La bedaine: l’ennemie d’un cerveau en santé?
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Depuis que j’ai accepté, il y a quelques mois, la direction du Centre de recherche sur les soins et les services de première ligne-Université Laval du CIUSSS de la Capitale-Nationale, j’ai l’immense plaisir de travailler avec le Dr Yves De Koninck, qui est le grand patron de la recherche au sein de ce centre hospitalier universitaire. Au-delà du fait qu’il est un gestionnaire de la recherche visionnaire et charismatique, Yves est un spécialiste mondialement reconnu en neurosciences et en santé du cerveau. Il dirige également un des quatre centres de recherche du CIUSSS de la Capitale-Nationale, dont le nom est évocateur : CERVO.
Bien évidemment, une telle expertise permettra à nos équipes de recherche respectives de collaborer.
Vous connaissez mon intérêt pour l’étude des liens entre le mode de vie — principalement la sédentarité —, l’activité physique et les maladies chroniques comme l’obésité viscérale (graisse logée dans la cavité abdominale), le diabète de type 2 et les maladies cardiovasculaires.
Comme je vous l’expliquais dans une chronique antérieure, un grand nombre de travaux de recherche émergents montrent également un lien entre le mode de vie et la santé du cerveau, laissant ainsi présager des perspectives fort intéressantes pour le maintien d’un cerveau en santé et la prévention du déclin cognitif, de la maladie d’Alzheimer et de la démence.
Taille et composition du cerveau
En effet, avec l’arrivée des techniques d’imagerie comme la résonance magnétique, les chercheurs sont maintenant en mesure d’évaluer de façon précise la taille et, dans une certaine mesure, la composition du cerveau chez des personnes de tout âge.
Une analyse récente réalisée par le Dr Mark Hamer dans la fameuse étude UK Biobank et impliquant des milliers de citoyens volontaires a examiné les liens entre l’obésité — particulièrement l’obésité abdominale —, la proportion de matière grise du cerveau (mesurée par imagerie) et la performance à des tests de la fonction cognitive.
Les résultats de cette recherche sont saisissants : chez les individus avec de l’obésité, les chercheurs ont observé une association étroite entre la proportion de graisse abdominale (la bedaine) et la proportion de matière grise dans le cerveau.
Ainsi, l’obésité abdominale (tour de taille élevé) était associée à un plus petit volume de la matière grise dans le cerveau accompagnée d’une moins bonne performance à des tests de fonction cognitive, comparativement à des individus avec de l’obésité, mais sans tour de taille élevé.
Amalgame de facteurs de risque
Comment expliquer cela ? Puisque l’obésité abdominale est une conséquence de la combinaison des effets de la sédentarité et d’une alimentation de mauvaise qualité, cette forme d’obésité est accompagnée d’un amalgame de facteurs de risque (par exemple : tension artérielle augmentée, désordres dans le transport du cholestérol et des lipides sanguins, glycémie augmentée et résistance à l’insuline, inflammation) qui contribueront non seulement à augmenter le risque de maladies du cœur et de diabète de type 2, mais également à endommager et à fragiliser les artères qui nourrissent le cerveau.
Progressivement exposées à ces facteurs de risque, certaines régions du cerveau vont s’endommager et, subtilement, sans qu’on s’en rende compte, diminuer sa performance.
Pouvons-nous combattre ce déclin ? Les nouvelles sont encourageantes et ne vont pas vous surprendre. Dans une autre étude, cette fois-ci réalisée à l’Université de Singapour, des chercheurs ont effectué le même type de mesures (composition en matière grise du cerveau et performance à des tests de la fonction cognitive chez des personnes âgées avec ou sans obésité abdominale).
Les résultats sont stupéfiants. En effet, les chercheurs n’ont observé aucune évidence de changement dans la composition des cerveaux des personnes âgées sans obésité abdominale, alors que le déclin attendu était retrouvé chez les personnes âgées avec obésité abdominale.
La bedaine est dangereuse
Que retenir de tout cela ? La bedaine est dangereuse non seulement pour le diabète et la santé du cœur, mais également pour la santé du cerveau.
Peut-on la faire fondre ? Bien sûr ! Un recalibrage de nos habitudes alimentaires visant l’amélioration de notre qualité nutritionnelle globale, l’activité physique et l’exercice sont la meilleure façon de faire fondre la graisse abdominale, science à l’appui !
Ainsi, pour avoir une belle vieillesse et garder toute sa tête, nous avons intérêt à investir dans notre REER-cerveau. Pour les non-sportifs, une bonne marche quotidienne apportera des bénéfices.
Est-ce que l’activité physique peut améliorer des cerveaux déjà détériorés chez les personnes âgées ? Pour le moment, cette question demeure entière.
Avec plus d’un demi-million de personnes qui souffrent de démence au Canada, nous avons la responsabilité de soutenir la recherche dans ce secteur.
Avec toute l’expertise du Dr De Koninck et de ses collègues au CERVO, Québec est capable de grandes choses dans ce domaine !
* Jean-Pierre Després est professeur au Département de kinésiologie de la Faculté de médecine de l’Université Laval. Il est également directeur scientifique du Centre de recherche sur les soins et les services de première ligne de l’Université Laval, CIUSSS-Capitale-Nationale, et directeur de la science et de l’innovation de l’Alliance santé Québec.