Lettre d’amour au Québec français
Coup d'oeil sur cet article
« Votre fille, regarde-t-elle beaucoup de télévision en espagnol? » demanda ma professeure de première année à ma mère.
Ma mère me jeta un regard désapprobateur. Je baissai les yeux et sentis mes joues rougir.
« Une peu, porque? » demanda à son tour ma mère dans un français cassé.
« J’ai remarqué qu’elle a encore une prononciation en espagnol pour des mots qu’elle veut dire en français. Par exemple, elle dit païs au lieu de pays, » répondit ma professeure.
Je n’avais que six ans, mais je me souviens de cette conversation comme si c’était hier, car ma mère limita grandement ma consommation d’émissions en espagnol après cette rencontre. Finis les jours où je m’assoyais à côté d’elle pour regarder Rosa Salvaje, une telenovela mexicaine populaire dans les années 80 et 90.
Immersion dans la culture québécoise
À partir de ce moment-là, ma mère s’assura que mon français pour le moins parlé soit impeccable. Elle m’acheta des livres et des films en français. Elle n’a jamais pris comme un affront à notre culture ou notre langue le fait que cette jeune professeure mentionne que mon français pouvait s’améliorer si l’on m’exposait plus à l’écoute de cette langue. Ma mère a vite saisi qu’il fallait s’adapter et que cette adaptation devait inévitablement passer par l’immersion de ses enfants dans la langue et la culture d’ici.
Je n’ai jamais su ce qui est arrivé à la fin de la telenovela, mais j’ai découvert Les mystérieuses cités d’or. Je me suis assise devant Passe-Partout. J’ai commencé à dévorer les romans de La Courte Échelle et mon français s’est amélioré. À la fin de mon secondaire, on me décernait le prix d’excellence en français.
Mon beau-frère, né ici, a vécu quelque chose de semblable à l’école. Sa professeure aussi aborda sa mère pour lui dire qu’on devait l’encourager à communiquer en français. Sa famille également n’a pas pris cela comme une offense, mais a pris un peu trop à cœur le conseil. Mon beau-frère peine à communiquer en espagnol, mais comprend bien quand quelqu’un lui parle la langue de Cervantes. Fier Québécois, il n’oublie pas pour autant ses origines honduriennes.
Durant toute mon éducation académique, j’ai pris un goût à cette langue belle, comme chantait Yves Duteil, à tel point que je la parle mieux que mon espagnol. Je n’ai qu’une connaissance rudimentaire de l’écrit de ma langue maternelle. Mais du français, j’en connais les rouages bien que je roule encore mes r quand je parle.
Comme des millions d’immigrants venus s’établir ici au Québec, ma mère fuyait une guerre et cherchait un avenir meilleur pour elle et ses enfants. C’est ici qu’en 1985, elle a décidé de venir s’installer. Ses deux enfants ont reçu une bonne éducation, savent parler trois langues, et habitent un pays sûr et fort économiquement. Comment ne pas être reconnaissant envers cette terre et ces gens qui nous ont accueillis? Pourquoi ne pas leur rendre hommage en apprenant leur langue, la langue d’ici?
Tania Lorena Rivera,Vit au Québec depuis plus de 35 ans