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Les prix du déneigement explosent partout au Québec

Hivers rigoureux, pénurie de main-d’œuvre et manque de concurrence ont contribué à la crise actuelle

Déneigement
Photo Ben Pelosse


Le coût des contrats publics de déneigement a explosé partout au Québec cette année. Certaines villes doivent allonger près du double de ce qu’elles payaient auparavant, a constaté notre Bureau d’enquête.  

Il s’agit d’une crise sans précédent, conviennent les municipalités et acteurs du déneigement interrogés au cours des dernières semaines.   

Peu d’entrepreneurs ont répondu aux appels d’offres lancés par les villes cet été.   

Et ceux qui l’ont fait ont soumis des prix de deux à trois fois plus élevés que ce que la municipalité avait estimé.   

Même le ministère des Transports (MTQ) a dû négocier de pied ferme pour obtenir des prix raisonnables.   

«Captif» du déneigement   

La Ville de Sainte-Marie, en Beauce, a dû absorber une hausse de 52 % du coût de son déneigement cette année.   

« On est captifs du marché [...] Mais au moins, on a eu un soumissionnaire. On s’est fait dire que dans d’autres régions, il n’y en avait même pas », soutient son directeur général Jacques Boutin, qui évalue la possibilité que ses employés municipaux fassent eux-mêmes le déneigement l’an prochain.   

À Rivière-Ouelle, dans le Bas-Saint-Laurent, l’augmentation de 153 577 $ subie cette année équivaudrait à une augmentation de taxes de 11 % si la municipalité n’avait pas décidé d’en absorber une partie en coupant ailleurs dans son budget.   

« C’est évident qu’on ne repassera pas ça en entier aux citoyens », souligne le maire, Louis-George Simard.   

À plusieurs endroits, on craint que la situation ne continue de s’envenimer au cours des prochaines années.   

À Mille-Isles, dans les Laurentides, le déneigement représente 13,15 % du budget municipal cette année. À elle seule, la hausse des coûts en 2019 représente 6,25 % du budget annuel, une proportion « énorme », souligne le maire suppléant, Howard Sauvé.    

Le pire à venir ?  

Les facteurs qui expliquent la crise du déneigement, tels que la succession d’hivers rigoureux, le manque de concurrence et la pénurie de main-d’œuvre, ne sont pas près de disparaître.   

« Il y a des entrepreneurs qui ne veulent juste plus toucher au déneigement », affirme Étienne Morin, président de Vision Météo, qui conseille des déneigeurs.   

Le déneigement attire de moins en moins de travailleurs, selon lui. « La pénurie de chauffeurs, on en parle depuis longtemps. Les associations de camionneurs avaient tiré la sonnette d’alarme », rappelle-t-il.   

Le ministère des Transports affirme suivre lui aussi la situation de près et s’assurer de payer le « juste prix ». Dans certains cas, il a même décidé de réaliser des contrats lui-même, à l’interne, au lieu d’engager un entrepreneur, par souci d’économie.   

C’est ce qu’ont aussi choisi de faire des villes, notamment celle de Québec, qui a repris à son compte le déneigement de trois zones cet automne, après avoir fait face à une « hausse historique des prix ». Des associations, comme l’Union des municipalités du Québec (UMQ), tentent de trouver des solutions.    

L’UMQ a même créé un comité spécial sur la question.   

« Il est clair que lors de nos représentations auprès du gouvernement, il sera question de la nécessité d’augmenter le budget de la voirie locale. [...] L’explosion des coûts de déneigement risque d’affecter les services aux citoyens. C’est très préoccupant pour le monde municipal », affirme aussi Jacques Demers, président de la Fédération québécoise des municipalités.   

Des hausses vertigineuses  

Mirabel : hausse de 142 %   

Déneigement de trois secteurs de la ville      

  • Contrat prévu pour l’hiver 2019-2020 : 855 646 $  
  • Nouveau contrat conclu : 2 070 973 $  
  • La Ville était sous contrat depuis quatre ans avec un entrepreneur qui a refusé d’exécuter la dernière année de son contrat. Elle a dû retourner précipitamment en appel d’offres cet automne pour l’hiver 2020.       

Mille-Isles : hausse de 75 %   

Déneigement des chemins municipaux      

  • Contrat précédent (2016) : 260 951 $ par année   
  • Contrat conclu en 2019 : 457 370,55 $ par année      

Saint-Honoré : hausse de 105 %   

(Contrat du MTQ)    

Déneigement de rues      

  • Contrat précédent (2018-2019) : 386 000 $  
  • Prix soumis par le plus bas soumissionnaire en 2019 : 983 000 $  
  • Prix négocié et conclu par le MTQ : 792 863,50 $   

Rivière-Ouelle : hausse de 97 %   

Déneigement et entretien      

  • Contrat précédent (2018-2019) : 158 949 $  
  • Contrat conclu en 2019 : 312 526 $   

Honfleur : hausse de 84 % (depuis 2013)  

Entretien des chemins d’hiver      

  • Contrat précédent (2013 à 2018) : moyenne de 176 042,80 $ par année   
  • Contrat conclu en 2018 : 321 585,08 $ pour un an    
  • Contrat conclu en 2019 (pour trois ans) : moyenne de 324 333 $ par année      

Sainte-Marie : hausse de 53 %   

Déneigement du secteur rural      

  • Contrat précédent (2014) : 820 235,68 $ pour 5 ans    
  • Contrat conclu en 2019 : 1 251 664,83 $ pour 5 ans  

Magog : hausse de 70 %   

Déneigement pour trois secteurs      

  • Contrat précédent (2014 à 2019) : 5780 $ par kilomètre   
  • Prix soumis par le plus bas soumissionnaire en 2019 : 13 333 $ par kilomètre   
  • Prix négocié et conclu par la Ville : 9800 $ par kilomètre       

Notes :   

  • Les chiffres ont été fournis par les villes et le MTQ eux-mêmes   
  • Les donneurs d’ouvrage peuvent négocier avec un soumissionnaire pour tenter d’obtenir un meilleur prix lorsqu’ils reçoivent une seule soumission conforme.       

Le climat changeant et la pénurie à blâmer  

Déneigement
Selon le Victoriavillois Alain Tourigny, président d’Excavation Tourigny, les temps sont durs pour les déneigeurs qui doivent conjuguer avec des difficultés de recrutement, des contrats de plus en plus exigeants et des hivers beaucoup plus longs qu’avant. Photo Andréanne Lemire

Les entrepreneurs refusent de porter seuls le blâme de la crise du déneigement.Au contraire, durement affectés par la pénurie de main-d’œuvre et les changements climatiques, ils demandent aux villes de les aider en partageant les coûts.   

« Le mode contractuel est l’une des principales causes [de la crise]. L’entrepreneur devient responsable du changement climatique. Si la saison est plus longue, c’est lui qui assume les coûts [...] Ça doit changer », plaide Annie Roy, directrice de l’Association des propriétaires de machinerie lourde du Québec.   

« Pour avoir du personnel pour faire la job, le seul moyen, c’est de payer pour, que ce soit en vacances, en salaires ou en temps garantis. Mais il faut quelqu’un qui paie au bout du compte », explique Mario Trudeau, de l’Association des entrepreneurs de déneigement du Québec.   

Président d’Excavation Tourigny, Alain Tourigny a vécu la crise de près l’an dernier.    

Au printemps, l’entrepreneur, qui cumule plus de 30 ans d’expérience dans le déneigement, a été forcé de refinancer son équipement afin d’obtenir assez de liquidités pour passer à travers l’année.   

Hausse des prix  

Conséquemment, il a dû augmenter ses prix de 30 % à 40 % cette année. « Tu ne peux pas continuer à faire de la business en reculant. Sais-tu comment on devient millionnaire dans le déneigement ? En commençant milliardaire », illustre le Victoriavillois.   

Selon lui, la crise n’est pas terminée et d’autres hausses de prix seront à prévoir l’an prochain.   

« Les entrepreneurs se sont fait tellement squeezer [...] À certains endroits, ils se sont tellement battus entre eux autres [pour avoir les contrats] qu’il n’y a plus personne dans le secteur. Ils se sont tannés. Certains m’ont dit être plus riches depuis qu’ils ont quitté le déneigement », conclut-il.   

Des entrepreneurs s’essaient  

S’ils jurent que leur industrie s’est assainie depuis la Commission Charbonneau, les représentants des gros joueurs du déneigement admettent toutefois que certains d’entre eux sont « allés à la pêche » en proposant des prix très élevés aux villes cette année.   

« Il y en a des abus. C’est clair qu’il y a des entrepreneurs qui sont allés à la pêche aussi. Mais je pense que ça reste le travail de nos instances d’identifier ça et je pense que ç’a été fait », affirme Annie Roy, de l’Association des propriétaires de machinerie lourde du Québec (APMLQ).   

« [De la collusion], il y en a moins qu’il y en avait, c’est sûr. Mais je n’oserais pas avancer qu’il n’y en a plus du tout. Mais reste que les municipalités ont toujours le pouvoir de dire non. Ça vient de s’éteindre, et ils retournent en appel d’offres », souligne aussi Mario Trudeau, de l’Association des entrepreneurs de déneigement du Québec.   

« Redresser » l’industrie  

Selon ces derniers, la Commission Charbonneau a réussi à « redresser » l’industrie du déneigement.   

Rappelons que quelques déneigeurs aux pratiques douteuses ont fait la manchette au cours des dernières années.   

Par exemple, en 2015, Laval a mis fin à deux contrats de déneigement avec la firme Sylvestre et Mathieu après avoir découvert que l’entreprise avait facturé de la neige chargée ailleurs qu’en ville.   

Encore cette année, à Montréal, le Bureau de l’inspecteur général a révélé que deux entreprises de déneigement (Transport Rosemont et Entreprise Sylvain Choquette inc.) avaient surfacturé la Ville pour le transport de la neige.







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