Radio-Canada cache des infos sur la vente de ses terrains
Le diffuseur public a lourdement caviardé des documents transmis par la Loi sur l’accès à l’information
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Radio-Canada refuse de rendre publics les documents justifiant la vente de son vaste terrain du boulevard René-Lévesque à un promoteur, qui s’apprête à encaisser un important profit.
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En 2017, le Groupe Mach, de Vincent Chiara, a racheté la tour brune de la société fédérale, les vastes studios qui l’entourent et le stationnement situé au sud-ouest du site pour 42 M$.
Il s’apprête aujourd’hui à en revendre le quart pour 114 M$, comme le révélait notre Bureau d’enquête mercredi.
En vertu de la Loi sur l’accès à l’information, nous avons demandé les documents que le diffuseur public détient sur la transaction et « l’évaluation des terrains de Radio-Canada ».
Or, la société fédérale a omis de nous transmettre un document commandé à la firme Brookfield Financial, qui établirait à 10 M$ le coût de la décontamination sur le terrain.
Le directeur des relations publiques de Radio-Canada, Marc Pichette, révélait pourtant l’existence de ce rapport dans un courriel à notre Bureau d’enquête en janvier dernier.
Caviardage massif
En mai, le diffuseur public a fait parvenir à notre Bureau d’enquête des documents tellement caviardés qu’ils ne donnent aucune indication sur la raison pour laquelle il a choisi l’offre de Mach pour son site, outre le prix.
Ils ont été produits par les firmes Brookfield et Avison Young (AY) à la demande de Radio-Canada.
En nous les transmettant, la société fédérale a caché le nom de tous les soumissionnaires, sauf le vainqueur Mach. Elle a aussi oblitéré tout autre renseignement sur les offres reçues.
Par exemple, un document de Brookfield semble présenter des remarques sur les différentes propositions. Effacées.
Impossible donc de connaître les points forts et les points faibles des autres promoteurs et de savoir ce qui a joué en faveur de Mach, outre le prix.
En outre, la copie du document est d’une définition si faible que plusieurs pages sont illisibles, même dans les rares passages que Radio-Canada n’a pas cachés.
Renseignements « confidentiels » ?
Pour justifier le caviardage des documents, le diffuseur public invoque un article de la loi qui lui permet de retenir des informations si leur diffusion risque de nuire aux « intérêts économiques du Canada » ou de dévoiler des « secrets industriels de tiers ».
Ces arguments font sursauter les experts en droit des médias consultés.
« Est-ce que c’est dans l’intérêt du public de voir ces documents pour déterminer si, oui ou non, ils ont vendu à un prix équitable ? Je pense que oui ! » dit Mark Bantey, du cabinet Gowling WLG.
L’attitude de Radio-Canada n’est pas surprenante, dit Pierre Trudel, professeur en droit de l’information à l’Université de Montréal.
« C’est très classique, on voit ça fréquemment, déplore-t-il. Ça reflète le caractère très restrictif de la Loi sur l’accès à l’information fédérale. »
Selon lui, Radio-Canada aurait pourtant tout intérêt à miser sur la transparence.
« En apparence, un refus de rendre publics ces documents-là laisse penser que le terrain a été vendu à un prix trop bas par rapport au marché, compte tenu de ce qui s’est passé par la suite », dit Pierre Trudel.
Il note que la société fédérale invoque son intérêt économique pour retenir l’information, même si la transaction sur le terrain a eu lieu il y a déjà trois ans.
Pas de commentaires à Ottawa
Le gouvernement n’avait rien à dire à ce sujet.
« CBC/Radio-Canada est une société d’État indépendante et elle est responsable de ses opérations de gestion interne et externe, et c’est pourquoi nous ne commenterons pas leur déménagement ou les processus liés à la vente du terrain », écrit l’attachée de presse du ministre du Patrimoine Steven Guilbeault, Camille Gagné-Raynauld.
CE QUE RADIO-CANADA REFUSE DE MONTRER
Nous avons encerclé en rouge les passages entièrement caviardés en blanc.
► L’analyse détaillée des quatre soumissions considérées comme les plus intéressantes, ainsi que le prix offert par ces soumissionnaires.
► Les notes d’évaluation attribuées aux quatre meilleures propositions.
► Les arguments qu’a fait valoir le Groupe Mach pour remporter l’appel d’offres. Le contenu des 12 pages qui détaillent la proposition gagnante est entièrement caviardé en blanc.
- Avec Sarah Daoust-Braun et Guillaume St-Pierre
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