Une histoire du racisme américain
Coup d'oeil sur cet article
D’entrée de jeu, Dany – je peux me permettre encore cette familiarité, pour avoir publié ses dix premiers ouvrages, ayant assisté, comme simple accoucheur, à la naissance de l’écrivain Dany Laferrière – le dit : il n’évoquera pas ici les divers racismes qui pullulent un peu partout dans le monde, « mais uniquement celui qui se pratique aux États-Unis contre les Noirs américains ». Tout en précisant que cette engeance étend ses tentacules un peu partout sur la planète et n’épargne personne. Et qu’un mot – nègre – ne prend tout son sens que dans le lieu où il est dit.
Ici, j’ouvre une parenthèse. Lorsque j’ai publié son premier roman, Comment faire l’amour avec un Nègre sans se fatiguer, Dany est vite devenu une célébrité. Il allait lui-même distribuer l’affiche de son livre en librairie, discutait passionnément avec les libraires, voyait à l’emplacement idoine de ses exemplaires sur les cubes ou les rayons, etc. Bref, Dany ne se cachait pas, il voulait être connu et reconnu, et il le sera. Bientôt on lui offrit, sur la nouvelle chaîne de télévision, Quatre Saisons, je crois, une première émission : parler de la météo avec une caméra à l’épaule. Puis on lui proposa d’animer le « téléjournal des tout-petits ». Dany était partout, en librairie et à la télé. On l’invitait de plus en plus fréquemment dans les talk-shows, dont celui de Denise Bombardier, Noir sur blanc, à Radio-Canada. On appréciait son bagout, sa désinvolture, son sens de la répartie. Cela changeait avec les propos souvent constipés de plusieurs auteurs.
Lorsque je déambulais avec lui dans la rue, les gens ordinaires le saluaient, les camionneurs klaxonnaient en guise de reconnaissance. Mais presque toujours fusaient quelques commentaires qui se voulaient drôles, du genre « T’es bronzé pas à peu près, mon Dany » ou « T’arrives-tu de Miami ? ». Ce n’était pas du racisme – on ne lui lançait pas des roches –, mais plutôt une manifestation de sous-culture, qui avait à voir avec la couleur de sa peau. Le genre « colon », pour parler québécois, qui « beurre épais ». Dany ne s’offusquait pas de ces « blagues amusantes », du moins en apparence, il souriait toujours et semblait aux oiseaux. Moi, oui, ça me bouleversait, je baissais la tête, comme si ces commentaires me concernaient, j’étais terriblement mal à l’aise et je souhaitais de tout mon cœur que Dany n’y comprenne rien à ces propos disgracieux. J’avais honte à mon peuple.
Quant aux écrivains québécois, c’était d’un autre ordre. Sans doute de la jalousie tout aussi malsaine. On me disait : « Toi pis ton Nègre ! » Ou encore : « Il n’y en a que pour ton Nègre. » Aucun de ces « gens si charmants » n’avait lu son roman, bien évidemment. Ce n’était pas du racisme, mais... Là aussi, j’avais mal à mon peuple.
Fin de la parenthèse
Le nouvel ouvrage de Dany n’est pas une thèse sur le racisme, sujet brûlant de l’heure. Il s’agit plutôt d’aphorismes qui semblent vouloir décrire les mille et une nuances de gris du racisme ordinaire. On s’y promène sans gêne aucune puisqu’on se dit que cela ne nous concerne pas, que c’est de notre voisin dont il est ici question. Mais détrompez-vous, le racisme questionne notre humanité où qu’il soit. Lorsque Martin Luther King a été assassiné, cela nous a fait mal. Lorsque Nelson Mandela était emprisonné pendant vingt-sept longues années en Afrique du Sud, dans le pays de l’apartheid, cela nous faisait mal. Lorsque George Floyd meurt asphyxié par un policier, cela nous fait mal tout autant même si cela ne se passe pas « chez nous ».
Dans ce recueil, on trouve aussi, pêle-mêle, des histoires courtes, des anecdotes, des souvenirs de rencontres mémorables, là où Dany excelle. Cette collection de textes retrace, petit à petit, mine de rien, l’histoire de l’esclavage et du racisme aux États-Unis, dans toute son horreur. Tout comme celle de la vie culturelle noire étatsunienne, où se mêlent jazz, chanson, littérature, photo, arts plastiques.
Certaines histoires nous glacent le sang, entre autres celles sur la pratique du lynchage, où tout le village était invité, y compris les enfants, à assister à la pendaison d’un présumé coupable noir, sans autre forme de procès. On en a même fait des cartes postales. D’autres sont remplies d’espoir, « comme le doux sourire triste de René Lévesque », le soir de la défaite référendaire. Merveilleux Dany.
À lire aussi
LES NOMADES DU BLUES
L’histoire du blues est étroitement liée à celle de l’esclavage aux États-Unis. Certains Africains vendus sur le marché aux esclaves chantaient et cette particularité augmentait la valeur marchande du damné de la terre. C’est dans de telles circonstances dramatiques que le blues est né, « au cours des années allant de 1865 à 1912, date à laquelle le premier blues fut officiellement publié dans l’Arkansas sous le titre Dallas Blues ». À travers le récit de l’esclavagisme aux États-Unis, et faisant appel aux merveilleuses illustrations de Christian Tiffet, Trufaut retrace l’histoire d’une trentaine d’artistes du blues, en mêlant les genres : « le blues en tricot de peau, le blues de la sueur, voisine du blues en nœud papillon, le blues du cabaret. »
KITSCH QC, HISTOIRE D’UN PATRIMOINE MÉCONNU
Si on a le moindrement voyagé au Québec, on connaît à tout le moins quelques-uns de ces 250 restaurants et bars-salons, ouverts entre 1950 et 1980, « aux décors exotiques et dépaysants auxquels on a greffé la notion de kitsch pour les caractériser », et qui ont fait « les beaux jours – et les belles nuits ! — d’un Québec avide d’ouverture sur le monde ». Et les influences venues d’ailleurs sont nombreuses : française, allemande, suisse, espagnole, grecque, italienne, nord-africaine, chinoise, japonaise, polynésienne, etc. Ces lieux, dont certains sont disparus, font partie de notre patrimoine et méritent qu’on les protège. Cet ouvrage, avec ses nombreuses photos, nous convie à un merveilleux voyage à travers le Québec d’hier et d’aujourd’hui.