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Des psychédéliques contre la dépendance aux drogues

Albino A strain. Psilocybin Mushroom. Psilocybin mushroom. Psychedelic drug
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Une étude rapporte qu’un analogue de la drogue psychédélique ibogaïne s’avère capable de traiter la dépendance à l’héroïne et à l’alcool dans des modèles animaux.

Les drogues psychédéliques ont depuis longtemps suscité une fascination particulière pour les humains en raison de leur propriété de produire un état de conscience altéré, caractérisé par des distorsions de perception, des hallucinations et un état d’extase.  

Présentes à l’état naturel dans certains végétaux, les champignons magiques du genre Psilocybe par exemple, ces drogues ont été utilisées depuis des siècles, voire des millénaires, dans les pratiques médicales et religieuses de nombreuses cultures.

La découverte, dans les années 40 et 50, que des drogues hallucinogènes comme le diéthylamide d’acide lysergique (LSD, synthétisé à partir de l’acide lysergique de l’ergot de seigle) et la psilocybine (l’ingrédient actif des Psilocybes) pouvaient améliorer la conscience de soi et faciliter le souvenir et la libération de souvenirs chargés émotionnellement a suscité à l’époque un immense intérêt pour l’utilisation de ces drogues dans le traitement de différents désordres mentaux. En 1965, on comptait déjà plus de 1000 études cliniques publiées qui rapportaient des effets thérapeutiques prometteurs chez plus de 40 000 sujets (1).

Nouvelles applications 

Cependant, l’abus de ces drogues (le LSD particulièrement) lors des années 60 et 70 et les mauvaises expériences (bad trips) qu’elles peuvent provoquer ont terni leur image et, avec le temps, considérablement diminué l’intérêt d’utiliser ces drogues à des fins thérapeutiques.

Cet intérêt s’est cependant ranimé au cours de la dernière décennie, avec la publication de résultats d’études cliniques montrant que l’administration de drogues hallucinogènes, comme la psilocybine, amoindrit certains désordres mentaux, comme la dépression résistante au traitement, le stress post-traumatique ou encore l’anxiété et la dépression touchant les personnes atteintes d’un cancer en phase terminale (2, 3).

Une autre drogue qui suscite actuellement un certain intérêt est l’ibogaïne, un alcaloïde de structure similaire au LSD et à la psilocybine, et qui provient des racines du Tabernanthe iboga, un arbuste tropical de l’Afrique de l’Ouest (Gabon).  

Des données précliniques et des études à petite échelle suggèrent que l’ibogaïne pourrait être utile dans les dépendances aux opioïdes et à l’alcool en réduisant l’état de manque, les symptômes de sevrage et le risque de rechute des personnes dépendantes de ces drogues. 

Plus performant

Cependant, l’utilisation clinique de l’ibogaïne est compliquée par le fait que cette drogue est très difficile à synthétiser en laboratoire, produit des hallucinations très intenses et prolongées (plus de 24 h) aux doses administrées, est neurotoxique (au niveau du cervelet, en particulier) et peut provoquer des arythmies cardiaques mortelles.  

Les travaux réalisés par une équipe de chercheurs américains, et récemment publiés dans le prestigieux Nature, suggèrent que ces limitations de l’ibogaïne pourraient être contournées en utilisant un analogue synthétique de la molécule (4). 

Cet analogue structural, nommé tabernanthalog (TBG), peut être synthétisé en une seule étape et possède comme l’ibogaïne la propriété de stimuler la croissance et le réseautage des neurones, une reprogrammation neuronale qui semble jouer un rôle important dans les effets positifs de la drogue contre la dépendance. 

Par contre, et contrairement à l’ibogaïne, l’analogue TBG ne semble provoquer aucune hallucination chez les animaux traités (pas de contractions répétées de la tête, un signe connu pour correspondre à des hallucinations) et est beaucoup moins toxique pour le système nerveux et cardiovasculaire. 

Une série d’expériences sur des modèles animaux de toxicomanie montre aussi des effets positifs prometteurs. Par exemple, des souris qui avaient été entraînées à boire de l’alcool et montraient des signes de dépendance ont réduit leur consommation après une seule dose de TBG. 

Même chose pour des rats qui avaient été entraînés à appuyer sur un levier pour recevoir une dose d’héroïne en réponse à un signal lumineux : lorsque l’opiacé est enlevé, les rats développent des signes de sevrage et continuent à appuyer sur le levier à chaque stimulation, un signe de dépendance à la drogue. 

À la suite du traitement des rats avec le TBG, les animaux ont complètement cessé d’appuyer sur le levier, même deux semaines après avoir été sevrés de l’héroïne. Ceci suggère que le TBG pourrait s’avérer particulièrement utile pour prévenir les rechutes chez les personnes qui cherchent à briser leur dépendance aux opiacés. 

Comme le soulignent les auteurs, ces résultats ne sont qu’une première étape et beaucoup de travail reste à faire pour que ces analogues puissent être utilisés en clinique. 

Par contre, la démarche expérimentale utilisée dans ce travail ouvre la voie à une nouvelle façon de concevoir des analogues de composés psychédéliques qui conservent leur potentiel thérapeutique, tout en minimisant les effets secondaires indésirables.

  • (1) Vollenweider FX et M Kometer.The neurobiology of psychedelic drugs: implications for the treatment of mood disorders. Nature Rev. Neurosci. 2010 ; 11 : 642-651.
  • (2) Carhart-Harris RL et coll. Psilocybin with psychological support for treatment-resistant depression: an open-label feasibility study. Lancet Psychiatry 2016; 3 : 619-627.
  • (3) Ross S et coll. Rapid and sustained symptom reduction following psilocybin treatment for anxiety and depression in patients with life-threatening cancer: a randomized controlled trial. J. Psychopharmacol. 2016 ; 30 : 1165-1180.
  • (4) Cameron LP et coll. A non-hallucinogenic psychedelic analogue with therapeutic potential. Nature 2021 ; 589 : 474-479.
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