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Des allégations très troublantes contre PornHub

Les faits allégués sont préoccupants dans ces recours judiciaires contre l’entreprise basée à Montréal

L’immeuble de MindGeek et PornHub, situé en bordure du boulevard Décarie à Montréal.
L’immeuble de MindGeek et PornHub, situé en bordure du boulevard Décarie à Montréal. Photo d'archives, Agence QMI


L’étau juridique se resserre autour du géant de la porno MindGeek visé par de multiples recours qui allèguent des activités troublantes à son centre de décision de Montréal.

Jean-François Cloutier, Bureau d’enquête

• À lire aussi: MindGeek: une structure complexe pour obscurcir les traces?

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Au moins sept recours judiciaires ont été entrepris au Canada et aux États-Unis contre l’exploitant du populaire site internet PornHub et d’une myriade d’autres sites XXX depuis deux ans.

Une analyse exhaustive par notre Bureau d’enquête de centaines de pages de ces recours nous a permis de constater des faits allégués très dérangeants.

MindGeek est un géant mondial dont les bureaux sont situés à Montréal, en bordure du boulevard Décarie. Quelque 1000 employés de l’entreprise sur 1800 travaillent au Québec, dont 400 ingénieurs.

Les dirigeants de la firme sont aussi établis au Québec. Ils sont d’habitude très discrets, sauf en cas de force majeure, comme lorsque la maison de 19 millions du PDG, Feras Antoon, a été détruite par un spectaculaire incendie criminel à Montréal, en avril 2021.

L’immeuble de MindGeek et PornHub, situé en bordure du boulevard Décarie à Montréal.
Le manoir du patron de PornHub, Feras Antoon, dans l’arrondissement Ahuntsic-Cartierville, en 2021. Photo d'archives, Chantal Poirier

L’immeuble de MindGeek et PornHub, situé en bordure du boulevard Décarie à Montréal.
Un incendie criminel a tout dévasté de cette immense propriété valant 19 millions. Photo d'archives, Agence QMI

ARTICLE DÉVASTATEUR

La plupart des procédures que nous avons recensées ont été entreprises après la publication d’un article dévastateur dans le New York Times à la fin 2020, qui avançait que PornHub était infesté de vidéos de porno juvénile, de viols et de femmes filmées à leur insu.

Des décisions récentes dans ces procédures judiciaires vont à l’encontre des arguments jusqu’ici avancés pour se défendre par l’entreprise dirigée et contrôlée à Montréal.

En Californie, un juge a estimé en décembre que des « allégations, prises ensemble, indiquent que les défendeurs [dont MindGeek] ont conçu leur plateforme dans un but illicite ».

En Alabama, un autre juge a aussi donné raison à des plaignantes en février, sans s’être encore prononcé sur le fond de l’affaire.

ALLÉGATIONS SÉRIEUSES

Une demande de MindGeek visant à faire tomber leur recours, au motif que la firme est protégée par une loi encadrant les sites hébergeant des vidéos, a été rejetée.

« Les allégations sont suffisantes pour rendre plausible que les défendeurs étaient au courant que des vidéos [d’une plaignante] contenaient de la pornographie juvénile et ne les ont pas retirées », a-t-il affirmé.

En Californie aussi, mais plus tôt l’an dernier, MindGeek avait déjà dû verser un montant d’argent non dévoilé à des femmes reliées au site Girls Do Porn, dans le cadre d’un règlement hors cour.

Les procédures judiciaires en cours consultées par notre Bureau d’enquête contiennent des allégations préoccupantes sur ce qui se serait passé jusqu’à tout récemment dans les bureaux montréalais de MindGeek. Parmi celles-ci : 

  • La direction de MindGeek aurait versé des sommes dans des canaux occultes pour payer des trafiquants sexuels pour obtenir du contenu sur son site internet. 
  • Des employés de MindGeek auraient téléversé sur PornHub du contenu précédemment banni du site. 
  • Une employée de PornHub aurait découragé un utilisateur de rapporter aux autorités la présence sur le site de porno juvénile. 
  • MindGeek aurait orchestré depuis le Québec une campagne de dénigrement sur les réseaux sociaux de victimes alléguées. Une blogueuse québécoise du nom de Sarah Valmont aurait été impliquée dans l’opération.  

DIGNE DES SOPRANO ?

L’avocat américain Michael Bowe, qui représente une trentaine de victimes alléguées de MindGeek, va jusqu’à évoquer la série culte les Soprano pour décrire la culture de l’entreprise.

« Nous faisons planer sur eux une menace existentielle », nous a-t-il expliqué en entrevue en vidéoconférence, en février.

Me Bowe représente notamment Serena Fleites, une Américaine dont le témoignage a arraché des larmes à des députés fédéraux l’an passé.

L’immeuble de MindGeek et PornHub, situé en bordure du boulevard Décarie à Montréal.
Serena Fleites, une victime alléguée qui poursuit Mindgeek, lors de leur témoignage en comité parlementaire à Ottawa, en 2021. Capture écran

Une vidéo sexuellement explicite d’elle tournée quand elle avait 13 ans s’est retrouvée sur PornHub. Malgré son intervention, la vidéo a été vue par des millions de personnes.

En janvier, un juge californien a estimé que les cas de 34 femmes étaient trop différents pour être considérés dans une même poursuite.

Il a toutefois permis à Mme Fleites de poursuivre seule un recours. Me Bowe nous a dit avoir l’intention de déposer des poursuites séparées pour chacune de ces victimes alléguées.

RECOURS AU QUÉBEC

Au Québec, une demande de recours collectif contre MindGeek a été déposée dès décembre 2020.

La demande a été amendée et étoffée en novembre dernier pour viser personnellement trois dirigeants de la firme, nous a indiqué Me Caroline Perrault, du cabinet Siskinds Desmeules.

Parallèlement à cette procédure, une autre femme, Christine Wing, s’est manifestée en Ontario à la fin 2021 dans une autre demande de recours collectif au Canada. 

– Avec Marie Christine Trottier et Philippe Langlois


► Au printemps 2021, 70 parlementaires fédéraux ont par ailleurs demandé explicitement qu’une enquête criminelle soit ouverte sur MindGeek. 

CE QUE DES VICTIMES ALLÈGUENT À LA COUR  

Des victimes mineures alléguées en Alabama

En Alabama, une plaignante allègue avoir été droguée et violée à 16 ans. Le violeur aurait conclu une entente de partage des profits avec MindGeek pour des vidéos. Une autre plaignante allègue que des vidéos de son viol quand elle avait 14 ans ont été publiées quatre ans sur PornHub.

Dénigrée sur Twitter

Une femme du nom de Sofia aurait créé un profil sur Twitter pour partager l’histoire de son trafic quand elle était enfant sur PornHub. Elle aurait été immédiatement attaquée comme une menteuse par une Montréalaise reliée à MindGeek, est-il allégué dans une poursuite en Californie. Ce n’est que lorsqu’elle aurait mis en ligne des captures d’écran de textos de son agresseur que les attaques auraient cessé.

Aucun suivi pour une victime de 12 ans

Une femme de l’Ontario aurait été victime d’un abus sexuel filmé à environ 12 ans. Cette vidéo se serait retrouvée sur PornHub. La victime aurait reçu un message automatisé quand elle a demandé son retrait et n’a pas eu de suivi, est-il allégué dans une demande de recours collectif au Québec.

58 vidéos approuvées d’une agression

58 vidéos de l’agression d’une adolescente de 15 ans auraient reçu un « sceau d’approbation » de PornHub, est-il allégué dans une demande de recours collectif en Californie. Ces vidéos auraient été diffusées via le programme ModelHub, qui prétend demander des pièces d’identité.

Filmées à leur insu dans un vestiaire 

En Caroline du Sud, neuf athlètes féminines d’un collège privé poursuivent notamment MindGeek pour des vidéos tournées dans un vestiaire avec une caméra cachée alors qu’elles se déshabillaient. Ces vidéos auraient été diffusées sur PornHub sans qu’aucune vérification ne soit faite sur le consentement des personnes filmées. Des demandes de retrait des vidéos auraient aussi été ignorées, selon les allégations.

Une vieille vidéo vient hanter une Québécoise sur PornHub  

L’immeuble de MindGeek et PornHub, situé en bordure du boulevard Décarie à Montréal.
Une affiche du kiosque de PornHub à la foire de l’industrie de la porno de Las Vegas, en 2017. Photo d'Archives, AFP

Jean-François Cloutier et Marie-Lise Mormina, Bureau d’enquête

Une Québécoise qui a déjà évolué dans l’industrie du sexe, mais qui a voulu en sortir et repartir à zéro, dit que sa vie a été chambardée par une vidéo d’elle diffusée sur PornHub sans son consentement.

Cette femme pourrait théoriquement profiter de la demande de recours collectif déposée au Québec contre MindGeek si elle est acceptée.

« C’est pas un ami, c’est pas un conjoint, c’est pas des gens que je connais [qui ont mis la vidéo en ligne] », a expliqué la femme au téléphone. Elle a requis l’anonymat avant de nous parler.

Cette femme a dit ne jamais avoir tenté de communiquer avec la personne qui a mis en ligne la vidéo. « J’aurais eu trop de crainte de représailles. J’aurais eu trop peur de m’attaquer [sic] », a-t-elle expliqué.

« Je ne suis pas d’accord du tout avec le fait que des vidéos se retrouvent aussi longtemps et qu’elles soient aussi faciles à trouver », a-t-elle dénoncé.

« Notre but est de faire indemniser des victimes qui n’ont jamais consenti [à avoir une vidéo d’elles sur PornHub]. On veut aussi amener un changement de comportement de l’entreprise », a expliqué l’avocate Caroline Perrault.

SON PASSÉ LA HANTE

La femme à qui nous avons parlé a dit qu’elle avait rencontré un nouveau conjoint après avoir tourné la page sur son ancienne vie. 

« J’avais enterré profond des choses et sans que je lui en parle, il a vu une vidéo de moi [sur PornHub], même pas en cherchant ça, en cherchant tout simplement un film normal », a-t-elle confié.

Son couple s’est alors retrouvé dans une situation très difficile, selon elle. « Ça lui a pas juste fait de la peine. Ça lui a fait vraiment mal. Il m’a dit : “tu me l’as caché, tu m’as menti” », a-t-elle dit, la voix nouée par l’émotion.

« La gêne, ce n’est même pas le mot. J’aurais pu rentrer en dessous du plancher », a-t-elle expliqué. 

Selon celle-ci, le processus pour faire retirer une vidéo de PornHub est loin d’être simple.

Jusqu’à décembre 2020, les utilisateurs de PornHub pouvaient télécharger et téléverser à loisir des vidéos coquines sur le site sans s’identifier.

À la suite de l’article du New York Times, en décembre 2020, 10 millions de vidéos téléversées par des utilisateurs non enregistrés ont été retirées. Les fonctions de téléchargement et de téléversement ont aussi été limitées.

Notre Bureau d’enquête a pu aussi s’entretenir avec Rose Sullivan, de l’organisme La Sortie, qui aide des femmes à se sortir notamment de la prostitution.

« C’est difficile [faire enlever des vidéos]. La réponse n’est parfois pas concluante. Il y a du : “ce n’est pas trop notre responsabilité, c’est la personne qui l’a distribué. C’est à elle que vous devez parler” », a-t-elle dit. 

Des employés de MindGeek « gênés » de leur travail  

Jean-François Cloutier, Bureau d’enquête 

Des employés et ex-employés de MindGeek, à Montréal, vantent les prouesses technologiques de l’entreprise, mais avouent aussi être « gênés » de dire à leurs proches comment ils gagnent leur vie.

Une Québécoise qui a requis l’anonymat nous a dit avoir travaillé six mois dans les bureaux de MindGeek du boulevard Décarie, il y a quelques années, sans le dire à ses proches.

« C’est un environnement qui peut ressembler à Google », nous a-t-elle dit, parlant même d’« une super belle expérience ».

Elle s’occupait du programme ModelHub, qui permet à des amateurs de monétiser du contenu XXX sur PornHub.

Malgré tout, elle admet qu’il est arrivé qu’elle doive intervenir parce qu’une jeune femme apparaissait sous l’emprise de quelqu’un d’autre à la caméra. Il est très difficile de vérifier si une personne signe totalement librement un formulaire de consentement, a-t-elle ajouté.

« Ma mère n’a jamais su pour qui je travaillais », a dit un ex-cadre qui a quitté la firme avant la fin 2020.

Selon lui, MindGeek n’a pas les moyens de vérifier une à une toutes les vidéos qui se retrouvent sur son site. 

Un employé actuel a dit que MindGeek devrait être considéré comme un joyau québécois de l’informatique et de l’intelligence artificielle. Il a toutefois admis avoir été surpris par les allégations récentes au sujet de la compagnie. 

Dans le passé, quand il disait qu’il travaillait pour MindGeek, personne ne savait trop ce que c’était, mais il avoue qu’il a aujourd’hui plus de difficulté à passer sous le radar.  

Charge extrême pour des modérateurs 

Des modérateurs pour le site Pornhub auraient été contraints de vérifier un minimum de 700 à 800 vidéos par jour, un objectif clairement irréaliste, selon ce qui est allégué dans une poursuite en Californie.

Selon la procédure, ces modérateurs chargés de s’assurer qu’il n’y a pas de contenu inapproprié auraient été embauchés à Chypre.

« La fonction factice de modération de MindGeek a constitué au fil du temps à aussi peu que six personnes et jamais plus que 30 prestataires non formés, au salaire minimum, pour tous les sites de MindGeek et des millions de vidéos téléversées chaque jour », est-il allégué.

Pourtant, MindGeek se targue de revoir et d’approuver chacune des vidéos téléversées sur ses sites.

« Il y a des vidéos de personnes vraiment en bas âge qui étaient approuvées », affirme un lanceur d’alerte en 2020, dans un extrait de textos qui a été présenté devant un comité gouvernemental américain. Selon lui, les vidéos étaient approuvées par manque de temps. 

Des victimes de prédateurs sur PornHub 

La plateforme de PornHub aurait diffusé des vidéos de victimes de plusieurs dangereux prédateurs sexuels, selon ce qui a été allégué dans des procédures judiciaires. 

  • JEFFREY EPSTEIN : Des interactions d’une femme qui aurait été violée et exploitée à partir de 7 ans et pendant plus de 21 ans, notamment par Jeffrey Epstein, auraient été largement diffusées. 
  • RUBEN ANDRE GARCIA : Ce trafiquant sexuel a été condamné à 20 ans de prison en 2021. Son site Girls Do Porn aurait été largement promu par MindGeek. 
  • ABDUL HASID ELAHI : Décrit comme un des pires pédophiles sadiques au monde par les autorités britanniques, il a été condamné à 32 ans de prison en 2021. Il aurait téléversé des vidéos. 
  • KAMONSAK CHANTASING : Ce trafiquant sexuel thaïlandais aurait diffusé des vidéos d’au moins deux mineures sur PornHub après les avoir bernées.  

MindGeek estime n’avoir rien à se reprocher  

Jean-François Cloutier et Marie-Lise Mormina, Bureau d’enquête

Le géant de la porno MindGeek estime n’avoir rien à se reprocher, notamment en matière de diffusion de porno juvénile, malgré de nombreux recours judiciaires entrepris contre lui.

« MindGeek prend les allégations de matériel d’abus sexuel d’enfant extrêmement sérieusement, et toute suggestion que nous autorisions du contenu illégal sur notre plateforme est catégoriquement et factuellement fausse », a indiqué l’entreprise dans une déclaration écrite, en anglais uniquement.

L’entreprise nous a dit aussi s’opposer à l’humiliation et au déshonneur de victimes, tel qu’allégué dans une poursuite en Californie.

IMMUNITÉ

MindGeek a fait valoir qu’en vertu d’une disposition de la loi américaine, les fournisseurs de services interactifs sur internet bénéficient d’une large immunité si du contenu est diffusé par quelqu’un d’autre que le fournisseur.

« Nous sommes confiants que, lorsque les tribunaux auront eu l’occasion de considérer les faits réels, incluant que MindGeek n’a pas contribué à la création du contenu controversé, n’a pas participé sciemment ou n’a pas bénéficié d’aucun trafic allégué, ou n’a pas possédé sciemment ou distribué du matériel d’abus sexuel d’enfant, les réclamations restantes seront rejetées parce que dénuées de fondement », a écrit la firme. 







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