Intimidation et sexisme s’invitent au procès contre la loi 21
Lundi matin, les audiences concernant la contestation de la loi 21 ont pris une tournure inattendue et inquiétante lorsque Me Christiane Pelchat, l’avocate du groupe Pour les droits des femmes du Québec (PDF-Québec), a révélé avoir reçu une mise en demeure de la part de Me Rémi Bourget, avocat de la Fédération autonome de l’enseignement (FAE), et de Me Azim Hussain, l’avocat d’Ichrak Nourel Hak, lui demandant de s’excuser pour des attaques personnelles présumées dont ils disent avoir été victimes de la part de Me Pelchat, lors du témoignage de l’experte de PDF-Québec Yolande Geadah.
Des mâles dominants portant la toge
Me Pelchat a rétorqué qu’elle n’a pas à s’excuser d’avoir défendu son experte à qui Me Hussain reprochait des réponses trop longues, qui feraient augmenter le coût de la transcription! Étant donné que de leur côté ils ont présenté cinq experts ayant témoigné sur plusieurs jours, Me Pelchat leur a répliqué que PDF-Québec, pour sa part, n’a qu’une seule experte et que c’est la première fois dans tout ce procès que l’on invoque des frais de transcription. L’avocate s’est dite outrée par un tel sexisme et un pareil manque de respect envers son témoin. On peut, ajoute-t-elle, ne pas aimer le propos de Mme Geadah, mais on ne peut invoquer la transcription pour la faire taire!
Pourquoi faire taire Yolande Geadah?
Parce qu’il s’agit bien de cela, faire taire Yolande Geadah. On veut bien entendre parler d’histoire du Québec, du degré de religiosité des Québécois, de sondages, de clause dérogatoire, de souveraineté parlementaire, de philosophie de la laïcité et de liberté de conscience, mais on veut faire taire Yolande Geadah? Pourquoi?
Parce que Mme Geadah, qui détient une scolarité en sciences politiques, est une spécialiste de la situation des femmes dans la culture arabo-musulmane, parce que c’est une experte des effets des normes religieuses islamiques sur les femmes, particulièrement celles concernant les enjeux sociopolitiques autour du voile islamique sur lequel elle a rédigé un essai, parce qu’elle est la seule parmi tous les experts entendus à avoir une connaissance du terrain, alors que son champ d’expertise est basé sur 40 ans de vie, ponctués par des séjours de travail auprès des femmes et des jeunes en Égypte, d’où elle est originaire. Parce qu’elle parle arabe, ce qui lui donne accès aux prêches des imams et à des sites très consultés par des musulmans sur internet, parce qu’elle a une solide expérience de collaboration auprès des organismes internationaux œuvrant à la protection des droits des femmes, qu’elle a rédigé trois avis pour le Conseil du statut de la femme, l’un sur la polygamie et les deux autres sur la prostitution et les crimes d’honneur, et parce qu’elle est membre associée à l’Institut de recherches et d’études féministes (IREF) de l’UQAM. Le curriculum parfait pour effrayer ceux qui contestent la loi 21.
Une qualification fortement contestée
Rien d’étonnant à ce que sa qualification l’autorisant à témoigner à titre d’experte soit contestée par Ichrak Nourel Hak. Alors que celles aussi contestées de Benoît Pelletier et de Jacques Beauchemin se sont réglées en moins de cinq minutes, il aura fallu, dans ce cas-ci, une heure et demie de tirs groupés des avocats des opposants à la loi qui tentaient de miner sa compétence. Me Pelchat a défendu son experte, faisant valoir qu’il serait pertinent de l’entendre parce que jusqu’ici, personne n’a parlé de la dimension politique du voile, ce qui pourrait éclairer le juge et le tribunal, ce que le juge Marc-André Blanchard a reconnu.
Un témoignage exceptionnel
Affirmant que ce sont certaines croyances qui sont discriminatoires à l’égard des femmes et non la loi 21, Mme Geadah souligne que toutes les religions sont issues d’un système patriarcal et que seule l’interdiction du port de signes religieux saurait garantir l’égalité des sexes.
Abordant l’aspect politique du voile, Yolande Geadah insiste pour dire qu’il n’est pas anodin et que l’enjeu principal est la reconfessionnalisation de l’espace public. Que ce retour du religieux correspond à une interprétation rigide s’inspirant du mouvement salafiste et qu’en ne l’interdisant pas, on favoriserait l’intégrisme au lieu de protéger les femmes musulmanes qui ne le portent pas.
Elle ajoutera que le voile est lié à la pudeur, à la honte et à l’honneur, et qu’il vise le contrôle de la sexualité des femmes. Elle affirme que le voile, ici au Québec, est le même que celui de pays musulmans où les femmes subissent les pires violences si elles refusent de le porter, que ce mouvement est mondial et dominant et que le discours sur le voile est le même ici qu’ailleurs — soulignant pertinemment que celles qui le portent en raison des pressions n’iront pas vers les médias et les chercheurs, de peur d’être ostracisées par leur communauté — et que de dénoncer un préjudice est parfois pire que de le subir.
En contre-interrogatoire, on a tenté de discréditer son rapport, lui reprochant à maintes reprises de ne pas s’appuyer sur des études, insinuant par là que son propos relève de l’opinion et n’a donc rien de véridique, ce à quoi Mme Geadah a répondu que les études sont souvent limitées et orientées parce qu’elles ne tiennent compte que des femmes disant porter le voile par choix, que la réalité est beaucoup plus complexe et qu’après 20 ans de travail auprès d’elles, sa connaissance du terrain n’est pas une affaire d’opinion, mais de constat.
De l’intimidation à outrance
Yolande Geadah a parlé et son témoignage constitue un tournant décisif dans ce procès parce qu’il va au cœur des enjeux politiques. Les avocats des opposants à la loi ont échoué à la faire taire. Leur dernière trouvaille? Une mise en demeure à son avocate, Me Pelchat, une procédure inhabituelle entre collègues, alors que le procès est toujours en cours, une procédure visant à l’intimider, espérant la déconcentrer et la déstabiliser avant le début des plaidoiries. Odieux, n’est-ce pas?