Sortir du bois
Il nous fait bien marcher, Christian Guay-Poliquin ! Avec lui, on s’enfonce dans les bois en enjambant les racines, en repoussant les branches... Les ombres filantes est un roman qui se ressent.
Christian Guay-Poliquin avait déjà marqué les esprits avec son roman Le poids de la neige, véritable succès littéraire traduit en 15 langues.
Grièvement blessé, reclus avec un vieil homme, le narrateur devait attendre la fin de l’hiver pour se remettre en marche. À l’extérieur, toute la société allait de travers, paralysée par une panne qui rendait difficile de trouver vivres et essence. Un véritable cauchemar.
Les ombres filantes reprend là où le roman précédent s’achevait. La panne d’électricité sévit toujours et le narrateur a décidé d’aller rejoindre sa famille dans un camp de chasse où elle se serait réfugiée. Il n’a pas la grande forme, mais il est débrouillard et déterminé.
On le retrouve en plein bois alors qu’il se réveille, adossé à une souche. Un loup le guette. « Je m’éloigne lentement, très lentement, pieds nus dans les feuilles mortes. » La forêt nous est dès lors donnée à la fois comme refuge et comme menace.
Et, on le découvrira vite, les bêtes qui rôdent ne sont pas qu’animales.
Le narrateur y croisera un jeune garçon, Olio, qui décide de s’attacher à ses pas. Il n’est pas banal ce duo d’inconnus dans un monde où dorénavant la méfiance fait loi.
Et c’est ensemble, après bien des détours et de surprenantes rencontres, qu’ils atteindront le camp salvateur. Sauf que là-bas, la survie se bute à d’autres écueils.
Toute cette odyssée est formidablement racontée.
D’abord parce que Guay-Poliquin sait faire vivre la nature. Comme autrefois avec la neige, la forêt ici nous enveloppe littéralement de sa masse et de ses odeurs.
Quand le sol est glissant, on s’agrippe aux branchages ; quand la noirceur descend, on allume la frontale et « on se fraie un chemin entre les écorces qui reluisent ». La peine, la peur, l’effort, tout est incarné en phrases courtes, rythmées.
Faire corps pour survivre
L’auteur nous entraîne aussi dans une traversée des sentiments. Olio, 12 ans, un brin délinquant, agace le narrateur, mais son indépendance le fascine. Doucement, une filiation se développe.
En contrepartie, il y a la véritable famille du narrateur. Installée au camp de chasse, elle l’a transformé en lieu sûr, mais au prix de règles et de tâches nombreuses qui rythment le quotidien. Remplir le garde-manger est une obsession. Et puis pas de quartier pour les étrangers ! Le refuge est dûment défendu.
Surtout, les mini-sociétés qui se recréent quand la grande s’écroule n’ont rien d’apaisant. Pour survivre, il faut faire corps, pas dissidence. La force séductrice du groupe est brillamment exposée ici, tout comme le mal-être qu’il crée.
Faut-il partir, faut-il rester ? La question s’impose et jusqu’au bout, l’énergie vitale qui traverse Les ombres filantes nous prend dans ses rets.
Christian Guay-Poliquin boucle ainsi un inoubliable cycle de la survie et un grand roman. Un autre.