Témoignages: une situation précaire pour les travailleuses du sexe et les personnes marginalisées
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Alors que les mises à pied et les annulations de contrats se multiplient, les personnes qui travaillent dans l’industrie du sexe subissent également les effets de la crise.
Si les salariés peuvent compter sur le filet social pour atténuer l’impact, de nombreuses travailleuses du sexe (TDS) se retrouvent dans une situation précaire financièrement, en plus de faire face à un enjeu de santé.
Isabelle*, employée d’un salon de massage, Daphné*, escorte indépendante, et Marie-Christine, danseuse, nous ont raconté comment elles traversent ces moments incertains.
Nous avons aussi parlé à Sandra Wesley, directrice de Stella, un organisme militant pour les droits des TDS, qui aborde de façon plus large l’impact de la crise sur les personnes marginalisées.
Isabelle, employée dans un salon de massage
Même si le salon où elle travaille n’a fermé ses portes que le 17 mars, Isabelle avait pris la décision d’arrêter depuis le début de la semaine dernière, par mesure préventive.
Elle espérait pouvoir trouver rapidement une autre source de revenus.
«Étant donné que j’ai une formation dans le domaine de la santé, j’ai soumis ma candidature à des hôpitaux, mais je n’ai reçu aucun retour d’appel à date.»
Comme elle n'aura bientôt plus les moyens de subvenir à ses besoins, elle pense se tourner vers les services payants de webcam, mais non sans réticence.
«J’ai déjà essayé ça, mais ce n’est vraiment pas ma tasse de thé. Souvent, ça demande une approche particulière et d’entretenir de longues conversations avec les clients. Mais si je ne trouve rien ailleurs, je n’aurai pas beaucoup d’autres choix.»
Entre-temps, elle consulte les informations diffusées par des organismes comme Stella en espérant qu’elle pourra obtenir un soutien gouvernemental comme les travailleurs des autres secteurs.
Daphné, escorte indépendante
«Je travaillais en région, où la peur se faisait moins sentir. C’est à Montréal que les clients ont commencé à annuler leur rendez-vous. J’avais aussi des contrats pour un autre travail qui sont tombés à l’eau. J’allais vite me retrouver sans un sou. Je me suis mise à paniquer.»
Daphné travaille de façon indépendante et gère la prise de rendez-vous avec ses clients. Le contexte l’oblige à changer son mode de fonctionnement.
«Idéalement, j’aurais préféré ne pas travailler pour une agence d’escortes. Mais j’ai dû agir rapidement. Advenant que le lockdown s’accentue, même les agences vont fermer. Et, sachant que je n’aurai probablement pas accès à une aide gouvernementale, je dois faire le plus d’argent possible avec le peu de temps qu’il me reste.»
Et quant à la possibilité, pour elle, de se tourner vers les services en ligne, par exemple avec la plateforme OnlyFans, elle ne se fait pas d’illusions. OnlyFans, une plateforme qui s’apparente à Instagram, permet d’échanger du contenu photo et vidéo avec des abonnés payants.
«Ça peut être utile pour les filles qui ont déjà un gros following sur Instagram et le convertissent vers OnlyFans, ce qui n’est pas mon cas. Je ne peux pas aller sur ça et penser pouvoir gagner ma vie ainsi à court et moyen terme.»
«Je ne crois pas que je fais plus pitié qu’une autre. Il y a des gens de tous les milieux qui perdent leur job. J’ai des proches qui sont affectés. La grosse différence, pour nous [TDS], c’est qu’on ne travaille pas dans un domaine décriminalisé. Plusieurs filles vont hésiter à demander de l’aide, parce qu’elles savent d’avance qu’elles seront refusées. Et ça ajoute une couche d’angoisse.»
«Je réalise qu’en continuant, je mets ma santé à risque, et celle des autres aussi. Si mon métier était moins stigmatisé, j’irais chercher le soutien gouvernemental, comme tous les autres travailleurs autonomes, et je m’isolerais.»
Marie-Christine, danseuse
D’entrée de jeu, Marie admet qu’elle est relativement chanceuse malgré tout.
«Je ne suis pas dans une position inquiétante, comme beaucoup d’autres filles. Mais c’est sûr que, les trois premiers jours, j’ai pleuré des heures dans mon lit.»
«Le Kingdom, où je travaille habituellement, a fermé avant la fermeture obligatoire des bars. Ce qui est quand même appréciable de la part des propriétaires, sachant qu’on est plus à risque et que la clientèle est composée de beaucoup de touristes. Plusieurs ont attendu jusqu’à la dernière minute.»
Puisqu’elle cultivait déjà l’idée d’offrir des services en ligne, l’isolement volontaire l’a poussée à se lancer.
«Ça fait un an que je pensais lancer un OnlyFans, mais j’hésitais. J’en ai parlé sur mon compte Instagram et j’ai reçu des propositions d’abonnés. Depuis trois jours, j’ai commencé à envoyer des photos et vidéos en échange d’un virement. Et j'ai mon compte MarieChainsaw sur Patreon. À date, je gagne à peu près le même revenu que dans les bars.»
Elle tient cependant à rappeler qu’elle fait figure d’exception.
«Je ne suis pas à plaindre. En temps normal, je voyage, je m’achète ce que je veux. Et en ce moment, je suis bien entourée. J’ai quelqu’un qui m’aide avec la gestion de mes plateformes. Mais j’en connais plusieurs qui n’ont pas les économies pour dealer avec une perte de revenu, et pour qui ça pourrait être grave bientôt.»
Sandra Wesley, directrice de l’organisme Stella
«Nos services restent ouverts parce qu’on voit une grosse augmentation de besoins dans la communauté», affirme Sandra.
Les rassemblements au local ont cependant été suspendus.
L’organisme surveille également de près les annonces d’aide gouvernementale.
«On voit déjà que celle du Québec semble demander beaucoup de documentation et ne semble pas s’appliquer à la majorité des travailleuses du sexe.»
Sandra est un peu plus optimiste concernant l’aide du fédéral pour travailleurs autonomes, mais elle concède que rien n’est garanti.
«C’est sûr qu’on est souvent les premières personnes oubliées dans ces moments-là, mais pas seulement les TDS: il y a aussi toutes les personnes en marge de la société, comme celles en situation d’itinérance ou celles qui ont des besoins au niveau de la consommation de drogue.»
Selon Sandra, la décriminalisation du travail du sexe favoriserait l’épargne et la sécurité financière.
«C’est très difficile, pour la majorité des TDS, de maintenir des réserves. Les comptes peuvent être saisis, donc elles ne vont pas nécessairement garder de compte de banque.»
Le logement est également un besoin pressant pour de nombreuses personnes marginalisées, en temps de crise.
«Il y a beaucoup de gens, dans nos communautés, qui n’ont pas un bail. Ils louent une chambre de façon plus informelle ou vivent en colocation. Ils sont à risque d’être mis à la rue, et on en voit déjà dans des situations très précaires.»
Pour les sans-abri, la situation est hautement problématique, selon la directrice de Stella. La fermeture des restaurants et l’impossibilité d’avoir accès à des toilettes publiques sont critiques pour plusieurs personnes.
Pour terminer, elle rappelle l’importance de comprendre que de nombreuses TDS n’ont pas les moyens d’arrêter de travailler.
«On doit soutenir tout le monde et ne pas tomber dans le jugement envers celles qui continuent, tout en comprenant les impacts sérieux pour celles qui arrêtent. On les invite à se fier aux recommandations de la santé publique pour réduire les risques potentiels de transmission. Pour l’instant, la santé publique n’a pas émis de guide de pratiques sexuelles sécuritaires. Mais on sait que les travailleuses du sexe, on est toujours des expertes du sexe sécuritaire. C’est déjà dans nos habitudes, de gérer des risques biologiques et des épidémies.»
*Isabelle et Daphné sont des noms fictifs. Marie-Christine est un nom véritable.
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