Cancer incurable après une «erreur»
L’homme poursuit un hôpital pour 1 M$ après que trois médecins auraient omis de transmettre les résultats
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Un homme atteint d’un cancer généralisé aurait pu être sauvé il y a quatre ans, si seulement ses médecins n’avaient pas négligé de lui transmettre les résultats de biopsies de la prostate. Il poursuit l’Hôpital de Verdun et trois médecins.
« Quand j’ai appris ça, je suis allé dans un stationnement de McDo et j’en ai braillé un coup. J’ai crié de toutes mes forces. J’en voulais à tout le monde », raconte Régis Thibert, résident de Saint-Hubert.
Âgé de 57 ans, il est devenu grand-père pour la première fois cet hiver. Ce soudeur de métier espérait travailler jusqu’à au moins 65 ans et vivre jusqu’à 103 ans, lance-t-il avec aplomb.
Maintenant atteint d’un cancer généralisé, M. Thibert ne sait plus combien de temps il lui reste, une situation qui aurait pu être évitée par une meilleure communication entre les médecins, assure-t-il.
Le quinquagénaire et sa famille ont décidé de poursuivre l’Hôpital de Verdun et trois médecins impliqués dans son dossier pour un total de 1,16 million $.
C’est qu’au début de l’année 2015, Régis Thibert s’est fait prescrire un examen de la prostate. L’urologue Carlos Marois l’aurait référé à la radiologue Nathalie Séguin afin qu’il se soumette à des biopsies prostatiques.
Confusion
M. Thibert n’aurait jamais entendu parler des résultats, a-t-il raconté au Journal. En 2016, il aurait questionné son omnipraticienne, Dre Raymonde Dupras, à ce sujet.
Cette dernière aurait alors supposé que le Dr Marois s’était dit : « pas de nouvelle, bonne nouvelle ».
L’été dernier, M. Thibert est retourné consulter sa médecin en raison de douleurs à la hanche droite. Après maints examens, le verdict est tombé en septembre : cancer « incurable » et « généralisé » qui ne lui laisse que « quelques mois à vivre », peut-on lire dans la requête déposée vendredi à Montréal.
Or, les tests effectués en 2015 révélaient déjà qu’il souffrait d’un cancer de la prostate, précise-t-on dans les documents judiciaires.
Les oncologues qui traitent dorénavant M. Thibert auraient eu accès à son dossier cet automne. S’il avait été pris en charge il y a quatre ans, il aurait pu être « opéré et soigné », prétend la poursuite.
« Et je ne serais pas ici en ce moment [en train de parler de cancer incurable] », assure M. Thibert.
Ce « délai de communication » serait dû à une « erreur par rapport [à son nom] », indique la requête.
« Niaiserie »
Ainsi, les résultats des biopsies ne se seraient jamais rendus au deuxième médecin traitant. À cela vient s’ajouter le fait que les médecins ont tous failli à effectuer un suivi adéquat, allègue-t-on.
« Le professionnalisme là-dedans, il est où ? », s’indigne M. Thibert.
« C’est une niaiserie qui a mené à une catastrophe », abonde sa conjointe, Helen Middleton.
Ses médecins actuels seraient toujours restés vagues sur son espérance de vie, mais on lui aurait dit que la chimiothérapie pourrait la prolonger de huit mois.
Cette incertitude vient complexifier les procédures judiciaires, car la durée moyenne d’un procès est de trois ans, explique l’avocat au dossier, Me Jimmy Lambert. Des témoignages et contre-interrogatoires seront donc enregistrés à l’avance par vidéo, au cas où la maladie soit plus rapide que la justice.
Têtu
Mais ces sombres pronostics, Régis Thibert a l’intention de les défier et de vivre encore 10 ans.
« Je suis têtu, avoue-t-il avec un sourire en coin. Je vais me battre jusqu’à la dernière minute. »
Il souffre de douleurs grandissantes, notamment au bras.
« J’ai des hauts et des bas. Il y a des jours où j’ai tellement mal que je ne veux parler à personne ».
Dès que sa chimiothérapie sera terminée et qu’il aura le feu vert de son médecin pour voyager, il ira à Edmonton rencontrer pour la première fois son petit-fils.
« Je m’accroche à ça », déclare-t-il.
Il n’a pas été possible d’obtenir des commentaires des personnes poursuivies ou de l’hôpital.
Des patients qui tombent dans les craques
Le fait de ne pas informer les patients des résultats de leurs tests médicaux lorsqu’ils ne présentent rien d’anormal est une pratique « généralisée » au Québec et un important travers du système, selon plusieurs experts.
S’il y a un conseil que Régis Thibert a à donner aux malades, ce serait de ne plus tenir pour acquis que le silence des médecins est synonyme de « bonne nouvelle ».
« Demandez à avoir une réponse », insiste-t-il.
Selon le ministère de la Santé, tous les résultats d’analyses de laboratoire doivent être transmis au professionnel qui a prescrit les examens, « quel que soit le résultat », indique Émilie Lavoie, des relations médias. Il leur revient ensuite de les communiquer ou non au patient.
« Vous nous dérangez »
Or, les médecins ne les informent généralement pas lorsqu’il n’y a rien à déclarer, remarquent plusieurs observateurs du système de santé.
Pourquoi ? Par économie de temps, suppose Paul Brunet, du Conseil pour la protection des malades.
« C’est le réflexe d’un milieu en crise et débordé. Le message envoyé aux gens, c’est : “Vous nous dérangez, ne nous appelez pas.” », ironise-t-il.
Des patients tombent donc entre les craques, dit celui qui accompagne des gens dans cette situation. « Il m’arrive d’appeler un médecin et de lui dire : “Pouvez-vous rappeler votre patiente ? Ça fait deux mois qu’elle attend ses résultats pour le cancer du sein” », dit-il.
Reste que, quand le diagnostic est grave, le Code de déontologie des médecins oblige ceux-ci à en informer le patient « immédiatement », rappelle l’avocat Me Jimmy Lambert.
Une plainte a donc été déposée au Collège des médecins par Me Lambert contre les docteurs impliqués dans l’histoire de Régis Thibert.
Le Collège dit toutefois ne pas pouvoir confirmer cette information pour des raisons de confidentialité.
Au dernier rang
Le partage d’information entre les professionnels est un des pires défauts du système de santé québécois, croit André-Pierre Contandriopoulos, professeur à l’École de santé publique de l’Université de Montréal.
Un rapport de 2016 du Commissaire à la Santé et au Bien-être révélait en effet que le Québec arrivait au dernier rang pour la continuité et la coordination du suivi comparativement aux autres provinces canadiennes et à 10 autres pays occidentaux.
« Il va falloir que quelque chose se passe », ajoute le professeur, qui croit que la nouvelle ministre caquiste devrait se pencher sur la question.
L’approche « pas de nouvelle, bonne nouvelle » fonctionne presque tout le temps, nuance toutefois Marc Rochefort, du Regroupement provincial des comités des usagers.
Confusion
Il craint que la transmission automatique de tous les résultats vienne ajouter des coûts pour le système et alourdir le suivi. Par exemple, des patients se retrouvent parfois dans le bureau d’un docteur qui va simplement ouvrir le dossier et dire : « tout est beau ».
Mais quand il y a négligence, cela peut avoir des conséquences mortelles, rappelle Paul Brunet. « Quelle honte ! », s’exclame-t-il à propos de l’histoire de Régis Thibert.
Le cabinet de la ministre Danielle McCann nous a dirigés vers le ministère de la Santé, où l’on n’a pas répondu à nos questions.