Les finissants de Pierre-Dupuy: la moitié ont changé leurs plans
Ils ont choisi un nouveau programme ou visent une carrière différente de celle rêvée au secondaire
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Depuis deux ans, Le Journal observe le parcours d’une dizaine de diplômés d’une école secondaire qui a déjà été l’une des plus mal aimées de Montréal. Nous les suivons jusqu’en 2022.
La moitié des diplômés que Le Journal suit pendant cinq ans ont causé la surprise cette année en décidant de changer de programme au cégep ou encore de choix de carrière à long terme.
« J’étais vraiment perdue. Je n’avais plus de but », raconte Bianca Goudreault-Beaupré qui s’est trouvée devant un vide de plan de carrière pendant sa deuxième année de cégep.
Or, quand on est moins motivé, le stress est encore plus dur à gérer, explique celle qui a réalisé que sa technique en physiothérapie ne la passionnait plus autant que prévu.
« Je pleurais avant chaque examen. Je n’avais pas envie d’être là. Je regardais la porte et j’avais envie de sortir. »
Le Journal a publié en 2017 le portrait de 12 finissants de l’école secondaire Pierre-Dupuy dans le but de les suivre pendant cinq ans. Cet établissement situé dans le quartier Centre-Sud, l’un des plus défavorisés de la métropole, peinait à attirer de nouveaux élèves en raison d’une réputation qui lui collait à la peau.
Dentiste plus que docteur
Cette année, pas moins de six élèves suivis ont changé de plan d’avenir.
Aram Mansouri, qui rêvait de devenir médecin, a réalisé que la médecine dentaire l’intéressait davantage à cause de son aspect concret.
« On travaille plus avec nos mains, à construire des choses. Ils construisent le sourire des gens. »
De son côté, Thierry Trudel Valcour a constaté après une année en technique de foresterie à Rimouski qu’il aimait trop la compagnie d’autrui pour passer sa vie seul dans le bois.
« C’est un beau métier, mais finalement ce n’est pas fait pour moi », résume celui qui s’est plutôt inscrit en technique de gestion de commerce.
Selon la Fédération des cégeps, près d’un étudiant sur trois (29 %) change de programme lors de son passage au cégep.
« Mes profs m’ont dit que je suis juste normale », rapporte Bianca Goudreault-Beaupré. Alors que ceux qui suivent leur plan A jusqu’à la fin sans jamais douter, ce sont eux qui sont un peu anormaux, relate-t-elle.
« Tout sauf infirmière »
Reste que la transition peut être anxiogène.
« Je ne savais pas si mes parents allaient accepter [ce changement]. Je me réveillais souvent à 3 h du matin », raconte Marion Caucanas, qui en était aussi à sa seconde année en physiothérapie.
Elle a réalisé qu’elle préférerait peut-être devenir infirmière... tandis que sa mère, qui a déjà pratiqué ce métier exigeant, lui a souvent répété : « Tout sauf infirmière. »
Finalement, lors de la grande annonce, sa mère lui a dit : « Je m’en doutais. »
Malgré toutes ces remises en question, trois étudiants ont déjà terminé leur programme préuniversitaire.
C’est le cas de Jasmine Trudel Valcour qui a en poche son diplôme d’arts et lettres, profil média. Elle sera tout de même de retour au cégep l’an prochain pour commencer une technique juridique.
« Je suis encore en exploration [...] Ce n’est pas grave si tu n’as pas une carrière [bien définie] à 24 ans », conclut-elle.
Des jeunes qui se sentent plus matures qu’avant
Premier boulot, premier appartement, meilleure gestion des émotions. Plusieurs jeunes que suit Le Journal disent se sentir plus matures.
« Je suis devenue une adulte cette année. » Et pas juste parce qu’elle a eu 18 ans, dit Eugénie-Laurence Fafard-Drareni.
Elle fait maintenant ses impôts toute seule, est partie en appartement, a une carte de fidélité d’une épicerie, énumère-t-elle.
Et surtout, elle peut boire des mimosas quand elle va bruncher, dit-elle en riant.
« J’embrasse l’âge adulte », dit celle qui a l’impression d’être davantage prise au sérieux.
Comme plusieurs, elle a pu voter pour la première fois. Elle est aussi devenue bénévole pour Québec solidaire et a fait un discours aux Nations unies à New York lors d’une simulation de négociation où elle se mesurait à des étudiants de prestigieuses universités comme Harvard.
« Je n’avais jamais été valorisée comme ça de ma vie. »
Travailler sur soi
Pour Jasmine Trudel Valcour, cette maturité se manifeste par une plus grande introspection, notamment lorsqu’elle fait de longues marches solitaires.
« J’ai travaillé sur moi-même pour avoir le meilleur de moi-même », dit celle qui a longtemps été connue pour être très directe... et pas toujours de bonne humeur.
Elle croit avoir trouvé le bon équilibre entre le tact et sa capacité à confronter les gens, lorsque nécessaire.
« Avant, j’étais plus excité, plus impulsif, témoigne aussi Rafiul Haque.
« Au secondaire, je voulais être monsieur populaire [...] J’ai réalisé que c’est mieux d’avoir deux ou trois amis qui veulent ton bien que d’avoir 1000 personnes qui se foutent de toi. »
Plus économes
Pour d’autres, travailler à temps partiel leur donne une nouvelle indépendance. Plus besoin de demander de l’argent aux parents pour chaque sortie, explique Marion Caucanas.
« Mon rapport à l’argent a changé », dit-elle. « Je pense que j’ai passé six mois sans magasiner. »
« La moitié de ma paie, je la mets de côté pour l’université », abonde Bianca Goudreault-Beaupré.
Pour lire le reportage de l'année 2018, cliquez ici.
À l’université l’an prochain
Eugénie-Laurence Fafard-Drareni
- 18 ans
- Entre en droit, probablement à l’Université Laval
Après deux années à voyager et à se passionner pour les relations internationales, Eugénie-Laurence Fafard-Drareni va finalement opter pour ce qu’elle croyait être son 2e choix à l’université: le droit.
«C’est ce que j’ai toujours voulu faire depuis que j’ai 9 ans», avoue-t-elle.
«Et pour changer le système, il faut être dans le système.»
«Je peux être première ministre du Québec... non! Présidente du Québec», corrige-t-elle en riant.
Aram Mansouri
- 19 ans
- Entre en biochimie à l’université McGill
Aram Mansouri n’a pas été accepté à l’université en médecine dentaire, mais ce n’est pas à cause de ses résultats académiques, explique-t-il.
Celui qui était devenu une machine à étudier a fini son cégep avec une cote R enviable de 34. Il soupçonne donc qu’il a échoué au test CASPer, qui vise à évaluer les qualités humaines des candidats en les plaçant devant des dilemmes éthiques.
«Les autres ont probablement répondu la première chose qui leur passait par la tête, alors que moi j’essayais d’écrire ce qui est correct» au lieu «d’assumer une position claire», suppose-t-il.
«C’est peut-être que j’ai beaucoup à apprendre dans la vie en général.»
Il ira donc en biochimie en attendant de pouvoir se réessayer. «Je ne vois pas ça comme du temps perdu. C’est une expérience de plus [...] Tout arrive pour une raison», déclare-t-il.
Elles disent oui à l’université
Bianca Goudreault-Beaupré
- 19 ans
- Abandonne sa technique mais terminera le cégep pour aller à l’université, probablement en kinésiologie
Marion Caucanas
- 19 ans
- Poursuit sa technique, mais dans le but d’aller à l’université, probablement en sciences infirmières
Marion Caucanas et Bianca Goudreault-Beaupré ont entendu cette année l’appel de l’université, alors que l’an passé, elles doutaient de leur capacité à y entrer. Elles se disaient notamment que ces études coûteraient trop cher.
«Mais j’aime étudier. Je n’aurais pas dû laisser l’argent m’arrêter», dit Bianca. «Ça fait deux semaines que j’ai fini l’école, et je trouve ça long», avoue-t-elle.
«Si je pouvais être payée juste pour aller à l’école, je le ferais», abonde Marion Caucanas en riant.
Stages et boulots à émotions fortes
Mylie-Anne Laurin Quezada
- 19 ans
- Poursuit sa technique en éducation spécialisée
«Je ne savais pas que le risque était si grand», dit Mylie-Anne Laurin Quezada à propos du voyage de coopération internationale qu’elle a fait au Nicaragua l’été passé.
Quoique fort enrichissant, ce séjour l’a plongée dans un pays au bord de la guerre civile. En route vers leur village, son autobus a été intercepté par des hommes masqués.
Une nuit, elle s’est réveillée parce que des soldats du régime criaient dans des porte-voix pour recruter, suppose-t-elle.
Par ailleurs, elle a commencé à travailler à Montréal dans une unité d’hébergement pour enfants polyhandicapés et parfois mourants.
Un jour, elle a remarqué que la porte de chambre d’un jeune qu’elle accompagnait était fermée. Sa photo n’était plus là.
«La première fois [qu'un jeune décède], c’est un choc», avoue-t-elle.
Mais une chose est sûre, elle se sent à sa place en éducation spécialisée. D’ailleurs, toutes ses activités, scolaires ou non, reviennent à aider autrui.
«C’est juste ça qui m’intéresse. Ça ne m’intéresse pas d’être caissière», ironise-t-elle.
Priorité à son nouveau chien
Zayane Valcour
- 19 ans
- Poursuit en sciences humaines dans le but de devenir enseignante
Zayane Valcour a dû faire le deuil du berger allemand de sa famille cette année.
«Je me suis rendu compte à quel point je l’aimais. C’est la plus grosse perte que j’ai eue de ma vie [...] Je ne peux pas vivre sans chien», a-t-elle réalisé.
Elle a donc décidé de s’acheter un chiot et d’en être la maîtresse, quitte à alléger son horaire au cégep pour s’en occuper. Elle a donc organisé son horaire autour de Pax, un Berger des Shetland qui a maintenant 7 mois.
«Quand je suis à l’école, je pense juste à mon chien [...] C’est vraiment mon bébé», dit-elle en riant.
Indécis sur son avenir
Jimmy Lam
- 19 ans
- Poursuit sa technique en soins infirmiers, mais changera peut-être pour radio-oncologie
Jimmy Lam hésite actuellement dans son choix de carrière : serait-il mieux de devenir infirmier ou technicien en radio-oncologie?, se demande-t-il ces temps-ci.
C’est pourquoi il s’est inscrit dans les deux programmes pour l’automne prochain, se laissant l’été pour réfléchir.
«Il y a des gens qui travaillent 10 ans sans avoir aimé leur job. Ils ne sont pas motivés et font le minimum.» C’est justement ce qu’il ne veut pas.
Il veut être millionnaire
Rafiul Haque
- 19 ans
- Poursuit en sciences de la nature dans le but de devenir ingénieur mécanique
«Les gens disent que l’argent n’achète pas le bonheur. Mais je veux savoir si c’est vrai», dit Rafiul Haque, qui s’est découvert une nouvelle passion pour le marché des échanges de devises cette année.
Pour l’instant, il se contente de se pratiquer sur un simulateur avant d’investir de vrais dollars.
«Mon ambition, c’est plus que le million. Je veux être connu pour ça. Je veux faire tourner les têtes», rêve-t-il.
Il a adopté Rimouski
Thierry Trudel Valcour
- 20 ans
- Commencera une technique de gestion de commerce
Même s’il change de programme à l’automne, Thierry Trudel Valcour restera à Rimouski, où il se sent comme chez lui.
«C’est à la fois une ville d’étudiants et de retraités. Les gens ne sont pas stressés. Et il y a un esprit madelinot, gaspésien», dit celui qui est en colocation avec deux aspirants marins.
Après avoir délaissé la technique en foresterie, il rêve maintenant d’ouvrir sa propre microbrasserie.
Record familial
Jasmine Trudel Valcour
- 19 ans
- Commencera un nouveau programme en technique juridique
Jasmine Trudel Valcour est devenue la première des cinq enfants de sa famille à avoir terminé son cégep en deux ans, une réussite qui rend ses parents particulièrement fiers.
Elle se mettait donc une certaine pression sur les épaules pour y parvenir. La dernière session a donc été plutôt «rushante», avoue-t-elle.
Surtout qu’elle devait réaliser un court-métrage en seulement 15 semaines, incluant le tournage et le montage.