Assassinat de Jovenel Moïse: la communauté haïtienne sous le choc
La nouvelle de l'assassinat du président haïtien Jovenel Moïse s'est répandue comme une traînée de poudre dans la communauté haïtienne au Québec mercredi.
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Les gens ont appris la nouvelle au réveil, puisque l'assassinat du président haïtien est survenu à Port-au-Prince vers 1 h du matin.
«La dernière fois que quelque chose de si horrible est arrivé en Haïti, c’était en 1915, et après on a vécu des moments assez difficiles», a rappelé le Dr Weibert Arthus, ambassadeur d’Haïti au Canada. «Pour le moment, ce que je peux garantir, c'est que la situation est sous contrôle.»
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Les Haïtiens qui habitent à Montréal sont sous le choc. Les gens sont extrêmement inquiets de la violence du geste, de la façon dont l’attentat a été perpétré, et surtout, de l’incertitude dans laquelle se trouve maintenant plongé Haïti. Le pays connaît de gros problèmes de violence et de gangs.
«C’est un choc parce qu’on ne s’entendait pas à ça», a dit Marjorie Villefranche, directrice générale de Maison d’Haïti à Montréal.
«Bien sûr, le pays était assez chaotique, il y avait énormément d’insatisfaction par rapport à ce président, mais on ne s’entendait pas du tout à un événement comme ça», a-t-elle indiqué à TVA Nouvelles.
«C’est sûr que ça ébranle tout le monde parce qu’un pays sans président, ce n’est pas possible alors on attend pour voir ce qu’il va se passer, a expliqué une dame. J’ai de la famille là-bas, j’ai mon frère qui est policier, mais on attend.»
L'assassinat de Jovenel Moïse ébranle les Haïtiens du Québec
François Carabin et Andrea Lubeck
Les Québécois d'origine haïtienne ont appris avec stupéfaction mercredi l'assassinat du président de la République, Jovenel Moïse. Certains d'entre eux craignent que le tissu politique en Haïti, déjà fragile, ne se déchire.
«L’assassinat du président haïtien représente une menace à la stabilité fragile du pays», a écrit la cheffe du Parti libéral, Dominique Anglade, sur son compte Twitter, en matinée.
Née de parents haïtiens, l’élue de l’opposition officielle a passé une partie de son enfance sur l’île, au sortir du régime de Bébé Doc. Elle craint un retour au déséquilibre démocratique qui ébranle Haïti depuis plus d’un demi-siècle.
Le député libéral Frantz Benjamin a ressenti un «grand choc» en lisant les nouvelles mercredi matin. Tout comme ses commettants dans la circonscription de Viau, où est établie une bonne part de la diaspora haïtienne à Montréal.
«Depuis quelques heures, je reçois beaucoup d’appels. Il y a beaucoup de tristesse. Personne, ou presque, n’a connu ce genre de crime horrible», a observé l’élu, qui a grandi en Haïti avant d’arriver à Montréal dans les années 1980.
«À qui profite ce crime-là? Définitivement pas au peuple haïtien», a-t-il dit.
La ministre des Relations internationales, Nadine Girault, est passée par les réseaux sociaux, mercredi, pour condamner un «acte de violence odieux». «Le Québec est de tout cœur et aux côtés d’Haïti», a-t-elle souligné.
Dominique Anglade «souhaite de tout cœur qu’une solution pacifique émerge de cet événement».
Le pays n’en est d’ailleurs pas à sa première crise, lui qui a vécu une série de régimes autocrates à travers les années. Depuis l’arrivée au pouvoir de Jovenel Moïse, les contestations s’y sont multipliées, notamment en raison de la hausse des prix du carburant. La pandémie, elle, continue de sévir.
Les prochaines semaines seront critiques pour Haïti, selon Frantz Benjamin. «Il faut à tout prix éviter que tout ça ne débouche sur, encore, une recrudescence de la violence. Lorsqu’on sait toutes les crises que traverse Haïti actuellement», a-t-il indiqué.
«La lumière au bout du tunnel s’est assombrie»
À l’instar des élus du Parlement, la communauté haïtienne au Québec est sous le choc et surprise de cet acte «d’une violence inouïe». Mais surtout, elle s’inquiète de ce qui attend le peuple haïtien dans les prochaines semaines.
«Déjà que la situation là-bas est chaotique, ça ne fait que l’empirer. Et ça se fait dans l’horreur en plus», a indiqué Marjorie Villefranche, directrice générale de l’organisme La Maison d’Haïti, dont la mission vise à favoriser l’intégration et l’amélioration des conditions de vie des personnes d’origines haïtienne, afrodescendantes et immigrantes au Québec.
Journaliste indépendante basée à Jacmel, en Haïti, Josianne Desjardins a affirmé ce matin au microphone de QUB radio que l’assassinat de Jovenel Moïse n’est «rien pour rassurer les gens». «On a beaucoup de questionnements. Le mystère reste entier sur comment vont se dérouler les prochains jours», a-t-elle précisé.
L’ambiance qui règne au pays est teintée de cynisme et de désespoir, mais pas de tristesse, a relaté Marie Dimanche, artiste et militante haïtienne. «Il y a quelque part une espèce de soulagement que cet homme-là soit mort, que la population haïtienne en soit enfin débarrassée. Mais le désespoir est profond. Personne ne croit que la suite de cet événement-là sera positive.»
Or, le fait que ce ne soit pas le peuple haïtien qui soit parvenu à destituer Jovenel Moïse ne laisse présager rien de bon pour lui, a-t-elle ajouté. «Les personnes qui ont commandité cet assassinat ne sont pas le peuple haïtien et ne sont pas nécessairement au service des intérêts du peuple. Ce qu’il faut, ce n’est pas la mort du dictateur, mais bien un plan d’avenir pour aider le peuple à se sortir de l’enfer qu’il vit depuis si longtemps.»
«On ne voit pas trop la lumière au bout du tunnel en ce moment, on dirait même qu’elle s’est assombrie», a-t-elle résumé à propos de l’instabilité politique chronique d’Haïti.
Un chaos volontaire
Selon l’ex-ministre des Affaires étrangères d’Haïti Charles David, établi depuis de nombreuses années au Québec, Jovenel Moïse voulait le «véritable chaos» régnant au pays. «Depuis deux ans, il gouvernait de façon quasi dictatoriale. Il n’y avait plus de parlement, plus d’institutions», a-t-il enchaîné, soulignant le caractère extrêmement complexe de la situation.
Alain St-Victor, porte-parole pour la Coalition haïtienne au Canada contre la dictature en Haïti (CHCDH), qui réclame depuis plusieurs années la démission de Jovenel Moïse, craint que son assassinat mette en péril la tenue d’élections d’ici la fin de l’année, comme il était prévu.
«Le premier ministre dit que les élections auront toujours lieu, mais ça m’étonnerait beaucoup parce qu’il n’a pas les moyens de sa politique. C’est un premier ministre de facto, qui n’a pas été ratifié par le Parlement [car il n’est pas fonctionnel], et tout ça est inconstitutionnel.»
–Avec la collaboration d’Alex Proteau