rempel.

Disant ne pas vouloir « minimiser » le phénomène, Mme Rempel soutient que des analyses plus sérieuses sont nécessaires pour connaître l’ampleur et les causes du problème.

Manchettes

Le tourisme obstétrique au Canada a fait les manchettes au cours des derniers mois après que les militants conservateurs aient voté en faveur, dans une certaine controverse, d’une motion non contraignante visant à abolir le droit du sol.

Un ex-haut fonctionnaire chez Immigration Canada croit que cette solution serait la plus efficace pour mettre fin au tourisme obstétrique. Or, il juge cette mesure trop radicale pour s’attaquer à un problème somme toute secondaire.

Un avis que partagent Mme Rempel, de nombreux experts ainsi que le gouvernement Trudeau.

Les troupes conservatrices ont d’ailleurs déjà tenté d’abolir la citoyenneté à la naissance au Canada. La démarche a été abandonnée puisque la mesure s’avérait trop complexe et coûteuse (entre 20 et 30 millions $).

Il n’en demeure pas moins que d’autres pays, dont la Grande-Bretagne, ont abandonné cette pratique, exigeant qu’un des deux parents réside dans le pays.

Le président Donald Trump a lui aussi promis de resserrer les règles. Mais ce droit est protégé par la constitution américaine, ce qui le rend presque impossible à abolir.

Qu’est-ce que le droit du sol ?

Au Canada, le droit du sol est protégé par une loi datant de 1947. Avant, les Canadiens étaient considérés comme des sujets britanniques.

Le droit du sol a été adopté dans la foulée de la Deuxième Guerre mondiale, durant laquelle beaucoup de Canadiens ont quitté le pays pour aller travailler aux États-Unis.

Le gouvernement canadien voulait donc s’assurer que les personnes qui revenaient au pays après la guerre soient considérées comme Canadiennes, puisque nées sur le territoire, explique l’avocat Hugues Langlais.

 
 

 



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