Les têtes grises ne veulent pas partir
Le quart des docteurs du Québec ont plus de 60 ans
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Alors que beaucoup de travailleurs rêvent de prendre leur retraite le plus tôt possible, des milliers de médecins continuent de pratiquer après 60, voire 70 ans. Une contribution précieuse en cette période de pénurie, mais qui causera un enjeu majeur dans l’avenir.
«Je n’y pense pas [à la retraite]. Tout le monde me culpabilise, mais je profite de la vie! jure le Dr Alban Perrier, 77 ans. J’en vois des retraités, ils ne sont pas plus heureux que quand ils travaillaient. Au contraire.»
L’adage qui dit que la médecine est une vocation est bien vrai si l’on se fie aux données du Collège des médecins du Québec (CMQ). Le quart (26%) des docteurs ont plus de 60 ans, et 7% ont plus de 70 ans.
D’ailleurs, ils sont surveillés par le CMQ pour éviter des risques potentiels.
Fait préoccupant, le vieillissement s’accélère du côté des médecins de famille, alors que le pourcentage des professionnels de plus de 60 ans est passé de 19% à 26% depuis 2010. Une réalité qui inquiète le syndicat en cette période de pénurie de médecins, puisque ceux-ci suivent un grand nombre de patients.
Un défi pour l’avenir
«C’est un enjeu majeur qui va devenir plus important dans les prochaines années, croit le Dr Louis Godin, président de la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec. Ils ne vont pas tous partir d’un coup, mais inévitablement ils vont prendre leur retraite un jour.»
Dans le contexte où 540 000 Québécois attendent sur une liste pour avoir un médecin de famille, la contribution de tous les médecins est précieuse.
«Heureusement, on a encore des médecins de cet âge-là qui continuent à travailler, sinon on aurait des dizaines de milliers de patients orphelins [de plus]», dit Louis Godin.
Alors que les Québécois prennent leur retraite en moyenne à 63 ans, les médecins se retirent bien plus vieux (69 ans chez les omnipraticiens et 71 ans chez les spécialistes), selon les données partielles du CMQ.
La passion avant tout
Études plus longues, espérance de vie qui s’allonge, manque de relève: plusieurs facteurs expliquent cette tendance.
Quant aux raisons qui les poussent à travailler après 70 ans, les médecins âgés rencontrés par Le Journal ont souligné leur passion pour la médecine et leur attachement envers leurs patients. Parmi eux, un chirurgien de 72 ans s’est tourné vers la recherche parce qu’il ne pouvait plus opérer. Et un médecin de famille fait du télétravail et roule quatre heures pour aller voir des patients.
Je vais faire quoi après?
Dans certains cas, ils ont franchi le cap des 50 ans de carrière. Pour la Dre Raymonde Chartrand, 79 ans, l’idée de prendre une retraite pour faire autre chose n’est même pas envisageable.
«Je sais faire de la médecine. C’est ça que j’ai appris, c’est dans ça que je suis la meilleure. Qu’est-ce que je vais aller faire chez nous? Je ne me mettrai pas à faire des rideaux», rigole la nucléiste du Centre hospitalier de l’Université de Montréal.
Médecins âgés au Québec
Médecins de famille
- Plus de 60 ans: 2628 (26%)
- Plus de 70 ans: 560 (6%)
Spécialistes
- Plus de 60 ans: 2742 (25%)
- Plus de 70 ans: 884 (8%)
Source: Collège des médecins, 2019
SURVEILLÉS POUR ASSURER LA QUALITÉ DES SOINS
Des médecins âgés se sentent insultés de devoir remplir un questionnaire pour vérifier qu’ils ne posent pas de «risques potentiels» pour les patients.
«Ils aimeraient bien [au Collège des médecins] que je prenne ma retraite. Je suis le premier à me plaindre!», confie le Dr Alban Perrier, un médecin de famille de Laval de 77 ans.
«Je leur ai dit : “Vous seriez venu quand j’avais 50 ans, vous auriez trouvé les mêmes erreurs!”» dénonce-t-il.
Depuis 2012, tous les médecins qui atteignent l’âge de 70 ans doivent obligatoirement remplir un questionnaire du CMQ. L’objectif est d’identifier les «risques potentiels» de la pratique médicale, écrit la direction des communications par courriel.
Si le risque est jugé élevé, une visite d’inspection, une entrevue ou des tests psychométriques sont organisés. Advenant un résultat insatisfaisant, le médecin peut être contraint d’avoir un tutorat ou un stage, et peut même avoir une limitation d’exercice.
Insultée
Le même exercice est refait quand le médecin atteint 75 ans. Un suivi est ensuite fait tous les deux ans.
«La première fois, j’ai été insultée quand j’ai reçu la lettre, avoue la Dre Raymonde Chartrand, nucléiste au Centre hospitalier de l’Université de Montréal. Je travaille dans un milieu universitaire. Si je n’étais pas compétente, ça fait longtemps que je l’aurais su.»
De son côté, le syndicat des omnipraticiens assure que les médecins âgés sont qualifiés pour offrir un service de qualité. D’ailleurs, tous les médecins suivent des formations chaque année.
Tous sont affectés
Bien qu’on respecte l’objectif du Collège, l’exercice est souvent mal accueilli.
«C’est sûr qu’ils sont inconfortables, dit le Dr Louis Godin, président de la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec. Ils ont l’impression qu’on vient chercher le petit détail pour les juger, et ça les perturbe. Je ne connais pas un médecin qui n’est pas affecté quand on vérifie la qualité de sa pratique.»
Il prend de nouveaux patients à 77 ans
En pratique depuis 51 ans, un omnipraticien de 77 ans passionné par ses patients ne songe pas du tout à cesser de travailler. Il n’a même aucun plan de retraite en tête.
«Mes patients n’arrêtent pas de me demander quand je vais prendre ma retraite. Ma réponse, c’est que je n’aime pas les centres d’achat», ironise le Dr Alban Perrier.
Rencontré dans son bureau de la Polyclinique médicale Concorde de Laval, qu’il a fondée avec des collègues en 1973, l’omnipraticien jure n’avoir aucun plan de retraite.
Malgré son âge avancé, le Dr Perrier travaille en moyenne 50 heures par semaine. Pour la première fois cette année, il prendra 12 semaines de vacances, plutôt que cinq ou six comme par le passé. Depuis trois ans, il a aussi cessé ses tâches hospitalières.
Il a 2800 patients
Mais même après 51 ans de pratique, la passion de ce médecin envers ses 2800 patients est palpable. Plusieurs le consultent depuis leur naissance. Lors de l’entrevue, il a même offert à notre photographe de la prendre en charge. Une offre gentiment déclinée.
«C’est ça mon problème, je ne sais pas dire non! avoue celui qui prend encore de nouveaux patients. Mais je leur dis: “Je ne suis pas éternel.”»
Originaire d’Hemmingford, il était convaincu qu’il ne parviendrait pas à une carrière en médecine en raison de ses notes insuffisantes lorsqu’il était jeune.
«J’étudiais jusqu’à deux heures la nuit, et je me levais à six heures pour étudier. Ce n’était pas facile, mais j’aimais ça», se rappelle-t-il.
D’ailleurs, si les médecins répètent l’importance du sommeil pour être en santé, le Dr Perrier dort quatre heures par nuit.
«Et je suis en santé!» assure-t-il.
Lorsqu’il a ouvert une première clinique à Laval, en 1968, le système de santé était encore privé. La visite médicale coûtait 5$, et 7$ à domicile.
«C’était cher. Des fois, je ne chargeais pas, avoue-t-il. Je n’ai jamais fait de la médecine pour faire de l’argent.»
À cette époque, les omnipraticiens étaient souvent de garde 24 heures sur 24. En 1979, il a toutefois cessé l’obstétrique, à la demande de sa femme.
«Je n’étais plus à la maison. Ma femme me disait que ça n’avait plus de bon sens, souligne-t-il. Mais, j’aimais faire des accouchements de nuit. Je n’étais pas obligé de repousser mes cliniques de jour.»
Réveillés la nuit
Pour compenser ses absences auprès de ses enfants, le Dr Perrier avoue qu’il les réveillait la nuit.
«Je trouvais une façon de les voir. Ils ne me reprochent rien», dit-il.
Encore aujourd’hui, l’homme prend ses notes manuscrites lors des consultations, ce qui lui permet de «voir le patient dans les yeux».
Fait rare de nos jours, il appelle ses patients qui attendent un résultat de test, même si tout est normal. Une pratique qui lui prend deux heures chaque soir.
Plus le choix
«Quand je l’appelle [la patiente], ça me prend une minute, à condition qu’elle ne me parle pas! Et elle sait qu’elle ne doit pas me parler!» dit-il en riant.
Nostalgique, Alban Perrier s’ennuie de l’époque où les malades choisissaient leur médecin.
«Le patient venait te voir parce qu’il t’aimait, se rappelle-t-il. Avant, il fallait se battre. Maintenant, c’est gratuit la clientèle.»
Et bien qu’il devrait un jour accrocher son stéthoscope pour de bon, Alban Perrier continue à travailler comme s’il n’y avait pas de fin.
«Je ne sais pas faire autre chose que la médecine. Et j’aime ça! [...] Mes patients, je les aime, même s’ils sont difficiles des fois», ajoute-t-il, l’air coquin.
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