Le problème persistant de l'assurance-condo
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La question de l’assurance habitation sur le marché des copropriétés fait encore des mécontents malgré de récentes réformes pour aplanir de graves problèmes qui minent ce secteur depuis des années.
Au centre du litige se trouve la formulation d’un article du Code civil qui permettrait aux assureurs de se défiler à la suite d’un sinistre.
La situation est décriée depuis des mois par Yves Joli-Coeur, avocat réputé spécialisé en copropriété. Il y a deux semaines, c’est l’Association québécoise des gestionnaires de copropriétés (AQGC) qui a fait une sortie publique pour presser le gouvernement de modifier le texte de loi.
Quel est le problème ?
Avant la réforme...
On doit reculer avant 2018, avant le début de la réforme de la copropriété (lois 16 et 141).
Des assureurs désertent alors peu à peu le marché de la copropriété, avec raison : syndicats plus ou moins compétents et frais de condo insuffisants font en sorte que les immeubles sont mal entretenus. Par-dessus ça, les problèmes en construction sont si criants que des compagnies refusent d’assurer des édifices âgés de moins de trois ans.
Une réaction en chaîne s’ensuit : multiplication des sinistres, baisse de la concurrence en assurance, hausse des primes et explosion des franchises, soit la portion des dommages assumée par la copropriété.
Rappelons qu’il y a deux niveaux d’assurance dans ce type d’habitation.
La couverture du syndicat, d’une part, s’étend sur les parties communes aussi bien que sur les parties privatives.
Les assurances individuelles de chacun des membres protègent les biens personnels et les améliorations apportées à leurs parties privatives (le plancher en marbre plutôt que le revêtement standard en bois, par exemple).
Quand un événement cause des dommages dont la valeur se situe sous la franchise, c’est le syndicat qui doit casquer dans un premier temps, donc tous les copropriétaires.
En vertu d’une clause prévue dans la déclaration de copropriété (le contrat qui unit les membres et le syndicat), un copropriétaire pouvait facilement être tenu responsable des dégâts si l’origine du sinistre provenait de chez lui. Le syndicat pouvait alors se tourner vers l’assureur du fautif pour être indemnisé. La réalité est un peu plus complexe, car les assureurs de tous ceux dont l’unité avait été endommagée pouvaient aussi intervenir.
Tout ça fonctionnait aussi longtemps que les franchises restaient raisonnables. La situation a commencé à se corser avec la flambée des franchises.
On joue sur les mots
La réforme a instauré des changements longuement réclamés, dont des normes pour le provisionnement des fonds de prévoyance. Elle a obligé les syndicats à constituer un fonds d’autoassurance (correspondant à la franchise la plus élevée inscrite au contrat) et a forcé les copropriétaires à souscrire une assurance responsabilité civile (une obligation qui existait dans les déclarations de copropriété).
En cas de sinistre, c’est toujours au syndicat de débourser pour les réparations quand la valeur des dégâts reste dans les limites de la franchise. Plutôt que de faire payer directement tous les copropriétaires, elle puise désormais dans son fonds d’autoassurance, ce qui revient au même, car la cagnotte devra être renflouée par les membres.
C’est l’ajout d’un article dans le Code civil (1074.2) qui vient semer la bisbille. Dans une première mouture (2018), le texte en question stipule qu’un syndicat peut réclamer des dommages à un copropriétaire si le préjudice est causé par sa faute.
Dans l’esprit des assureurs des copropriétaires, il faut désormais prouver la faute de leurs clients pour dédommager le syndicat en responsabilité civile. Pour les syndicats, cela veut dire entreprendre des procédures judiciaires pour faire reconnaître la faute.
L’article a été amendé en 2020 de manière à en élargir sa portée, mais pas assez, selon l’avocat Yves Joli-Coeur et Élise Beauchesne, de l’Association québécoise des gestionnaires de copropriétés. Ils affirment que des assureurs interprètent la loi de manière si étroite que l’intervention des tribunaux devient presque un passage obligé. Coûteuses, de telles démarches ne garantissent pas de résultats.
Chacun de leur côté, Me Joli-Coeur et Mme Beauchesne évoquent des cas semblables où des locataires de condo ont provoqué par leur négligence de lourds dommages, sans que l’assurance du propriétaire indemnise le syndicat en responsabilité civile. Ils donnent aussi l’exemple du plombier qui, ayant mal raccordé des tuyaux, entraîne d’importants dégâts d’eau. Dans un cas pareil, des assureurs réfuteraient l’implication de leur client, même si c’est ce dernier qui a fait appel au plombier.
Non à des modifications
Le Bureau d’assurance du Canada (BAC) s’oppose à de nouvelles modifications de la loi. Il reconnaît qu’il est plus difficile pour les syndicats d’être dédommagés, « mais si c’était trop facile, on devrait augmenter les primes de chaque copropriétaire », affirme le porte-parole du BAC, Pierre Babinsky.
Sur cet aspect du dossier, le BAC et les gestionnaires de copropriété se disputent. Sur d’autres éléments de la question, ils font front commun auprès du gouvernement, notamment au sujet de la qualité de la construction, élément totalement absent de la réforme.
Verra-t-on le bout de cette saga ?