Gérer la boîte à surprises d’une école en pandémie
Le Journal a accompagné une directrice d’un établissement secondaire pendant une journée
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Endiguer une fausse rumeur de COVID-19, gérer des dégâts d’eau, se préparer à une fermeture hypothétique de l’école. Le Journal a passé une journée avec la directrice d’une école secondaire de Montréal de 1300 élèves afin de documenter les pépins qui peuvent émerger. Et de constater à quel point la pandémie vient multiplier les casse-tête, en plus de tous les imprévus normaux avec lesquels la « capitaine du navire » et son équipe doivent composer.
- 6 h 10 : Il fait encore noir quand la représentante du Journal arrive à l’école secondaire Félix-Leclerc, située en milieu favorisé à Pointe-Claire. La directrice Annik Bissonnette est déjà sur place. « J’aime prendre le temps d’arriver. C’est mon moment à moi », explique cette lève-tôt. Parce qu’elle sait qu’à partir de 8 h 30, tout se mettra à débouler.
- 6 h 30 : Arrivée du concierge principal. Ils doivent gérer les suites d’un incendie survenu sur le toit en raison d’un accident de soudure, une semaine plus tôt. Cela a forcé la fermeture du pavillon et la relocalisation d’élèves autistes et de l’accueil. Quand pourra-t-on accéder à la machine à laver les planchers, qui est entreposée sur une passerelle condamnée ? se demande le concierge.
Une centaine de courriels par jour
Tout au long de la journée, Mme Bissonnette répondra à des courriels. « Ça frôle la centaine par jour. Au secondaire, c’est ça la normale. » Par exemple, du personnel qui demande s’il doit rester à la maison ou non en raison de symptômes, ou encore s’occuper d’une facture pour les quelque 200 pupitres et chaises achetés afin de convertir un laboratoire en bulle-classe.
- 6 h 50 : Une maman annonce par courriel qu’elle a reçu un résultat positif à son test de dépistage. Ses enfants resteront à la maison pendant deux semaines. L’école ne comptait alors aucun cas positif parmi ses élèves ou membres du personnel. « On touche du bois. » Le premier vrai cas ne se manifestera que quatre jours plus tard.
- 7 h : Inspection du pavillon incendié. Elle y accompagne ensuite deux enseignantes pour y récupérer des ordinateurs portables.
- 8 h 20 : Déjeuner : une banane et deux mini-muffins. Quelques courriels sont ouverts pendant ce temps. Dans la prochaine heure, plusieurs membres du personnel se succéderont pour saluer ou discuter depuis le cadre de porte.
- 9 h 10 : Un élève a publié pendant le week-end sur les réseaux sociaux qu’il était atteint de la COVID-19, alors que c’est faux. « La machine à rumeurs va partir », prévoit Annik Bissonnette. L’école se met à recevoir des appels et courriels de parents qui ont l’intention de garder leur jeune à la maison. « La classe au complet va être absente », craint une des directrices adjointes. Avec la pandémie, l’impact d’une rumeur est décuplé, car elle influence immédiatement le comportement de tous, explique Mme Bissonnette.
- 9 h 25 : Elle se rend dans la classe concernée pour rétablir les faits, en compagnie d’une directrice adjointe. Environ 80 % du groupe est présent. Une lettre sera également envoyée à tous les parents de la classe.
- 9 h 30 : On lui signale qu’un élève est de retour à l’école sans avoir fourni la preuve qu’il est allé se faire dépister. Il faut demander aux parents de venir le chercher en attendant de recevoir la lettre qui montre le résultat du test, indique-t-elle.
Attention ! Zone rouge
Le gouvernement Legault s’apprête à annoncer le passage de Montréal en zone rouge lors de la visite du Journal. À plusieurs moments, des membres du personnel questionneront la direction sur l’impact que cela aura. Elle les rassure : il est peu probable que les écoles ferment. « Avec la COVID-19, tu ne peux pas prendre une journée de congé de nouvelles », affirme-t-elle.
- 9 h 35 : Message à l’intercom sur le passage en zone rouge. Elle rappelle les consignes sanitaires et demande aux élèves d’apporter leur matériel à la maison chaque soir, au cas où l’école doive subitement fermer.
- 10 h 50 : Dîner des 1re, 2e et 3e secondaire. Elle circule dans les couloirs et remarque que les jeunes osent prendre davantage de place depuis que le dîner des plus vieux a été décalé pour éviter l’engorgement.
- 11 h : Retour dans le pavillon incendié afin de trier les documents et livres endommagés par l’arrosage des pompiers.
- 12 h 5 : Dîner au sandwich.
- 12 h 20 : L’école a dû commander des dictionnaires, car ils ne peuvent plus être partagés d’un groupe à l’autre. Mme Bissonnette sollicite les surveillants pour trouver des volontaires pour les recouvrir en dehors de leur horaire habituel.
- 12 h 30 : Un dégât d’eau s’est déclaré dans le salon du personnel, un problème peut-être dû au déclenchement du chauffage, ou encore aux tests effectués en lien avec l’incendie.
- 13 h 15 : « Il est où ton masque ? » demande la directrice Annik Bissonnette lorsqu’elle aperçoit un élève tout sourire qui marche avec ses amis. Elle mandate une surveillante de l’accompagner au secrétariat, où on lui en fournira un en attendant qu’il trouve le sien.
- 13 h 40 : Des flaques d’eau apparaissent dans plusieurs locaux. Un groupe en plein examen doit être relocalisé dans la cafétéria pour terminer le cours. Personne ne bronche, mais Mme Bissonnette descend porter une boîte de biscuits pour leur remonter le moral.
- 14 h : Rencontre de gestion avec les trois directeurs adjoints. Ils doivent prendre plusieurs décisions, dont certaines en lien avec la COVID-19. Que fait-on avec les élèves qui manquent un examen parce qu’ils sont en isolement préventif ? Des séances de reprise seront organisées chaque mardi soir, conviennent-ils.
- 14 h 30 : Le concierge entre dans le bureau. « Ça vient de péter ailleurs [les dégâts d’eau]. Je suis en train de fermer toutes les valves », dit-il.
- 14 h 35 : Les directeurs réfléchissent à un moyen d’offrir de l’aide alimentaire à certains élèves. « Il y a probablement plein de parents qui ont perdu leur emploi, et on n’a pas moyen de le savoir », s’inquiète Nathalie Dubois. Ils discutent aussi des longues files à la cafétéria, qui font en sorte que des jeunes vont s’acheter à manger ailleurs, ce qui n’est pas idéal en contexte de pandémie, rappelle Julien Duchamp.
Gérer des jeunes... et des adultes
Annik Bissonnette a notamment pris le temps d’écouter un membre du personnel au sujet d’un échange tendu avec un collègue. De plus, elle devra rencontrer certains profs pour les rappeler à l’ordre, soit parce qu’ils maîtrisent mal les règles sanitaires en classe ou qu’ils tardent à appliquer certaines consignes. « Être [directrice], c’est comme avoir une classe, mais d’adultes », dit Nathalie Dubois. Chaque école a son employé premier de classe et ses tannants, image-t-elle. « Sauf qu’on ne peut pas appeler leurs parents », renchérit en riant Julien Duchamp.
- 16 h 10 : Départ des autobus scolaires. En se joignant aux surveillants dans la cour, elle surprend un élève qui s’empresse de jeter sa cigarette. « Je suis très terrain », avoue-t-elle, alors que certains s’enferment dans leur bureau. « Quand vient le temps d’intervenir, les élèves ne peuvent pas dire : “t’es qui toi?”. »
- 16 h 30 : Une enseignante nous accoste. « C’est la meilleure directrice qu’on n’a jamais eue », insiste-t-elle. Mme Bissonnette s’empresse de rappeler l’aide qu’elle a de ses adjoints. « Si t’es toute seule, comme [directrice], t’es foutue. » Son secret : être hyper organisée et disponible pour répondre rapidement aux besoins des gens.
- 17 h 40 : Elle discute avec Nathalie Dubois du choix de matériau pour les nouveaux paniers de basketball. « C’est niaiseux, mais avec la COVID, les jeunes passent plus de temps dehors. Il a fallu ajouter des poubelles et lignes sur le sol de la cour. »
« On ne va pas fermer, hein ? »
Annik Bissonnette remarque une baisse drastique dans les retards des élèves depuis la rentrée. « C’est 10 fois moins que l’an passé. » Probablement parce qu’ils sont contents d’être à l’école, après la longue pause du printemps. Cela transparaît dans l’attitude des jeunes, abonde Nathalie Dubois. « Madame, on ne va pas fermer, hein ? » se fait-elle parfois demander.
- 18 h 10 : Départ de l’école, après une journée de 12 heures. À aucun moment, la directrice n’a paru dépassée. « Une journée relativement calme », résume-t-elle. Même qu’elle n’aura pas à envoyer de courriels après le souper et pourra se consacrer à trois autres ados, c’est-à-dire les siens.
Des directeurs d’école au bout du rouleau
Bon nombre de directeurs d’école sont au bord de l’épuisement, avec les chamboulements quotidiens qu’amène la pandémie.
« Je suis dépassée », avoue Stéphanie (nom fictif), qui entame sa deuxième année comme directrice adjointe dans une école de la métropole.
Pendant les premières semaines suivant la rentrée, elle a dû presque chaque jour changer les procédures pour s’adapter aux mesures sanitaires. À annoncer au personnel : « bon ben, ce qu’on a essayé hier, ça ne marche pas », raconte-t-elle.
« Quand on a un cas d’élève [positif à la COVID-19] qui arrive, c’est la journée au complet qui passe au retraçage », illustre Hélène Bourdages, présidente de l’Association montréalaise des directions d’établissement scolaire.
La marche est particulièrement haute pour les jeunes directions. « Ils ont beau y mettre le samedi et le dimanche, ils n’y arrivent pas », remarque-t-elle.
Mais même pour les autres, la tâche est lourde, explique une directrice qui a plus de 15 ans d’expérience.
« Ça fait 25 jours que l’école est commencée et on dirait que ça fait six mois. »
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