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Le choix de la candidate à la vice-présidence de Joe Biden sera important, mais pas déterminant

Joe Biden
Photo d'archives, AFP Joe Biden

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D’un jour à l’autre, le candidat démocrate à la présidence, Joe Biden, annoncera sa colistière. Ce choix aura peu d’impact sur le vote le 3 novembre.

Qui sera la colistière de Joe Biden? On sait déjà que le candidat démocrate choisira une femme, laquelle sera la troisième à briguer la vice-présidence des États-Unis pour un parti majeur, après Geraldine Ferraro en 1984 et Sarah Palin en 2008. On sait aussi qu’il y a de bonnes chances qu’elle provienne d’un groupe ethnoracial minoritaire.

Qui choisira-t-il? Est-ce que ce choix aura un impact sur le résultat de l’élection? La première question suscite énormément de spéculation puisque, en raison de l’âge de Biden, les chances sont réelles que la personne qu’il choisira soit appelée à le remplacer en cours de mandat ou propulsée en tête de liste en 2024 si Biden termine son mandat et décide sagement de ne pas défier les tables actuarielles jusqu’en 2028.  

Pour le politologue que je suis, toutefois, la réponse à la seconde question est très simple. C’est non. À moins que Biden ne fasse un choix totalement imprévu et imprudent, ce choix ne sera pas déterminant le 3 novembre. Voici en quelques lignes pourquoi.

Important, mais pas déterminant

Il est facile de monter ce genre de chose en épingle pour attirer l’attention, mais les candidats à la vice-présidence ne sont presque jamais un facteur électoral déterminant. Pour trouver une exception à cette règle, il faut remonter à 1960, alors que tous s’entendent pour dire que Lyndon B. Johnson a fait une différence en faisant basculer le Texas en faveur de John F. Kennedy. 

Avec la nationalisation de la politique partisane aux États-Unis depuis cette époque, la capacité d’un colistier ou d’une colistière de faire pencher son État ou sa région d’origine a presque disparu. L’équilibre géographique est souhaitable, mais ce n’est pas une règle absolue. Notamment, quand Bill Clinton a choisi le sénateur de l’État voisin du sien, Al Gore (Tennessee), il cherchait surtout à amplifier une image de jeunesse et de centrisme idéologique. Pour George W. Bush, le choix de Dick Cheney n’apportait pas d’avantages électoraux marqués et visait surtout à compenser son manque d’expérience en politique étrangère. Quant à Barack Obama, le choix de Joe Biden était presque entièrement lié au rôle qu’il réservait pour lui dans son administration. Quant à Mike Pence, c’était une concession de Donald Trump au parti où il était un nouveau venu et, à part sa capacité peu commune à flatter l’ego de son «cher leader», il n’apporte pas grand-chose à la campagne de Trump.

La détermination de l’effet des colistiers ou colistières sur le résultat électoral est un exercice techniquement difficile, puisqu’on ne peut pas l’estimer dans un environnement réel, mais la plupart des travaux sérieux de science politique qui s’y sont attardés ont trouvé un effet au mieux marginal, qui ne dépasse en aucun cas un point de pourcentage. C’est par exemple ce que concluent les politologues Grofman et Kline («Evaluating the Impact of Vice Presidential Selection on Voter Choice», Presidential Studies Quarterly, juin 2010), qui observent que le choix très largement critiqué de Sarah Palin comme colistière par le républicain John McCain lui a valu, au pire, une pénalité d’un point. C’est quelque chose, mais c’est moins que la perte que d’autres politologues, dont mon collègue de l’UdeM Richard Nadeau, ont attribuée à Barack Obama à cause de la couleur de sa peau lors de la même élection («Obama’s Missed Landslide: A Racial Cost?», PS: Political Science and Politics, janvier 2010). 

Quant aux rares sondages qui demandent les intentions de vote selon diverses combinaisons de candidats, ils montrent qu’avec toutes les principales candidates envisagées, Biden obtient des résultats qui ne diffèrent pas de plus d’un ou deux points. Comme le montre ce récent sondage, l’impact des différentes candidates envisagées est infinitésimal. (source: sondage Morning Consult, 29 juillet 2020)

Bref, si le choix de la colistière de Biden en est un dont il ne faut pas négliger l’importance, il est nettement exagéré de prétendre que ce choix sera déterminant, à moins qu’il repêche une personne catastrophiquement incompétente ou que des squelettes non détectés par son équipe sortent du placard pour venir hanter sa campagne à la dernière minute. 

La favorite: Kamala Harris

Lors d’une visite à mon directeur de thèse en juin 2019, je me souviens que nous avions convenu que, indépendamment de nos préférences, le ticket démocrate serait mené par Joe Biden et secondé par Kamala Harris. Nous aurions dû écrire ça quelque part, parce que c’est encore ce qui me semble le plus probable à quelques jours de l’annonce du choix.

Kamala Harris n’apporte pas un avantage géographique, puisque la Californie est gagnée d’avance pour les démocrates, mais elle représenterait un compromis acceptable par la plupart des factions idéologiques du parti. Elle a l’expérience exécutive requise après avoir servi comme Attorney General du plus grand État du pays, et elle a une connaissance et une expérience concrète dans presque tous les grands dossiers de politique intérieure. Née d’un père antillais et d’une mère indienne, elle est solidement identifiée à la communauté afro-américaine. De toutes les candidates envisagées, elle apporte la meilleure expérience de campagne. 

Harris est le premier choix d’une pluralité de démocrates, selon un sondage récent (voir ici). Certains prétendent que ses ambitions présidentielles sont un obstacle à sa sélection, mais il faut être bien naïf pour croire que toute autre personne sélectionnée ferait une croix sur l’option de passer de la deuxième à la première position sur le ticket. En fait, la première question que tous les candidats à la présidence se posent en choisissant leur numéro deux est de savoir si cette personne pourrait occuper la présidence (d’où la catastrophe du choix de Sarah Palin). Harris n’est certes pas moins qualifiée que la plupart des autres candidats qui l’ont précédée à la vice-présidence. Dans les coulisses, on entend que Biden aurait été irrité par ses attaques contre lui pendant la primaire démocrate, mais elle a démontré dans le passé qu’elle peut travailler avec Biden. À moins que le fait qu’elle ait reçu son éducation secondaire à Montréal ne soit retenu contre elle, elle me semble encore celle qui a le plus de chances d’être choisie par Biden.

Les autres candidates possibles

Les spéculations abondent sur les autres candidates possibles, présentées ici sans ordre de probabilité de sélection. Susan Rice, ancienne ambassadrice aux Nations unies et conseillère à la sécurité nationale de Barack Obama, a un excellent rapport de travail avec Biden et des expériences exécutives solides, mais elle représente un risque à cause de son manque d’expérience électorale, n’ayant jamais tenté de se faire élire à quelque poste que ce soit. Elle est afro-américaine, ce qui est un atout, mais son mari est canadien, ce qui est suspect (note: c’est une blague). 

Gretchen Whitmer, la gouverneure du Michigan, un État clé que Biden a besoin de ravir à Trump, serait un choix intéressant, et ses récents déplacements vers la planque de Joe Biden ont alimenté bien des spéculations. Elle est populaire dans son État et dans sa région, mais peu connue sur le plan national. Comme il semble clair à plusieurs que Biden cherchera à ménager les sensibilités des groupes minoritaires dans son parti et à maximiser leur participation au vote, son choix sera une surprise. Quant à l’électorat de son État, elle peut le motiver aussi bien depuis son siège de gouverneure.

La sénatrice de l’Illinois, Tammy Duckworth, d’origine asiatique par sa mère, serait un choix intéressant, entre autres à cause de son histoire personnelle inspirante. Ancienne pilote militaire et vétérane de la guerre en Irak, elle y a perdu l’usage de ses deux jambes et celui d’un bras dans un accident d’hélicoptère. 

La représentante afro-américaine de Los Angeles, Karen Bass, est encore mentionnée comme un choix possible, mais son profil national est plutôt modeste et des révélations récentes sur ses liens avec des personnages d’extrême gauche ne la servent pas bien. La représentante de la Floride, Val Demings, elle aussi afro-américaine et ancienne chef de police de la ville d’Orlando, complète le groupe des personnes les plus susceptibles d’être choisies. Elizabeth Warren serait la favorite de l’aile gauche du parti, mais ce fait et son âge presque aussi avancé que celui de Biden en font un choix extrêmement improbable.

Que fera Joe Biden? On verra bien, mais si ce choix est important, on peut tout de suite prendre avec un sérieux grain de sel toutes les interprétations qui le présenteront comme déterminant.

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