Il faut aller plus loin pour protéger le français au collégial
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Le système actuel de marché linguistique au collégial fait en sorte que le français n’est pas considéré comme une langue essentielle à l’acquisition d’une culture générale et à l’atteinte de métiers et professions de haut niveau. On la traite comme une simple langue optionnelle et l'on envoie le message qu’il n’est pas nécessaire d’avoir un niveau de français supérieur en cinquième secondaire pour participer à la société québécoise.
Nous sommes heureux de constater que le projet de loi 96 a comme objectif principal l’affirmation du français comme seule langue officielle du Québec et comme langue commune de la nation québécoise. Nous pensons toutefois qu’une limitation de l’accès aux cégeps anglais pour les étudiants issus du secondaire français n’est pas suffisante.
Cela ne fait que confirmer et reconduire une situation néfaste en elle-même au français, particulièrement dans la métropole. Les cégeps anglophones devraient être considérés comme une exception, un droit dont jouit la communauté historique anglophone du Québec. Or, la loi 96 change peu l’état actuel des choses: la population des cégeps anglophones sera encore majoritairement constituée d’allophones et de francophones.
La situation est critique
On sait pourtant que l’expansion démesurée des cégeps anglophones joue un rôle important dans le déclin du français au Québec et particulièrement à Montréal. On sait depuis plus de dix ans que la situation est critique: l’étude de la Centrale des syndicats du Québec (CSQ) publiée en 2010, «Le choix anglicisant», avait déjà fait sonner l’alarme et le mathématicien Charles Castonguay l’avait fait bien avant dans de nombreux livres et articles.
Il est maintenant clair et net que le cégep anglophone anglicise: les étudiants fréquentant les cégeps anglais ont très majoritairement tendance à poursuivre leurs études à McGill ou à Concordia et, au sortir de l’université, à travailler en anglais. Fait non négligeable: les cégeps anglophones ont aussi un impact important sur les conditions de travail des employés de ces institutions. Notons que l’application de la loi 101 au collégial franciserait plus de 2000 emplois.
On ne peut pas non plus affirmer que faire des études collégiales en anglais est un simple moyen pour les étudiants de devenir bilingues: ils le sont déjà! Le bilinguisme des jeunes québécois est déjà assuré par les nombreux cours d’anglais qu’ils suivent au primaire, au secondaire et au collégial.
Observons aussi un fait important: l’anglais est très souvent la langue des consommations culturelles (médias, films, musiques, jeux vidéos, spectacles, etc.) de nos étudiantes et de nos étudiants. Permettre la fréquentation des cégeps anglophones aux allophones et aux francophones nous apparaît donc extrêmement nuisible à la vitalité du français au Québec: cela revient à ajouter encore plus d’anglais à l’univers fortement anglicisé dans lequel nos étudiants baignent déjà. Dans l’univers mondialisé et américanisé dans lequel ils vivent, ils n’ont pas tant besoin de plus d’anglais que de plus de français.
Ils attirent les meilleurs élèves
De plus, il faut garder en tête que les cégeps anglophones attirent, sur l’île de Montréal, la majorité des étudiants francophones et allophones qui ont les plus hautes cotes R, et que les demandes d’étudiants non anglophones pour les cégeps anglophones sont de l’ordre du double, voire du triple, de ce que ceux-ci peuvent accepter.
Nous sommes donc en présence d’un engouement massif pour les cégeps anglophones, doublé d’une dynamique élitiste où les cégeps français apparaissent faussement aux yeux de plusieurs étudiants comme des seconds choix offerts aux étudiants les moins performants. En plus de donner une image négative imméritée aux cégeps francophones, cette dynamique va nécessairement engendrer une demande constante pour une hausse du nombre d’étudiants à qui l'on offrira le privilège de s’intégrer au réseau collégial anglais.
N’est-il pas plus juste d’offrir à toutes et à tous des études collégiales dans la langue commune du Québec uniquement? N’est-il pas plus facile de faire accepter à toutes et tous la règle claire de la loi 101, plutôt qu’une règle de deux poids, deux mesures qui ne peut qu’entretenir un ressentiment permanent?
S’il souhaite vraiment assurer la vitalité du français au Québec, le gouvernement doit aller plus loin que ce qu’il propose dans son projet de loi 96.
Georges-Rémy Fortin, Yannick Lacroix, Nicolas Bourdon, Mathieu Bélisle, Caroline Hébert, Jean-François Vallée, Richard Vaillancourt, Sébastien Mussi, professeurs de cégep et membres du regroupement Pour le cégep français
- Il s’agit d’un extrait du mémoire déposé à l’Assemblée nationale et signé par un peu plus d’une centaine de professeurs du réseau collégial.