Un canard boiteux à la CAQ : un député rattrapé par des apparences de conflit d’intérêts alors qu’il était maire
Une décision controversée du gouvernement du Québec ouvrant la porte au dézonage d’un vaste territoire agricole dans Lanaudière fait ressurgir des informations troublantes au sujet du député caquiste Louis-Charles Thouin, à l’époque où il était élu municipal dans cette région.
Le passé du député de Rousseau, qui a été maire de Saint-Calixte et préfet de la MRC de Montcalm, refait surface au point d’intéresser l’Unité permanente anticorruption (UPAC), a appris notre Bureau d’enquête.
Louis-Charles Thouin fait aussi l’objet depuis peu d’une enquête de la commissaire à l’éthique de l’Assemblée nationale Ariane Mignolet (plus de détails ci-dessous) pour son rôle dans la modification du schéma d’aménagement de la MRC, selon ce qu’il nous a lui-même confirmé.

Les langues se délient depuis que La Presse a révélé que M. Thouin était l’adjoint parlementaire de la ministre des Affaires municipales, Andrée Laforest, pendant tout le processus qui a ouvert la porte au dézonage de 14 millions de pieds carrés dans la MRC de Montcalm. Alors qu’il était maire et préfet, de 2009 à 2018, M. Thouin avait milité, en vain, pour cette modification.
Le député caquiste est aujourd’hui adjoint parlementaire au Conseil du trésor. Ce ministère fixe les règles dans l’attribution des contrats publics.
- Écoutez la chronique politique de Rémi Nadeau, chef du Bureau parlementaire à Québec, sur QUB radio:
Une vingtaine d’entrevues avec d’anciens collègues maires et d’ex-collaborateurs, des dizaines de documents et des centaines de courriels ont permis à notre Bureau d’enquête de découvrir ce qui suit:
- Alors qu’il était maire de Saint-Calixte, M. Thouin a octroyé en 2010 le contrat de gestion animalière de sa ville à la SPCA Lanaudière Basses-Laurentides (SPCA LBL), un organisme à but non lucratif qu’il avait cofondé, dont sa conjointe est ensuite devenue directrice rémunérée. Quelques semaines auparavant, M. Thouin avait lui-même mis fin à l’entente d’un concurrent avec sa municipalité.
Une plainte sur son rôle dans la croissance de la SPCA LBL a été déposée l’automne dernier à l’UPAC, qui a rencontré une dizaine de personnes à ce jour dans le cadre de vérifications. - Louis-Charles Thouin a participé à des décisions et remis des subventions à des organisations dans lesquelles travaillaient des proches sans mentionner d’intérêt, notamment à une compagnie où sa belle-fille, qu’il présente comme sa fille, occupait un poste de directrice.
- M. Thouin a entretenu une relation très étroite avec un important fournisseur de la municipalité dont il était maire. Il a notamment facilité une demande de changement de zonage pour cet entrepreneur.
Il a même voté en faveur d’un financement d’un demi-million de dollars à l’entreprise de cet ami, quelques jours avant d’accepter d’être le parrain d’un de ses enfants.
Sur la défensive
Dans une entrevue de deux heures qu’il nous a accordée, le député a plaidé l’innocence dans l’ensemble de ces dossiers, tout en reconnaissant ne pas s’être toujours soucié d’éviter les apparences de conflit d’intérêts.
«Avec l’expérience que j’ai maintenant, probablement que j’essaierais d’être plus prudent au niveau des perceptions, a-t-il dit. Mais une fois qu’on a passé les perceptions, moi dans la vie, je suis un gars pragmatique. Je ne gère pas des perceptions. Je gère des résultats.»
- Écoutez le journaliste Alexandre Dubé avec Benoit Dutrizac sur QUB Radio:
M. Thouin a soutenu qu’il a toujours été «100% intègre». «Je sais que même si pour certains, ça pouvait avoir l’air bizarre [...] la façon de faire a toujours été 100% dans les règles», a précisé le député.
Au cours des dernières années, la Coalition avenir Québec (CAQ) a voulu se distinguer en mettant de l’avant sa préoccupation pour l’éthique. François Legault avait promis une «tolérance zéro» pour les inconduites en cette matière.
Accumulation
Selon l’urbaniste et professeure à l’UQAM Danielle Pilette, c’est l’accumulation d’apparences de conflits d’intérêts qui pose problème dans le cas de M. Thouin.
«Les apparences de conflits d’intérêts sont à prendre au sérieux, surtout lorsqu’elles sont répétitives. [...] C’est comme un système. Ce n’est pas un hasard. Ça n’arrive pas juste une fois», dit-elle.
Professeur à l’École nationale d’administration publique (ENAP), Étienne Charbonneau souligne que les décideurs publics doivent être prudents.
«Je comprends que tu veuilles t’impliquer, dit-il. Mais là quand c’est ta femme, ta fille, tes amis, c’est plus délicat.»
M. Charbonneau croit qu’en raison de sa feuille de route en matière de gestion des perceptions, M. Thouin constitue «un choix surprenant» pour la fonction d’adjoint parlementaire au Conseil du trésor.
- Avec la collaboration de Philippe Langlois.
Le député sous enquête de la commissaire à l’éthique
Le député Louis-Charles Thouin fait également l’objet d’une enquête de la commissaire à l’éthique et à la déontologie de l’Assemblée nationale en lien avec des allégations d’ingérence et d’influence indue dans un épineux dossier de réaménagement du territoire, a appris notre Bureau d’enquête.
Dans une plainte déposée en novembre dernier, on lui reproche d’avoir agi de façon à favoriser les intérêts personnels d’un tiers et de s’être prévalu de sa charge d’adjoint parlementaire pour tenter d’influencer la ministre des Affaires municipales en faveur d’une modification du schéma d’aménagement de la MRC de Montcalm.
M. Thouin a été tour à tour maire de Saint-Calixte et préfet de cette MRC de Lanaudière de 2009 à 2018. Il a longtemps milité en faveur d’une révision du schéma d’aménagement.
Il nie les allégations
Cet automne, La Presse rapportait que Québec avait donné son feu vert à un schéma révisé, soit un réaménagement du territoire qui pourrait entraîner un dézonage de millions de pieds carrés de terres agricoles et ce, malgré des avis défavorables.
M. Thouin nie avoir influencé la ministre dans ce dossier.
«Le temps où j’ai été adjoint parlementaire de la ministre, je n’ai jamais réussi à attacher le schéma. C’est quand je n’étais plus adjoint parlementaire que, finalement, il y a eu d’autres négociations avec la MRC », dit-il.
« Et la raison pour laquelle la ministre a signé le schéma, ce n’est pas parce que le député lui a mis de la pression. La ministre a signé le schéma parce qu’elle a eu des avis favorables des principaux ministères concernés et qu’elle a choisi de signer le schéma. C’est tout. »
M. Thouin a été adjoint parlementaire de la ministre Andrée Laforest jusqu’en septembre 2019, deux mois avant que le schéma révisé entre en vigueur.
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