Société de pimps
Coup d'oeil sur cet article
Initiative du député caquiste Ian Lafrenière, la commission spéciale sur l’exploitation sexuelle des mineures qui se tient présentement à l’Assemblée nationale nous met à tous un gros miroir en plein visage.
- À LIRE AUSSI - Il est temps de faire la guerre aux pimps
- À LIRE AUSSI - Confessions d’un pimp repenti: «c’était trop facile»
- À LIRE AUSSI - Exploitation sexuelle: les victimes souvent trop traumatisées pour témoigner
Parlementaires, forces policières, milieu de la recherche et intervenantes sociales et communautaires nous dressent le portrait d’un Québec qui se serait laissé peu à peu devenir une plaque tournante de la prostitution juvénile au Canada. En ce qui a trait à la traite des personnes, nous offrons un bassin de recrutement par excellence.
Les experts parlent d’une société qui exerce une forme de tolérance envers l’exploitation sexuelle en accordant à ceux qui abusent de mineures le statut de client. On insiste sur l’importance de sensibiliser les garçons à ne pas devenir eux-mêmes proxénètes ou abuseurs.
On parle des retombées économiques et même fiscales de cette industrie qui se déploie autour de grands événements comme le Grand Prix ou le sommet du G7.
Bref, nous formons une société de pimps qui tolère et s’enrichit de l’exploitation sexuelle de ses jeunes filles.
Scorpion et Fugueuse
Pourtant, quand je suis arrivé à Québec en 2002, la ville était complètement électrisée par l’enquête Scorpion. Sur les ondes des radios et dans les tribunes libres, il n’y avait pas de mots assez durs pour qualifier les puissants qu’on soupçonnait d’avoir profité de mineurs ou ceux qui les avaient fait travailler, sans manquer de quelques observations xénophobes sur la couleur de leur peau.
Il n’y a pas si longtemps également, le Québec entier s’est passionné pour la série Fugueuse. On a rarement été aussi unis qu’au moment de maudire le damné Damien qui manipulait et brutalisait la brave Fanny, brillamment interprétée par Ludivine Reding.
Mais on continue de décaisser des centaines de millions de dollars pour avoir le Grand Prix, et on pense que la pire racaille qu’attire le G7, c’est une poignée de casseurs mal fagotés.
Des questions à se poser
Nous ne sommes évidemment pas individuellement responsables du fléau de l’exploitation sexuelle des mineurs. L’idée qu’une jeune fille de 14 ans soit arrachée de sa vie d’ado pour être réduite à la condition d’esclave sexuelle scandalise n’importe qui ayant un peu de décence. Collectivement, on a toutefois des questions à se poser.
D’abord, dans l’image qu’on se fait du « client », qu’on perçoit nécessairement comme un gros plein de fric à l’allure perverse, alors que la plupart des abuseurs aux méthodes parfois brutales sont en fait des monsieurs banals et bien comme il faut, qui ressemblent à votre voisin.
Dans le fait que, comme on peut le voir dans les produits culturels que l’on consomme et dans les commentaires qu’on échange sur les réseaux sociaux, on continue de diffuser l’idée que les hommes ont le droit à du sexe et que les femmes ont le devoir de le leur donner.
Dans notre propension à avoir beaucoup d’empathie pour l’adolescente forcée de se prostituer, mais pas mal moins pour la femme usée de 35 ans qui en est sortie, mais qui est encore confinée à la pauvreté.
Il y a aussi de sérieuses questions à adresser au gouvernement Trudeau, à qui le Québec vient de redonner une pluralité de ses sièges, mais qui s’est trainé les pieds pendant 4 ans pour mettre en application une loi conservatrice renversant le fardeau de la preuve contre les pimps. C’est finalement à la toute fin de la dernière session parlementaire avant les élections qu’on a fini par adopter une loi qu’on jugeait meilleure. 4 ans de perdus.
Mobilisation collective
L’indignation individuelle qu’on ressent tous face à l’exploitation sexuelle des mineurs, il faut la convertir en mobilisation collective pour dire à nos filles quelle valeur elles ont ; pour montrer à nos gars que la force d’un homme se mesure dans le respect qu’il a pour les femmes ; pour lutter contre la pauvreté et contre nos propres préjugés.
C’est à ça que nous invitent les policiers, les experts et les intervenants sociaux, et c’est pas mal la meilleure conclusion qu’on pourrait tirer d’une commission parlementaire comme celle qui est en cours.