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Projet de loi 96: une loi 101 à la fois «costaude» et modérée

De nombreux groupes sont venus témoigner sur la refonte de la Charte de la langue française

Simon Jolin-Barrette
Photo d’archives, Jean-François Desgagnés Le ministre Simon Jolin-Barrette pilote la réforme de la loi 101.

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Les auditions publiques sur la réforme de la loi 101 se sont terminées jeudi, après que furent entendus une cinquantaine de groupes sur une période de trois semaines. Les témoignages ont permis de brosser le portrait de changements législatifs fondamentaux, en plus de relever certaines craintes importantes, mais le projet de loi 96 n’a pas soulevé les débats d’antan. Si le ministre Simon Jolin-Barrette se félicite d’avoir trouvé un certain équilibre, d’autres intervenants estiment que les mesures ne permettront pas de renverser le déclin du français au Québec.

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L’imposer aussi au cégep  

Les ex-ministres péquistes Louise Beaudoin et Louise Harel ont enjoint le gouvernement Legault à aller plus loin dans sa réforme, en obligeant les étudiants francophones et allophones à fréquenter le cégep en français.  

Louise Beaudoin et Louise Harel
Photos d'archives
Louise Beaudoin et Louise Harel

Québec a plutôt opté pour un gel des effectifs de 10 ans dans les cégeps anglophones, suivi d’une hausse limitée pour représenter la part de la minorité historique dans la population.  

Alors que le ministre qualifie son projet de loi de modéré, Mme Beaudoin plaide que l’urgence commande des mesures drastiques. « Ça ne peut pas être [...] un projet de loi modéré et raisonnable étant donné la situation du français au Québec », dit-elle. 

Pionnier du système des cégeps au Québec et artisan de la Révolution tranquille, Guy Rocher est venu dire que le gouvernement péquiste avait fait une « erreur » en 1977. « Nous aurions dû porter la loi 101 jusqu’au cégep, et même, je dirais, jusqu’au baccalauréat à l’université », a-t-il déclaré.

Rebuter les cerveaux étrangers ?  

Avec sa réforme, Québec limitera à trois ans l’exception qui permet à un travailleur étranger d’envoyer son enfant dans le réseau scolaire anglophone. 

En ce moment, ce permis est renouvelable, jusqu’à ce que le travailleur demande d’obtenir un statut de résident permanent.  

Pour le président de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain, une telle mesure nuira au recrutement de cerveaux étrangers. Michel Leblanc a donné l’exemple d’un expert des technologies de l’information sollicité par Nokia, en Finlande, Ikea, en Suède, ou une entreprise québécoise. Dans les deux premiers cas, ses enfants n’auront pas à fréquenter l’école en finlandais ou en suédois au bout de trois ans.  

Un avantage important, dit-il, chez cette main-d’œuvre hautement mobile qui demeure dans un pays uniquement quelques années. « Ça réduit de 10 %, 15 % les gens qu’on est capable d’attirer », estime M. Leblanc.  

Mesures insuffisantes pour renverser le déclin  

Malgré des modifications importantes, plusieurs intervenants ont déclaré que le projet de loi 96 ne permettra pas de renverser le déclin de la langue française au Québec.  

« Je suis convaincu qu’effectivement on peut s’attendre à ce qu’il y ait une remontée du pourcentage de personnes qui vont utiliser le français dans l’espace public. De là à dire qu’on va renverser la tendance, ça m’étonnerait fort », a commenté le démographe Marc Termote, cette semaine.  

Le démographe Marc Termote
Photo courtoisie
Le démographe Marc Termote

Le professeur explique que « depuis 2001, il y a manifestement un renversement en faveur de l’anglais, aussi bien dans l’espace public que dans l’espace privé ». « Dans l’espace privé, je ne vois pas comment on peut renverser et même freiner la tendance au déclin du français », estime-t-il.  

Il sera impossible de contester  

La principale critique apportée au projet de loi concerne l’application mur-à-mur de la clause dérogatoire. Cela signifie que les tribunaux ne pourront pas « charcuter » la réforme du gouvernement Legault, comme ce fut le cas avec la version originale de la loi 101.  

Mais Québec empêchera du même souffle toutes contestations par des citoyens qui estimeraient leurs droits fondamentaux brimés. « Si le projet de loi porte atteinte à des droits et libertés de la personne et que le gouvernement souhaite s’y soustraire, il paraît donc essentiel de les identifier pour que les citoyens puissent en être informés et qu’un véritable débat puisse avoir lieu sur la question », a déclaré le président de la Commission des droits de la personne, Philippe-André Tessier.  

La députée libérale Hélène David a donné l’exemple des nouveaux pouvoirs de l’OQLF, qui lui permettront notamment d’inspecter un ordinateur portable. Ça « pose un enjeu important du droit à la vie privée », dit-elle. 

Craintes des anglophones  

Le groupe Quebec Community Groups Network accuse les caquistes de vouloir créer deux catégories de citoyens.  

« Comme le projet de loi 21, il remodèle la loi et la société québécoises pour créer sans équivoque un groupe “de privilégiés” et un groupe “d’étrangers” », écrit le QCGN dans son mémoire, en dénonçant entre autres le contingentement des cégeps de langue anglaise.  

Fondamentalement, le gouvernement Legault et le QCGN ne s’entendent pas à savoir qui est un « anglophone ». Québec limite sa définition à la minorité historique. « Ce concept révoque le droit à l’accès à des services en anglais pour environ 300 000 à 500 000 Québécois d’expression anglaise », estime le QCGN. Le groupe considère plutôt que les individus devraient pouvoir s’identifier à la communauté de leur choix, incluant les nouveaux arrivants.   

Des millions $ pour modifier l’affichage  

Simon Jolin-Barrette
Photo d'archives, Pierre-Paul Poulin

Avec la nouvelle loi, plusieurs commerçants devront ajouter des éléments en français pour accompagner une marque de commerce anglaise. Pour le moment, une modification du gouvernement Couillard datant de 2016 exige une « présence suffisante » du français, comme l’affichage d’un menu permanent.  

Désormais, la langue de Molière devra avoir une « nette prédominance » sur la marque de commerce en anglais. 

Pour les commerçants, cela signifie de nouveaux coûts. Certains ont fini de se conformer aux dernières modifications il y a seulement deux ans. « Ces dépenses se chiffrent en millions de dollars », évalue le Conseil québécois du commerce de détail.

Montréal est « une alliée »  

Même si la Ville de Montréal n’a pas toujours été exemplaire dans la promotion de la langue française, la mairesse Valérie Plante a offert sa collaboration au gouvernement Legault.

Valérie Plante
Photo Agence QMI, Joël Lemay
Valérie Plante

« [...] La Ville de Montréal est une alliée et un partenaire de premier plan du gouvernement du Québec dans la valorisation de la langue française », a-t-elle déclaré en commission parlementaire. 

Du même souffle, la mairesse a toutefois réclamé que Québec recule sur sa volonté de limiter à six mois la période où la Ville pourra communiquer en anglais avec les nouveaux arrivants. Certains événements, comme un avis d’ébullition d’eau ou un bris de canalisation, requièrent de pouvoir communiquer en anglais, a-t-elle plaidé. Ces incidents sont déjà prévus à la loi, assure le ministre.  

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