Couche-Tard renonce à Carrefour
Ni Alain Bouchard ni Pierre Fitzgibbon n’ont pu faire plier le ministre français de l’Économie, Bruno Le Maire
Incapable de convaincre le ministre français de l’Économie, Bruno Le Maire, des mérites d’un regroupement d’Alimentation Couche-Tard et de Carrefour, le président-fondateur du géant québécois, Alain Bouchard, a rendu les armes vendredi soir.
L’homme d’affaires milliardaire s’était rendu à Paris expressément pour rencontrer M. Le Maire, mais les échanges n’ont pas été fructueux. En fin d’après-midi, heure du Québec, l’agence Reuters révélait que la direction de Couche-Tard s’était résignée à abandonner son projet de 25 milliards $, souhaitant éviter une tempête politique transatlantique.
Avant de recevoir M. Bouchard, le ministre Le Maire avait poussé encore plus loin son opposition à la transaction proposée. « Ma position, c’est un non courtois, mais clair et définitif », a-t-il affirmé.
Relations France-Québec
De son côté, son homologue québécois, Pierre Fitzgibbon, reconnaissait que le gouvernement français avait le pouvoir de tuer dans l’œuf les ambitions de Couche-Tard.
La fin de non-recevoir servie à Couche-Tard porte un coup dur aux relations franco-québécoises, d’autant plus que le gouvernement Legault a « facilité » l’acquisition par Airbus et Alstom de deux importantes divisions de Bombardier, la C Series et Bombardier Transport, comme l’a rappelé vendredi M. Fitzgibbon.
Le ministre québécois avait toutefois bon espoir qu’Alain Bouchard réussirait à « apaiser » les inquiétudes de Bruno Le Maire en matière de sécurité alimentaire, qu’il jugeait « légitimes », particulièrement en pleine pandémie.
« L’arrivée de Couche-Tard au capital de Carrefour ne devrait pas impacter la sécurité alimentaire vu qu’on parle de distribution et non de production », a soutenu M. Fitzgibbon.
« Ce qui est en jeu, ce n’est pas que Couche-Tard prenne des produits québécois pour les envoyer dans l’écosystème de Carrefour, a-t-il ajouté. Et ça ne concerne pas les emplois. Les emplois ne vont pas quitter la France pour venir à Montréal. »
Pierre Fitzgibbon a lui-même parlé à M. Le Maire ainsi qu’à M. Bouchard et à Roland Lescure, un ancien haut dirigeant de la Caisse de dépôt et placement qui est aujourd’hui député en France au sein du parti au pouvoir.
Trudeau discret
Il a été impossible vendredi de savoir si Ottawa a contacté L’Élysée dans ce dossier.
« Notre rôle comme gouvernement est d’être là pour appuyer les entreprises canadiennes, y compris lorsqu’elles cherchent à prendre de l’expansion dans le monde », s’est limité à dire le premier ministre, Justin Trudeau.
Dans la presse française, on s’interrogeait vendredi sur le signal qu’envoyait sur la scène internationale le rejet de la transaction entre Couche-Tard et Carrefour pour le gouvernement Emmanuel Macron, qui se dit « probusiness ».
M. Fitzgibbon a admis que l’hostilité de Couche-Tard face aux syndicats au Canada pouvait compliquer les choses en France, tout en assurant que l’entreprise était un « très bon employeur ».
Engagements
Selon Les Echos, Couche-Tard a évoqué des investissements de trois milliards d’euros (4,6 G$ CA) sur cinq ans pour développer Carrefour. Et d’après Bloomberg, l’entreprise était prête à garantir le maintien des emplois en France pendant deux ans, puis à conserver le siège de Carrefour et sa cotation à Paris.
Les PDG de Couche-Tard, Brian Hannasch, et de Carrefour, Alexandre Bompard, auraient codirigé l’entité regroupée, a indiqué Reuters.
Si Couche-Tard n’avait pas jeté l’éponge, le Canada aurait pu exercer un recours en vertu du libre-échange avec l’Europe (AECG), a avancé vendredi un avocat qui a participé aux négociations de cet accord pour Ottawa.
« Le refus de même considérer toute demande de Couche-Tard est, à mon avis, une violation autant du droit français que de l’AECG », a déclaré Pierre-Olivier Savoie au Journal.
La dernière grande acquisition de Couche-Tard a été celle de l’américaine CST Brands en 2017. L’an dernier, Couche-Tard a échoué dans ses tentatives d’acheter le groupe australien Ampol (ex-Caltex), pour lequel elle offrait près de 8 milliards $, et la chaîne américaine Speedway, avalée par le géant japonais 7-Eleven pour 21 milliards $ US.