Le mystère d’un vol d’œuvres d’art perdure depuis plus de 47 ans
Le Musée des beaux-arts de Montréal a été victime d’un des cambriolages les plus importants au monde
Coup d'oeil sur cet article
L’impressionnant cambriolage de diamants d’une valeur « inestimable » au musée de Dresde en Allemagne cette semaine a rappelé que Montréal figure dans la liste des 10 vols d’œuvres d’art les plus importants du dernier siècle. Dans un scénario digne d’un véritable film d’espion, des cagoulards ont dégarni les murs du Musée des beaux-arts de Montréal de toiles de grands maîtres, dont un Rembrandt. Une perte estimée aujourd’hui à plus de 65 millions $.

« C’est fascinant. On parle quand même d’un vol de toiles de certains des plus grands peintres dans le monde. Ce qui est remarquable, c’est que ce mystère vaut entre 50 M$ et 100 M$ », lance le journaliste d’enquête Normand Lester, qui a couvert à l’époque l’affaire, et qui s’intéresse toujours à cette histoire.
En pleine nuit, le 4 septembre 1972, trois malfaiteurs ont grimpé sur le toit du Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM) pour s’introduire dans l’établissement.
En moins de 30 minutes, ils ont dérobé 18 œuvres de grande valeur ainsi qu’une quarantaine de bijoux et d’objets précieux. Un butin estimé à 2 M$ à l’époque, et qui en vaudrait plus de 65 M$ de nos jours.
Plusieurs experts s’entendent : ce coup fumant était rigoureusement planifié. Rien n’a été laissé au hasard.
Rénovations
Les voleurs ont profité du long week-end de la fête du Travail de 1972, en pleine Série du siècle contre l’Union soviétique au hockey, pour commettre leur crime. De plus, le musée était en rénovations depuis le début de l’été.
Vers 1 h, les trois pillards se présentent au musée de la rue Sherbrooke, au centre-ville de Montréal. Les médias de l’époque se contredisent sur la façon dont ils ont réussi à accéder au toit du MBAM : soit en grimpant dans un arbre près de la bâtisse ou en utilisant une échelle abandonnée près du chantier de construction.
Par un puits de lumière, ils pénètrent à l’intérieur du musée, en s’accrochant à une corde de nylon. Un système d’alarme aurait dû se déclencher. Mais en raison des travaux, il avait été désactivé. Coup de chance pour les cambrioleurs ou résultat d’un plan bien ficelé ? On l’ignore encore.
Coup de feu
Dans la cuisine des employés, un gardien qui se prépare une tasse de thé se fait surprendre par les voleurs cagoulés, qui lui pointent leurs armes au nez.
L’un d’eux tire un coup de feu au plafond pour l’effrayer. Le bruit alerte les deux autres gardiens, qui accourent au deuxième étage. Mais ils sont rapidement maîtrisés par les brigands, puis ligotés.
Impuissants, couchés face contre le sol, les employés entendent les cambrioleurs se déplacer de salle en salle, fracasser des vitres, empiler les toiles près de l’ascenseur.
Mais lorsqu’un des voleurs ouvre une porte pour commencer à transporter le butin à l’extérieur, le système d’alarme retentit. Les criminels paniquent et déguerpissent rapidement en s’emparant de 18 tableaux et de plusieurs bijoux et bibelots de valeur.
« Comme dans un film »
Dans la hâte, ils abandonnent 18 autres toiles près de l’ascenseur et partent à bord d’un véhicule qui n’a jamais été identifié.
Les experts savent que sans cette alarme (qui contrairement à ce que les malfaiteurs semblaient croire n’était pas reliée à la centrale de police), le musée aurait été presque vidé de ses grandes œuvres.
« Ça s’est fait comme dans un film. C’était un vol organisé depuis longtemps, c’est certain. Les gars étaient équipés, ils savaient ce qu’ils cherchaient », lance l’ancien policier spécialisé dans les crimes liés à l’art, Alain Lacoursière. Il a lui-même brièvement enquêté sur ce vol mythique dans les années 1990, quand il était enquêteur à la police de Montréal. En effet, le dossier, qui à ce jour n’a jamais été résolue, a connu quelques rebondissements depuis 47 ans.
Un faux retrouvé
Dès le lendemain du spectaculaire vol, la majorité des journaux en ont fait mention. Mais, par la suite, la police s’est faite avare de commentaires, ne dévoilant pas les détails de l’enquête. Des médias de l’époque révèlent que les policiers espéraient négocier avec les responsables du cambriolage pour récupérer les œuvres.
Selon le détective responsable du dossier, la rançon était le mobile, se souvient le journaliste Normand Lester, qui s’est penché pour la première fois sur ce crime lors du 10e anniversaire de celui-ci, en 1982.
« Le seul avantage est d’essayer de rançonner les œuvres volées. À moins que tu sois un amateur d’art. Mais encore là, pourquoi en voler autant ? » demande M. Lester.
À l’époque, plusieurs tentatives de rançons ont d’ailleurs eu lieu et ont échoué.
Néanmoins, deux effets volés ont été retrouvés : une toile et un bijou.
Deux mois après le vol, et à la suite de longues négociations avec les malfaiteurs, une toile a été retrouvée dans un casier de la Gare Centrale à Montréal, soit une œuvre de Brueghel l’Ancien. Mais après une analyse d’experts du musée, on a réalisé qu’il ne s’agit pas d’un authentique, mais plutôt d’une toile d’un de ses élèves.
Un autre indice laissant croire que les voleurs (ou ceux qui ont commandé le vol) étaient de fins connaisseurs en art. Ce n’est en effet pas un hasard s’ils ont choisi de rendre cette œuvre, sachant que sa valeur était grandement diminuée.
Cabines téléphoniques
Dans une autre tentative de négocier un paiement, les malfaiteurs ont fait courir un enquêteur pendant plus de 14 heures à travers la ville. Le policier se rendait de cabine téléphonique en cabine téléphonique, espérant mettre la main sur le butin volé.
Tout ce qu’il a pu récupérer, c’est un des pendentifs dérobés, laissé dans un paquet de cigarettes sur le sol d’une cabine téléphonique près de l’Université McGill, ont rapporté des médias à l’époque.
Les policiers ont aussi versé 10 000 $ placés dans une enveloppe dans l’espoir d’obtenir des informations. L’argent a disparu, mais les autorités n’ont finalement rien eu en retour.
À un autre moment, les voleurs ont exigé 500 000 $ en échange des 17 autres peintures. La transaction n’a pas abouti. Après un certain temps, il n’y a plus eu de communication entre la police et les brigands. Du moins, pas à la connaissance du public.
Plusieurs théories
Plus de 47 ans plus tard, le mystère persiste. Où sont les 17 tableaux, dont l’évaluation frôlerait aujourd’hui les 65 M$ ? On l’ignore. Mais au fil des ans, plusieurs théories ont émané.
Certains croient que les œuvres seraient cachées six pieds sous terre sur le terrain du chalet d’un avocat en Estrie. D’autres croyaient à l’époque que des étudiants des Beaux-Arts avaient planifié ce vol.
Normand Lester se souvient aussi d’une théorie voulant que les toiles aient voyagé par bateau en Europe, pour ensuite faire l’objet d’une transaction en Italie.
Crime organisé
Mais selon l’ancien policier Lacoursière, les toiles sont probablement affichées dans les somptueuses résidences de mafieux, ailleurs dans le monde.
« On ne le saura jamais, où elles sont, mais elles ne sont sûrement plus au Canada. Il ne faut pas oublier que la majorité de ces vols, c’est l’œuvre du crime organisé. Ils s’échangent ces toiles pour payer des dettes de drogues ou des armes. Ou ils les affichent chez eux, se les montrent entre eux. Ça fait 50 ans que ça fonctionne comme ça », explique-t-il.
« C’est trop rocambolesque et organisé pour que ce soit des étudiants qui aient planifié un tel coup », ajoute-t-il.
Fait à noter : si elles sont retrouvées, les œuvres volées appartiendront aux 25 compagnies d’assurances qui ont payé au musée la valeur des biens dérobés à l’époque, soit 1 945 300 $.
Au MBAM, on assure que le système de sécurité a beaucoup évolué avec les nouvelles technologies depuis ce cambriolage.
- Normand Lester était à l’émission On n’est pas obligé d’être d’accord sur QUB radio: