Agressée, comme sa mère, 19 ans plus tard
Une jeune femme de Sherbrooke voudrait que son bourreau réponde de ses actes devant la justice
SHERBROOKE | Geneviève Rioux a vécu deux violations de domicile au beau milieu de la nuit. La première fois, alors qu’elle était âgée de 7 ans, un inconnu a tenté de violer sa mère qui dormait à l’étage. Lors de la seconde, à 25 ans, c’était elle, la cible. Trois ans et demi après avoir frôlé la mort, elle attend toujours que l’homme qui a tenté de la tuer à coups de griffes de métal soit accusé.
L’étudiante au doctorat en psychologie a accepté de prendre la parole, à propos de l’agression subie dans la nuit du 7 au 8 avril 2018, pour donner une voix à toutes les victimes de féminicide qui n’ont pas eu la chance de le faire.
Geneviève Rioux a reçu notre Bureau d’enquête chez elle pour confier un lourd secret dans l’espoir de délier des langues afin que son agresseur réponde enfin de ses actes devant un tribunal.
L’évènement traumatique qu’elle a vécu dans son logement de Sherbrooke comporte plusieurs ressemblances frappantes avec la tentative de viol dont sa mère a été victime le 30 juin 1999, dans la maison familiale de Rimouski.
« Ça pourrait être important, si quelqu’un détient une information, d’arrêter cet individu-là », a-t-elle résumé d’une voix calme.
Similitudes
Les agressions sont survenues à 19 ans d’intervalle, dans deux régions du Québec, mais il y a plusieurs similitudes entre elles.
Dans les deux cas, un homme s’est introduit par effraction dans la chambre à coucher des deux femmes, passé minuit.
Le suspect – masqué dans le cas de Geneviève – s’est jeté sur sa proie, lui ordonnant de se tourner sur le ventre.
Mère et fille ont résisté, combattu la violence qui s’abattait sur elles, pour réussir à pousser l’agresseur hors de la pièce. Elles ont hurlé à l’aide, mais n’ont pas été entendues.
Lorsqu’elles ont enfin réussi à composer le 911, l’intrus s’était volatilisé.
Geneviève Rioux avait 7 ans lorsqu’elle s’est fait réveiller par les cris et les larmes de sa mère en panique.
« En haut des escaliers, elle nous a interpellées : “Il y a quelqu’un dans la maison Geneviève, va chercher ta sœur et monte en haut ’’. J’ai répondu : “Maman, t’as fait un cauchemar ?’’ ‘‘Non, c’est vrai, Geneviève, ce n’est pas un cauchemar. Va chercher ta sœur’’ », s’est-elle remémoré.
Armes asiatiques
La principale différence entre les deux violations de domicile réside dans l’utilisation d’armes très particulières.
L’agresseur de Geneviève était muni de deux armes d’origine asiatique généralement utilisées par les amateurs d’arts martiaux, soit un Karambit et un Kubotan. Le premier est un couteau à lame incurvée rappelant une griffe, tandis que le second est un petit bâton pointu tenant dans la paume d’une main.
Geneviève Rioux a d’abord reçu huit coups de couteau au visage. « Ici, ici, ici, ici, ici, ici, deux ici », nous a énuméré la jeune femme en pointant les cicatrices toujours apparentes sur son corps. En tout, elle a été atteinte à 18 reprises.
Mais « armée de [sa] rage de vivre », la Sherbrookoise s’est défendue.
Dans sa lutte, elle a déboulé un escalier. Son agresseur l’a rejointe au palier inférieur, où il l’a étranglée jusqu’à ce qu’elle perde conscience.
« L’humain, de ses deux mains, est le seul animal à sang chaud capable d’asphyxier de sang-froid », peut-on lire dans une suite poétique intitulée Je n’ai pas dit mon dernier souffle, qu’elle a publiée récemment dans le cadre de sa démarche réparatrice.
« Me reconnais-tu ? »
Mais Geneviève Rioux a repris connaissance, s’est relevée, et a réussi péniblement, aveuglée par le sang ruisselant sur son visage, à remonter l’escalier pour récupérer son cellulaire et appeler les secours.
« Non, ce n’est pas moi qui vis dans la plus grande terreur. Les statistiques te trahissent. Près de 80 % des victimes connaissent leur agresseur. Me reconnais-tu ? », a-t-elle écrit dans son feuillet.
C’est que seulement une poignée de personnes, outre sa famille immédiate, étaient au courant de l’agression vécue par la mère de Geneviève. « Une très fine minorité » en connaissait les détails.
« Mon hypothèse, c’est que mon agresseur connaissait mon histoire. Il l’a utilisée contre moi. S’il n’est pas d’accord, qu’il se prononce là-dessus », a-t-elle courageusement lancé en entrevue.
Bien qu’elle soit habitée par un sentiment de victoire et qu’elle soit reconnaissante d’être en vie, Geneviève Rioux n’a toujours pas obtenu justice.
« Une preuve hors de tout doute raisonnable, ça semble vraiment difficile à démontrer », a-t-elle laissé tomber sans vouloir en dire davantage.
Un des suspects poursuit la police
Notre Bureau d’enquête a découvert que la police de Sherbrooke, qui a collaboré avec la Sûreté du Québec dans cette affaire, avait au moins un suspect dans sa mire, mais que le Directeur des poursuites criminelles et pénales a refusé de déposer des accusations contre lui à ce jour.
Celui qui se décrit lui-même comme « un ami proche de la victime », dans un document judiciaire dont nous avons obtenu copie, poursuit désormais les deux corps policiers au civil pour atteinte à sa réputation.
Geneviève Rioux est au fait de cette procédure, mais elle a refusé d’aborder le sujet avec notre Bureau d’enquête.
Celle-ci se concentre actuellement sur son projet de recueil de poésie dont la parution est prévue au printemps 2022.
Un suspect poursuit la police
Suspecté d’avoir agressé son « amie proche », un futur psychologue poursuit les autorités, à qui il réclame plus de 435 000 $.
Estimant que les policiers ont entaché leur réputation, Olivier Dussault et sa conjointe actuelle, Carolanne St-Louis, ont intenté une poursuite à l’endroit de la Ville de Sherbrooke, de trois de ses enquêteurs, du procureur général du Québec et de deux sergents de la Sûreté du Québec.
« L’enquête sur le demandeur a duré plus d’un an sans qu’aucune accusation n’ait été portée contre lui. Au cours de cette enquête, les enquêteurs se sont immiscés dans la vie personnelle et professionnelle des demandeurs [...] », lit-on dans la requête dont notre Bureau d’enquête a obtenu copie.
Selon ce même document judiciaire, Olivier Dussault était un « ami proche » de Geneviève Rioux lorsque celle-ci a été agressée en avril 2018. Ils étaient tous deux étudiants au doctorat en psychologie à l’Université de Sherbrooke.
Dans sa poursuite, l’homme de 30 ans affirme avoir été « victime de violence et d’isolement de la part de ses collègues et professeurs de l’Université » dans les mois qui ont suivi l’attaque sanglante.
Le logement qu’il partageait avec sa conjointe a été perquisitionné par les autorités en avril 2019, et il a été arrêté trois mois plus tard.
Jamais accusé
Après 12 heures d’interrogatoire, il a été relâché avec promesse de comparaître. Cela ne s’est toutefois jamais concrétisé.
« Le ou vers le 31 octobre 2019, un policier contacte le demandeur pour l’informer que le procureur en charge du dossier refuse d’intenter des poursuites », lit-on dans la requête.
Le couple Dussault-St-Louis est toutefois d’avis que « les enquêteurs ont abusé de leur pouvoir » et ont porté atteinte à sa réputation, à sa dignité, à sa vie privée et à son intégrité physique et psychologique.
Olivier Dussault, dont « l’avenir professionnel [comme psychologue] dépend, en grande partie, d’une bonne réputation et d’une absence de dossier criminel », soutient avoir perdu un emploi à la suite d’une rencontre entre son patron et les enquêteurs.
Celui qui est contrebassiste au sein du groupe Excavation & Poésie estime avoir aussi perdu des contrats de musique.
Lors d’un interrogatoire dans le dossier civil, en décembre 2020, Olivier Dussault a affirmé sous serment qu’il était victime d’une « erreur sur la personne ».
Questionné par l’avocat de la Ville de Sherbrooke, le jeune homme a ajouté s’attendre à recevoir des excuses de la part de la police, estimant être relié injustement à l’agression sauvage de Geneviève Rioux.
Invité à énumérer des éléments pouvant le disculper, Olivier Dussault a, entre autres, évoqué le fait qu’il était amoureux de la victime à l’époque.
Il a soutenu qu’il dormait chez lui lors du crime et qu’il s’est présenté au chevet de la jeune femme dès le lendemain.
Et s’il a refusé de passer le polygraphe, s’est-il justifié, c’était sur les conseils d’un criminaliste et pour se concentrer sur son examen doctoral à venir.
La police doit collaborer
Au printemps dernier, un juge de la Cour supérieure a donné raison à l’avocat d’Olivier Dussault, qui voulait obtenir une copie des documents d’enquête concernant l’agression de Geneviève Rioux.
Les autorités refusaient jusque-là de fournir le dossier.
« En l’espèce, la pertinence des documents demandés ne fait pas de doute. Ils sont susceptibles de faire avancer grandement le débat. Leur communication de la façon initialement convenue évitait de ralentir et de compliquer inutilement l’avancement du dossier, tout en favorisant la recherche de la vérité », a tranché le juge Charles Ouellet.