Du plastique qui pourrait être nocif
Nos tests montrent la présence probable d’un contaminant dans des objets du quotidien à la maison
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Un produit chimique interdit depuis plus de 10 ans au Canada se trouve encore dans des objets de plastique du quotidien, laissent penser des tests effectués pour notre Bureau d’enquête. Dans un des cas, la quantité présente pourrait être 325 fois supérieure à la limite européenne.
C’est l’un des constats faits dans le grand reportage Microplastiques, diffusé sur Vrai. Il montre comment les microplastiques transportent des produits chimiques jusque dans le Saint-Laurent et menacent les espèces qui y vivent, dont le béluga.
Quinze produits de plastiques, dont des jouets, des appareils électroniques et des outils de cuisine, ont été analysés par l’entreprise Malvern Panalytical à Québec.
Selon leur analyse, un chargeur de batterie, un adaptateur de courant pour caméra et une spatule contenaient du brome, un élément qui indique la présence probable de polybromodiphényléthers (PBDE).
En cas d’exposition prolongée à une quantité très importante, les PBDE pourraient perturber les systèmes hormonal et reproducteur, provoquer des cancers, et même réduire le quotient intellectuel des enfants.
Comme le révélait notre Bureau d’enquête mardi dernier, des chercheurs soupçonnent que les PBDE contribue à la mort de bébés bélugas dans le Saint-Laurent.
AUCUNE LIMITE
Le Canada interdit la vente, l’importation et l’utilisation de PBDE depuis 2008, à l’exception de deux variantes qui, elles, ont été interdites en 2016. Ces produits chimiques étaient auparavant utilisés dans certains plastiques pour diminuer les risques d’incendie.
L’importation de produits qui contiennent des PBDE reste malgré tout permise. Le pays n’a pas non plus établi de limite quant à la quantité maximale de PBDE pouvant être présente dans un objet.
Cette situation choque Roxana Suehring, professeure associée en chimie analytique à l’Université Ryerson, à Toronto, qui a étudié les PBDE.
«Si un produit chimique est interdit, il devrait également l’être dans les produits qui sont importés.»
Le contrôle des PBDE est plus sévère en Europe. La norme RoHS, entre autres, établit une limite maximale de 1000 parties par million (ppm) dans les plastiques des appareils électroniques.
Si l’on se base sur la norme européenne, la quantité de PBDE probablement présente dans l’adaptateur de courant testé pour nous serait 325 fois supérieure à la limite. Pour le chargeur de batterie, ce serait 223 fois plus.
Il est important de préciser que l’adaptateur date de 2010, soit après l’entrée en vigueur de la réglementation canadienne. La date de fabrication du chargeur, elle, est inconnue.
Rien sur l’étiquette de ces produits ne permet aux consommateurs de se douter que des PBDE s’y trouveraient. Notre journaliste utilisait ces produits jusqu’à ces tests.
CUISINER AUX PBDE
La quantité probable de PBDE détectée dans la spatule de cuisine achetée en 2021 serait deux fois inférieure à la norme RoHS. Vu la faible quantité de brome trouvée, l’expert estime que la présence de PBDE serait possiblement involontaire de la part du manufacturier.
Comme les tests effectués détectaient le brome, et non les PBDE directement, il est aussi possible que la spatule renferme un autre type de retardateur de flamme bromé, souligne Mme Suehring.
Ces retardateurs de flammes bromés sont « massivement » utilisés en remplacement des PBDE.
MAUVAIS REMPLAÇANTS
Or, les études montrent aujourd’hui que ces molécules « sont plus souvent qu’autrement tout aussi néfastes que les PBDE », dit Roxana Suehring. C’est ce que les experts qualifient de « substitution regrettable ».
L’experte estime qu’il n’y a pas raison de paniquer vu lea faible quantité de brome détectée dans la spatule.
«Mais, tout de même, pourquoi ne pas utiliser une spatule en bois, avec laquelle vous n’auriez pas à vous inquiéter ?»
Son conseil est d’autant plus valide que les PBDE n’est qu’un seul des nombreux additifs chimiques utilisés dans les plastiques afin de modifier leurs propriétés.
«Il y a beaucoup de secrets industriels derrière la présence d’additifs, et on ne connaît pas tous les risques sur la santé et l’environnement», indique Geneviève Dionne, directrice de l’écoconception chez Éco Entreprises Québec.
Selon une étude récente, plus de 10 000 additifs chimiques sont utilisés par l’industrie du plastique dans le monde, et les effets sur la santé et l’environnement de 40 % d’entre eux sont inconnus.
Les filtres à microplastiques pourraient être imposés
Le gouvernement fédéral songe à les imposer pour réduire la pollution dans l'eau
Ottawa pourrait bientôt rendre obligatoires les filtres à microplastiques dans les machines à laver afin de réduire la pollution plastique dans l’eau, a appris notre Bureau d’enquête.
«C’est l’une des options que nous étudions présentement», affirme Steven Guilbeault, ministre de l’Environnement et du Changement climatique.
Le lavage des vêtements en tissus synthétiques est une importante source de microplastiques dans les eaux usées. Selon une étude d’Ocean Wise, les laveuses recracheraient 6,3 mille-billions de microfibres de plastique dans les eaux usées chaque année au Canada.
Même si les usines d’épuration peuvent filtrer près de 95 % des microfibres, 0,26 mille-billions, soit 67 tonnes, seraient rejetés annuellement dans lacs et rivières du pays, dont le Saint-Laurent.
Ces particules transportent avec elles des produits chimiques potentiellement toxiques pour l’environnement et la santé.
Ottawa étudie en ce moment «les meilleurs mécanismes pour limiter et voire éliminer complètement la présence de microfibres de plastique dans nos cours d’eau», dit Steven Guilbeault.
S’inspirer de la France
Le gouvernement pourrait ainsi s’inspirer de la France, qui a déjà annoncé que les filtres à microplastiques seront obligatoires dans les nouvelles laveuses à compter de 2025.
Des filtres à microplastiques pour laveuse sont déjà offerts sur le marché pour les consommateurs soucieux de l’environnement. Ils s’installent sur la sortie d’eau de la laveuse, et il suffit de les vider régulièrement, un peu comme le filtre à charpie de la sécheuse.
Alors qu’Ottawa multiplie les annonces au sujet de la pollution plastique, Québec peine à accoucher de sa stratégie pour lutter contre le problème.
Dans son dernier plan d’action sur les matières résiduelles, le gouvernement s’engageait à publier une «stratégie gouvernementale visant à réduire l’utilisation des plastiques et des produits à usage unique» d’ici 2020.
Stratégie attendue
Près de deux ans après cette date limite, la stratégie se fait toujours attendre.
Le ministre de l’Environnement Benoit Charette a refusé d’accorder une entrevue à notre Bureau d’enquête. Par courriel, il a indiqué que la pollution plastique est une «préoccupation».
Un porte-parole du ministère a affirmé que « les mesures de la stratégie sont actuellement en évaluation » et que des consultations avaient lieu cet automne.
Le ministère collabore également avec Environnement Canada et des universités québécoises pour étudier sur les microplastiques dans l’eau et l’environnement.
Les plastiques ne sont pas toxiques, selon l’industrie
Les producteurs de plastique ne s’estiment pas responsables de la forte présence de microplastiques et de leurs produits chimiques dans le fleuve Saint-Laurent.
«C’est la gestion des déchets de plastique qui est le problème», affirme une porte-parole de l’industrie.
«Les plastiques ne sont pas toxiques», dit Elena Mantagaris, vice-présidente de la division des plastiques à l’Association canadienne de l’industrie de la chimie (ACIC), un important lobby qui représente 75 fabricants de plastique canadiens, dont Dupont et Dow Chemical Canada.
La porte-parole souligne aussi que les effets des microplastiques sur la santé humaine ne sont pas démontrés, et que l’industrie suit les règles gouvernementales pour ce qui est de l’utilisation des produits chimiques.
Recycler à 100 %
Malgré tout, elle estime «qu’il faut éliminer les plastiques de l’environnement pour les garder dans l’économie».
Selon l’ACIC, la solution passe par la mise sur pied d’une «économie circulaire». Les déchets de plastiques seraient ainsi recyclés pour devenir la matière première de l’industrie au lieu d’être enfouis ou perdus dans la nature. L’ACIC s’est donné l’objectif que 100 % des plastiques soient «recyclables» d’ici 2030, et «recyclés» d’ici 2040, dit Mme Mantagaris.
Granules
Selon plusieurs experts consultés par notre Bureau d’enquête, les microplastiques peuvent être émis bien avant qu’un produit en plastique ne soit jeté.
Geneviève D’Avignon, une doctorante de l’Université McGill qui étudie les microplastiques, donne l’exemple d’un chandail fait en polyester. Lorsqu’on le porte ou le lave, il va «produire de petites fibres qui vont se briser et se retrouver dans l’environnement.»
Dans certains cas, les microplastiques trouvés dans l’environnement viennent des producteurs de plastique eux-mêmes.
C’est le cas des granules de plastiques, qui sont normalement fondus pour fabriquer des objets en plastiques. Ces granules, petits et légers, se perdent régulièrement lors de leur transport. En 2020, 13 % des microplastiques retrouvés par des chercheurs dans les eaux du Port de Toronto étaient des granules.
Ils demeurent très présents dans les cours d’eau, dont les Grands Lacs.
«C’est clair qu’il faut améliorer nos pratiques», admet Mme Mantagaris.
Recyclage : Fausse solution ?
Même le plastique recyclé génère des microplastiques et des nanoplastiques dans l’environnement. «C’est toujours bien de recycler», insiste Geneviève D’Avignon, doctorante à l’Université McGill. Mais réduire notre consommation de plastique diminuerait davantage, selon elle, la quantité de microplastiques qui aboutit dans la nature.