COVID-19: des funérailles sans contact
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Funérailles reportées, hommages revisités et commémorations virtuelles. En temps de pandémie, les personnes endeuillées doivent redéfinir les dernières volontés de leur proche et assister à des funérailles en vidéoconférence.
«C’est vraiment déchirant de priver les gens de l’exposition, surtout parce que c’est ça que ma mère voulait», remarque Jipé Dalpé, qui a perdu sa mère d’un cancer le 2 mars, un peu avant que les mesures d’isolement soient mises en vigueur.
Jipé a l’impression que l’événement dramatique mondial vient «voler le show». «On aimerait avancer dans les étapes du deuil, dit-il, mais on était arrêté là. C’est bizarre de dire que c’est moins important de s’occuper de l’hommage à ma mère que de préserver la vie des autres qu’on mettrait en danger en se rassemblant.»
Les funérailles auraient eu lieu le 14 mars, alors que les mesures d’isolement volontaire entraient en vigueur. «On était dans un drôle de dilemme où on avait besoin de faire notre deuil, mais on ne voulait pas faire peur au monde et on ne rendait pas justice à ma mère en faisant ça à un moment où les gens ne pouvaient pas venir pour lui faire un dernier adieu.»
Annuler des funérailles?
«Il ne faut pas annuler des funérailles, il faut les reporter, lance d’emblée la psychologue et professeure à l’Université du Québec à Montréal Mélanie Vachon. Quand on est en deuil, absolument tout ravive le deuil: les musiques, les images, les premières fois sans l’autre. Ce qui est bien avec le fait de faire ça plus tard, c’est que ça va aussi raviver le soutien, la mémoire et les belles choses», ajoute-t-elle, précisant que, souvent, on reçoit une vague d’amour très dense à la suite du décès d’un proche, mais que c’est lorsque la vie reprend que le vide devient plus vertigineux.
Elle conçoit que le début de deuil en solitaire peut s’avérer plus contraignant et faire ressortir d’autres défis, mais «s’entourer virtuellement, le plus possible et canaliser la tristesse dans la beauté, l’art par exemple», peut s’avérer salvateur.
Des funérailles sur Zoom
«Ça s’est passé très vite. Mon cousin, qui avait 52 ans seulement, a cru qu’il faisait une crise d’asthme. Il est rentré à l’hôpital un jeudi, il est tombé dans le coma le soir même et le vendredi il est décédé», se désole la Montréalaise Carole Perez. Originaire du Maroc, elle a perdu deux membres de sa famille qui ont été infectés par la COVID-19 et qui vivaient à Casablanca. Elle a assisté aux funérailles de ceux-ci à partir de chez elle sur la plateforme de téléconférence Zoom.
«Mon cousin, c’était un colosse d’un mètre quatre-vingt, un père de quatre enfants. La veille de son coma, il nous a appelés. Il a dit: "je ne veux pas partir, j’ai encore tellement de choses à accomplir". Ses parents ont aussi contracté la COVID-19 à un mariage, bien avant le confinement. Ma tante est tombée dans le coma le samedi suivant le décès de son fils et elle est décédée lundi.» [Lors de l’entrevue mercredi dernier, le père était pour sa part toujours dans le coma].
Mme Perez ressent un extrême sentiment d’impuissance devant la situation, elle qui a grandi dans la maison voisine de celle de cette tante et de ce cousin. «On a suivi les funérailles par Zoom. On était 1800 personnes. Il y a eu un hommage avec plusieurs discours sur Zoom», rapporte-t-elle, soulignant que seulement six personnes étaient présentes physiquement à la cérémonie, éloignées les unes des autres.
Continuer à vivre sans le réconfort physique
Chaque année, le 26 mars, Mathieu Aubry se rend au cimetière avec sa mère pour commémorer le décès de son père. Cette année, 10 ans après le décès de celui-ci, ils ont dû procéder différemment.
«Être assis sur un tabouret devant la tombe de mon père avec ma mère à deux mètres de moi, c’était très surréaliste», raconte Mathieu. Côte à côte et sans contact, ils ont parlé de la vie, de l’ironie de la situation et se sont raconté de belles histoires.
«La seule chose dont j’avais besoin, cette journée-là, c’est un câlin, c’est ce réconfort-là. La santé de ma mère est fragile et je n’arrêtais pas de me dire: "imagine si j’ai touché quelque chose dans le métro et que je la contamine". T’as pas envie d’être rebelle dans ce contexte-là.»
Les bouleversements de nos vies respectives ont un impact sur notre manière d’expérimenter la mort, croit la psychologue Mélanie Vachon.
Même si le contexte ponctue le quotidien de moments dramatiques, on peut avoir l’impression que les gens disparus depuis longtemps «manquent quelque chose», assure la psychologue.
«Quand on vit des moments marquants, on veut les vivre avec les gens importants pour nous, donc ça peut raviver d’anciennes tristesses.»
Fin de vie solitaire
Anne-Renée Delli Colli a perdu sa cousine et sa tante du cancer durant la période de confinement.
«Le contact humain n’est pas remplaçable. Parler au téléphone avec ma mère, ça ne changera jamais que je ne peux pas la prendre dans mes bras», explique-t-elle alors qu’elle doit réconforter sa mère de la perte de sa sœur, mais à distance.
Anne-Renée remarque que ses proches, très croyants, vivent des moments encore plus difficiles puisqu’ils ne peuvent pas vivre ces lourds moments à l’église. «Mais on va célébrer la vie de ma cousine et ma tante quand les choses seront redevenues normales», dit-elle.