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«L’événement»: lorsqu’une femme ne s’appartenait pas

«L’événement»: lorsqu’une femme ne s’appartenait pas
Photo AFP

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Anne (Anamaria Vartolomei, lumineuse, en un mot parfaite), étudiante de 23 ans, souhaite se faire avorter en France à une époque où la procédure n’est pas encore légale.

Elle fait des études de lettres – «toutes les filles sont en lettres», entend-on –, est excellente élève, veut devenir prof. Mais voilà, elle «attrape» «le genre de maladie qui ne frappe que les femmes et qui les transforme en femmes au foyer», explique-t-elle à son professeur (Pio Marmaï). Elle ne veut pas de l’enfant, pas maintenant, pas alors qu’elle n’a pas d’emploi.

Mais nous sommes en 1963. Alors, lorsqu’elle va chez le médecin (Fabrizio Rongione), il lui suggère d’«accepter» le fait qu’elle est enceinte. Car la loi est sans appel: c’est la prison, tant pour la femme que pour toute personne qui l’a aidée. Anne tente, sans succès, de trouver un docteur, demande à ses ami.e.s. «Sois raisonnable», se fait-elle répondre sans relâche. «Toujours cette insolence», lui disent les hommes.

Les hommes. Son amant (Julien Frison) qui s’en moque, qui lui reproche de ne pas avoir trouvé quelqu’un pour s’occuper de sa situation. Son amant qui veut qu’elle paraisse bien auprès de ses amis. Ou cet autre (Kacey Mottet Klein) qui lui donne, comme argument pour coucher avec lui, qu’elle ne craint plus rien puisqu’elle est déjà enceinte. Les hommes. Son médecin traitant qui compatit, mais qui ne peut rien pour elle. Ou cet autre qui lui prescrit une piqûre qui renforce la santé du fœtus lorsqu’elle lui demande de l’aider. Les hommes qui détournent tous le regard lorsqu’elle leur parle de son état.

Son corps ne lui appartient pas. La société s’attend à ce qu’elle profite de son passage à l’université pour se trouver un mari, la société exige qu’elle ne couche avec personne. Et si l’envie devait l’en prendre, elle est moralement perdue. Et si, de surcroît, elle est enceinte, alors elle est obligée de garder l’enfant, de dire adieu à un métier de professeure – pas de «fille mère», telle est la formule consacrée à l’époque. Et sa mère (Sandrine Bonnaire) à qui elle ne peut rien dire. Alors, elle essaye toute seule. Avec une longue aiguille.

Par relations, elle trouve enfin une femme (Anna Mouglalis) qui pratique la procédure dont elle a tant besoin – le mot «avortement» n’est jamais prononcé dans le long métrage –, mais même là, elle n’est pas sortie d’affaires, car les complications sont fréquentes.

Avec une rare économie de mouvements et de mots, à l’instar du roman autobiographique d’Annie Ernaux, la cinéaste Audrey Diwan montre tous les détails. Crus. Sans épanchement, sans attendrissement ou larmoiement inutile. Brillamment servi par la musique d’Evgueni et Sacha Galperine ainsi que par la direction de la photographie de Laurent Tangy, le film, gagnant du Lion d’or à Venise, rappelle un temps pas si éloigné, des lois qui existent encore pas si loin de chez nous, et un droit de libre disposition de son corps remis en question à chaque occasion.

Note: 4,5 sur 5

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