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La détresse des complotistes

Plusieurs facteurs expliquent la hausse de comportements violents

GEN-Manif de ÉÉ.devant le bureau du Premier Ministre Legault ˆ MontrŽal
Photo d'archives, Agence QMI Un important niveau d’adhésion aux théories complotistes peut pousser des personnes à agir pour mettre de l’avant leurs croyances, comme prendre part à des manifestations contre les mesures sanitaires, comme celle-ci, le 20 décembre, à Montréal.

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La frustration et la détresse engendrées par la pandémie ont été un point de bascule pour plusieurs Québécois, notamment les adeptes des théories du complot.

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« Les gens ne deviennent pas complotistes du jour au lendemain, c’est un processus, et il y a plusieurs chemins différents [...] Et plus leur niveau d’adhésion est fort, plus ils vont s’exprimer fort, peut-être avec violence », affirme Martin Geoffroy, directeur du Centre d’expertise et de formation sur les intégrismes religieux, les idéologies politiques et la radicalisation.

Le phénomène des menaces en ligne est loin d’être nouveau. Mais, dans les derniers mois, la situation a été exacerbée, notamment pour les élus au centre des décisions gouvernementales, largement ciblés par des propos violents. 

Plusieurs raisons peuvent pousser un individu à manifester sa colère, au point de constituer une infraction criminelle et de mener à des accusations. 

Cachés derrière l’écran

« Ce ne sont pas des gens qui veulent nécessairement commettre un crime, ou qui ont l’intention de passer à l’acte. [...] Souvent, ils n’ont pas l’impression que c’est un problème de s’exprimer comme ça, comme c’est derrière un écran », estime Christine Grou, présidente de l’Ordre des psychologues du Québec.

Problème d’autorégulation ou d’inhibition, peine à maîtriser ses émotions ou ses impulsions, limites du jugement, détresse psychologique, difficulté à anticiper les conséquences de ses actions ou tout simplement manque d’empathie envers les victimes, les facteurs sont nombreux, énumère-t-elle.

La pandémie a une énorme influence sur la vulnérabilité des gens, qui pourraient être tentés de trouver un coupable pour les drames vécus, comme la perte d’un emploi, la perte de plaisir et de certaines libertés. 

« Blâmer quelqu’un en particulier, c’est plus facile, comme on n’a pas de contrôle sur toute la situation », résume Margaux Bennardi, du Centre de prévention de la radicalisation menant à la violence.

Le Centre peut accompagner les proches de personnes formulant des menaces en ligne.

Être enfin entendu

Selon elle, l’isolement et le fait que ces personnes peuvent se sentir ignorées pourraient les pousser à s’exprimer de manière agressive afin d’être finalement entendues. 

L’effet d’entraînement de groupe peut aussi pousser ces individus à croire aux théories complotistes de manière plus intense et à défier l’autorité, parfois avec animosité. 

« Ces gens-là disent : “On détient la vérité et vous, vous dormez”. Pour eux, les faits n’ont plus d’importance, ils veulent surtout trouver des choses qui confirment leurs croyances. C’est de l’autofiction, ils croient à un roman qui réconforte. Surtout avec la pandémie, la réalité est difficile... », souligne Martin Geoffroy. 

« Ils se sentent investis d’une mission. Et voyant que leur cause n’avance pas vraiment malgré les manifestations et les coups d’éclat, ça se peut que la frustration embarque », ajoute-t-il. 

Le niveau d’adhésion a aussi une énorme influence sur leurs actions, croit le chercheur. Il vient justement de recevoir une subvention pour étudier la complosphère québécoise. 

« Les deux premiers niveaux, ce ne sont pas les plus intenses. Ils croient à certaines choses. Mais plus tu tombes dans le trou, plus c’est difficile de reculer. Les croyances deviennent très fortes », affirme M. Geoffroy.  

L’adhésion au complotisme      

  • Niveau 1 | Les gens s’intéressent à des complots qui sont réellement survenus. Par exemple, des compagnies de tabac qui ont menti sur le cancer.    
  • Niveau 2 | Ils finissent par croire à des théories où il y a seulement de la spéculation. Par exemple, l’assassinat de John F. Kennedy, la vie extraterrestre et les ovnis.     
  • Niveau 3 | On quitte la réalité, mais ce sont des théories qui sont sans danger pour les autres. Par exemple, Bigfoot et le monstre du Loch Ness.    
  • Niveau 4 | Un seuil de dangerosité est atteint, pour soi-même et pour les autres. Les gens se mettent alors à nier des faits scientifiques. Par exemple, le mouvement antivaccin et antimasque.    
  • Niveau 5 | Ce niveau est considéré pratiquement comme un point de non-retour. Les faits n’ont plus d’importance. On s’intéresse surtout à ce qui confirme nos croyances en considérant le reste comme corrompu. Par exemple, QAnon, le Pizzagate et la domination du monde par l’« État profond » (deep state).       

Source: Centre d’expertise et de formation sur les intégrismes religieux, les idéologies politiques et la radicalisation

Là ça va trop loin...    

Depuis le début de la pandémie, plusieurs individus d’un peu partout au Québec ont été arrêtés par la police pour des menaces proférées à l’endroit de personnalités prenant des décisions pour les mesures sanitaires ou même de journalistes accomplissant leur travail. Voici quelques cas qui ont retenu notre attention.  

Pierre Dion   

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Photo tirée de Facebook

Visage connu du mouvement complotiste et habitué des tribunaux, le troll a été arrêté en décembre par la Sûreté du Québec pour avoir proféré des menaces contre le premier ministre François Legault dans les médias sociaux. 

L’homme de 51 ans a publié plusieurs vidéos sur les réseaux sociaux où il dénonce, souvent de manière vulgaire, les décisions prises par le gouvernement. 

Il était déjà sous probation après avoir été reconnu coupable d’avoir tenu des propos haineux à l’endroit de la communauté musulmane.  

Guillaume Lagacé   

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Photo tirée de Facebook

Il a été arrêté en juillet par les policiers de la SQ pour avoir proféré des menaces dans les médias sociaux à l’endroit de la journaliste de TVA Kariane Bourassa, qui avait couvert une manifestation antimasque devant l’Assemblée nationale. Il a aussi été accusé d’incitation à la haine. 

Dans une publication parue sur son profil Facebook après son arrestation, on pouvait lire que « c’est rien d’inquiétant, ça fait partie du jeu de la société ». 

L’homme s’étonnait même que la journaliste ne lui ait pas bloqué l’accès à sa page. « Dois-je comprendre qu’elle m’incite à continuer pour faire de moi un exemple ? » demandait-il. 

Sylvain Marcoux   

L’homme de 45 ans a été arrêté en août pour avoir tenu des propos menaçants envers le directeur national de santé publique, le Dr Horacio Arruda. Le résident de Drummondville était aussi soupçonné par les autorités d’avoir propagé l’adresse personnelle de Horacio Arruda. On se rappellera qu’un groupe d’individus était allé manifester devant sa résidence, en octobre. Marcoux, un ancien candidat aux élections provinciales de 2018, propageait plusieurs théories du complot sur les réseaux sociaux.  

Sylvain Proulx   

Ce retraité du Lac-Saint-Jean a été arrêté en septembre pour avoir lui aussi menacé le premier ministre François Legault. L’homme de 65 ans a toutefois affirmé à La Presse n’avoir « jamais eu l’intention de faire du mal au premier ministre ». Selon nos informations, c’est souvent une explication qui est donnée aux policiers, alors que les individus ne pensaient pas subir de conséquences pour leurs propos tenus. Proulx aurait écrit sur Facebook que M. Legault « payerait de sa vie » pour avoir imposé le port du masque. 

Patrick Dussault   

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Photo tirée de Facebook

Patrick Dussault a été accusé d’avoir transmis des menaces visant les premiers ministres Justin Trudeau et François Legault, ainsi que Horacio Arruda, en novembre. 

Il a été remis en liberté, mais doit respecter plusieurs conditions, comme ne pas utiliser les médias sociaux, ne pas posséder d’armes ainsi que ne pas entrer en contact de nouveau avec ses victimes. 

Or, quelques jours plus tard, sur son profil Facebook, il était écrit qu’il était une victime de « l’État profond », propageant au détour plusieurs affirmations tirées de théories du complot concernant notamment QAnon, la technologie 5G et des soi-disant fraudes de statistiques concernant la COVID-19. 

Conseils pour les proches      

  • Ne pas ignorer certains drapeaux rouges, tels que des commentaires à connotation violente   
  • Ne jamais tomber dans la confrontation   
  • Parler au « Je » et non au « Tu ». Dire : « Moi je ne me sentirais pas bien si je recevais ces propos », plutôt que : « Tu n’as pas le droit d’écrire ça »   
  • Favoriser le dialogue, pour comprendre les raisons derrière la frustration vécue    
  • Essayer de faire réaliser les conséquences possibles pour des propos menaçants, comme un casier judiciaire    
  • Faire comprendre à la personne qu’elle a droit à son opinion, mais qu’elle doit respecter celle des autres   
  • Aller chercher de l’aide professionnelle au besoin       

Source : Centre de prévention de la radicalisation menant à la violence