Ce que l’on voit dans les cartes
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Chaque jour, plein d’hommes et de femmes se font prédire l’avenir dans les cartes, les chiffres ou les astres. Avec intelligence, sans voyeurisme, Voyances s’y attarde.
La tante qui tire aux cartes comme celles et ceux qui vivent d’astrologie ou du tarot ne manquent jamais d’adeptes. Pourtant, tout ce monde est absent de l’univers de la fiction.
Alors, comme elle l’a fait pour son précédent ouvrage L’embaumeur, Anne-Renée Caillé a décidé d’illuminer à sa manière ce sujet d’arrière-plan. Car il ne s’agit pas d’une enquête journalistique, mais bien d’un regard sur la façon dont des prédictions sont reçues.
L’histoire de Voyances est racontée par Anne, narratrice et alter ego de l’auteure. Ça démarre parce qu’une commande lui a été passée : écrire un texte sur la sorcellerie. Pour alimenter sa réflexion, pourquoi ne pas aller voir quelqu’un qui pratique la voyance ?
Bouche-à-oreille aidant, elle se retrouve chez un tireur de cartes. Et ça donnera, dans la réalité comme dans le livre, l’article attendu.
Mais ça éveillera aussi la curiosité de la jeune femme. Pas qu’elle ait des questions précises à poser, plutôt une envie d’entendre « des récits de soi par d’autres que soi ». Sans négliger l’attrait de nager dans les eaux troubles du scepticisme : accueillir l’occulte, comme on le lit dans le roman.
Anne va donc décrire en détail ce que lui racontent les gens qu’elle consulte et comment elle interprète leurs propos.
Sans se moquer
Le texte prendra ainsi une tournure intéressante, puisqu’on passe du récit que des inconnus tiennent sur Anne au récit qu’elle-même retissera de sa vie. Le rapport à sa mère, à son petit garçon et peut-être à un autre enfant, l’importance de la maison, son besoin d’écrire seront revus à travers le filtre de ce qu’elle entend.
Voyances est moins prenant que L’embaumeur, qui dépeignait avec délicatesse le travail du père de l’auteure. Ici, il faut s’accrocher – ou se laisser aller ! –, pour ne pas s’égarer dans le langage propre à l’astrologie, où se croisent Maisons et Nœuds lunaires.
Mais Anne-Renée Caillé n’a pas perdu la main : même en décrivant la technique du tarot ou l’ordinaire d’un lieu, son écriture tend vers la poésie. On se laisse emporter par la manière qu’elle a de déposer les mots. C’est feutré, apaisant.
Alors non, elle ne se moque pas, même quand elle débarque dans une foire de la voyance. Elle cible vite les travers de l’événement – la manière d’attirer la clientèle, de la faire parler puis de la faire payer. Mais s’il y a esbroufe, il y a aussi tout un art de raconter.
« Et il faut imaginer cette énergie créatrice sur toute la durée de la foire. Un tour de force. Je l’ai alors admirée », raconte Anne en parlant de la Crystal qu’elle y a consultée.
C’est pareil ici : que la carte du ciel d’une autre ou sa numérologie arrive à nous séduire ainsi, c’est bien la marque d’une écrivaine de talent.