Séance de ligotage entre amis au parc
Une jeune dominatrice professionnelle organise des rassemblements d’adeptes de shibari
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À l’intérieur de Montréal, le journaliste Louis-Philippe Messier se déplace surtout à la course, son bureau dans son sac à dos, à l’affût de sujets et de gens fascinants. Il parle à tout le monde et s’intéresse à tous les milieux dans cette chronique urbaine.
Sous un érable argenté centenaire du parc Jeanne-Mance, environ 80 amateurs de shibari ou kinbaku, les noms japonais souvent donnés à l’art du ligotage, se ficelaient et se suspendaient, le week-end dernier, devant des passants parfois médusés.
Peut-être en raison des centaines d’heures de temps libre en solitaire qu’il aura fallu meubler, la pandémie semble avoir décuplé les effectifs de la communauté de la corde.
« Je ne connais vraiment pas tout le monde ici et plusieurs m’ont dit avoir acquis leurs connaissances en shibari pendant le confinement », affirme Mlle Kate, la shibariste--dominatrice professionnelle de 30 ans qui organisait cet événement « Corde dans le parc » qu’elle compte reproduire toutes les trois semaines pendant le reste de la belle saison, toujours à proximité des Tam-tams.
« J’en ai organisé quelques étés avant la pandémie, mais jamais on n’a été aussi nombreux... loin de là. »
Les amateurs avaient leurs cordes (habituellement de jute japonais) posées devant eux sur leurs couvertures.
Mlle Kate a organisé plusieurs ateliers de shibari en visioconférence au cours des derniers mois. Certains amateurs glanent leur formation à la pièce avec des vidéos YouTube.
« Ç’a longtemps été un art élitiste et fermé en raison du coût prohibitif des cours, et moi, la mission que je me donne, c’est de rendre ça accessible, c’est d’inviter les gens à un événement comme ici, qui est gratuit, pour s’initier. »
Tout bon ancien scout reconnaîtra certains nœuds de base dans les harnais de corde shibari, mais la pratique du ligotage de haute volée, surtout si elle implique de suspendre quelqu’un, exige un ensemble de techniques complexes et de mesures de sécurité pour éviter d’endommager les nerfs du sujet ou de priver ses membres d’oxygène. Il faut donc faire très attention.
« Je préfère les demi-suspensions, où mon partenaire garde au moins un membre au sol, parce que je peux davantage focaliser mon attention sur mon interaction avec lui, alors que si je le soulève complètement, l’aspect technique et le souci de la sécurité m’absorbent », dit la professionnelle.
Macramé érotique
« Je m’attache et je m’autosuspends au moins une fois par jour à la maison, toujours avec mes ciseaux pour me déprendre en cas d’accident, et j’ai appris tout ce que je sais pendant la pandémie et le confinement », me raconte Ka, 33 ans, qui préfère garder l’anonymat.
« J’ai hâte que les donjons rouvrent, je m’ennuie d’entendre le claquement du fouet ! » s’exclame en soupirant Vi, une jeune à qui je parle pendant qu’elle réalise autour de ses jambes nues une sorte de macramé érotique avec des cordes.
Au pied du mont Royal, décence oblige : pas de nudité, de flagellation, de cire fondue versée sur la peau et autres à-côtés parashibariques.
« J’enseigne aux gens à trouver ce qu’ils veulent dans la pratique de la corde, dit Mlle Kate. Si quelqu’un que je vais attacher et dominer me dit que je peux lui faire n’importe quoi, je lui apprends à toujours poser des limites. Aimerais-tu que je sorte un fouet au milieu de la session ? Pas forcément. Voudrais-tu que je te suspende par le petit orteil ? Probablement pas. »
Pratique occidentalisée
Au Japon, le shibari, pratique cachée, demeure fortement associé au sexe, comme procédé de contrainte sadomasochiste. Dans sa version occidentalisée présentable, ce ligotage a tendance à vouloir (ou du moins à prétendre) s’émanciper de sa vocation érotique pour devenir une sorte de spectacle de danse.
Voilà pourquoi il est envisageable d’organiser un pique-nique de corde en bordure du mont Royal, mais pas au pied du mont Fuji.