La santé c’est bien plus que la gestion de la maladie
Coup d'oeil sur cet article
Dans son rapport sur les soins et services aux aînés publié en janvier dernier, la Commissaire à la santé et au bien-être identifiait un certain nombre d’enjeux qui ont contribué à la vulnérabilité de notre système de santé durant l’actuelle crise virale (1).
Parmi les éléments clés de ce rapport, on retrouve les recommandations suivantes :
- concevoir un plan national pour un système de santé axé sur la valeur des soins et des services à la collectivité plutôt que sur la production et l’efficience;
- décentraliser l’offre de services actuellement hospitalo-centrique et de considérer les enjeux et besoins exprimés par les citoyens et les citoyennes;
- décentraliser la gestion des ressources humaines;
- se doter d’un écosystème apprenant transparent et ouvert qui permet de prendre des décisions éclairées;
- remettre la santé publique à l’avant-plan en assurant son indépendance et sa transparence afin de maintenir la confiance de la population envers cette importante organisation.
Ce rapport a été reçu favorablement par le ministre de la Santé et des Services sociaux, Christian Dubé, mais je crois que se limiter à une réorganisation du système de santé ne sera pas suffisant pour mieux servir les Québécois et Québécoises en matière de santé et de bien-être.
Un équilibre entre l’homme et la planète à rétablir
De nombreux experts, dont le désormais célèbre médecin infectiologue du National Institutes of Health, le Dr Anthony Fauci (2), le soulignent : notre façon de traiter notre planète a généré cette crise virale. Si nous ne modifions pas notre relation avec notre environnement, cette épidémie ne sera pas la dernière.
Le Québec doit chérir et mieux traiter son territoire, son air, son eau, ses forêts, ses terres agricoles. D’ailleurs, la communauté médicale parle maintenant du concept de One Health (3), la santé humaine, animale et planétaire ne faisant qu’un. Ce constat a amené un regroupement historique de chercheurs et chercheuses et de partenaires du Québec, l’Alliance santé Québec, à développer le concept de santé durable « un esprit sain dans un corps sain, dans un milieu de vie et un environnement sains sur une planète en santé ». Cette démarche a conduit à la création de VITAM, premier centre de recherche en santé durable dûment reconnu et financé par le Fonds de la recherche en santé du Québec.
La santé durable : redonner le pouvoir aux communautés
Opérationnaliser le concept de santé durable implique toutefois un changement de paradigme majeur. Au Québec (comme dans bien des sociétés), la santé s’appuie sur une structure hospitalière avec une gestion centralisée, au détriment du rôle et de l’influence des régions. Avec d’énormes organisations comme les CISSS et les CIUSSS, et malgré la meilleure volonté de leurs dirigeants et dirigeantes et du personnel, force est d’admettre que les besoins en matière de services de santé et services sociaux de proximité n’ont pas toujours été bien servis. Les contraintes imposées par le peu d’agilité et d’imputabilité d’un système centralisé quand est venu le temps d’agir pour minimiser les conséquences de la propagation rapide d’un virus qui a tué des milliers de Québécois et de Québécoises vulnérables (4, 5) ont d’ailleurs vite été mises en lumière.
Cette crise virale est venue exacerber les conséquences de maladies dites de société (maladies cardiovasculaires et respiratoires, diabète de type 2, insuffisance rénale, certaines formes de cancer, dont le cancer du poumon) qui relèvent de comportements sous-optimaux comme le tabagisme, une consommation élevée d’alcool, une alimentation de mauvaise qualité et une activité physique insuffisante (6, 7). Des études ont montré que les personnes affligées de ces maladies chroniques étaient plus vulnérables, ce qui a conduit certains experts à décrire la crise que nous traversons de syndémie (7) plutôt que de pandémie. En effet, le concept de syndémie (8) (qui réfère à une combinaison de maladies et de facteurs biologiques, environnementaux ou sociaux qui, par leur synergie, aggravent les conséquences de ces maladies) décrit bien les causes et les conséquences de l’actuelle crise virale.
Prévenir plutôt que guérir : oui bien sûr, mais comment?
La science est robuste quant aux bienfaits spectaculaires qui découlent de l’adoption de comportements bénéfiques simples comme de ne pas fumer, de boire de l’alcool modérément ou pas du tout, d’avoir une alimentation de bonne qualité et de faire une marche de 30 minutes à bon pas 5 fois par semaine. Il est donc clair qu’il faut investir en prévention, le parent pauvre du domaine de la santé. Il y a toutefois, un éléphant dans la pièce dont il faudra tenir compte : les inégalités sociales en santé.
Un modèle socio-économique basé sur la santé durable
La littérature scientifique nous rapporte de façon non équivoque que les comportements associés aux maladies chroniques sont davantage omniprésents dans la population de faible niveau socio-économique (9). Par ailleurs, les personnes démunies vivent souvent dans des quartiers plus pollués et bruyants et respirent des substances chimiques toxiques émises par les industries et le trafic routier.
L’absence de canopée et de parc compatibles avec une qualité de vie permissive à la santé physique et psychologique contribue aux effets néfastes de ces environnements (10). Comment faire la promotion du « manger mieux et bouger plus » auprès de personnes vivant dans des conditions et des environnements si peu compatibles avec la santé humaine?
Vous aurez compris que se donner une société en santé passe par un modèle socio-économique respectueux de nos milieux de vie et de l’environnement et qui embrasse la notion de santé durable. Bien des décès prématurés pourraient être épargnés en portant attention à la pollution de l’air, de l’eau et par le bruit (10). Des villes comme Philadelphie, Barcelone et Paris étudient les bénéfices sur la santé de modifier l’environnement urbain et de revitaliser des quartiers où tout serait à proximité (travail, école, activités culturelles, commerces). Le concept fondamental : arrêter l’étalement urbain et redonner la ville à la population.
À l’instar des villes qui placent l’humain au cœur de leur reconfiguration, le système de santé doit se décentraliser et se démocratiser. L’absence de services communautaires qui permettraient de rester en interaction avec toutes les composantes de la société et de briser l’isolement mène à de nombreux épisodes d’hospitalisations de personnes âgées. Pourtant, vieillir n’est pas une maladie!
Bâtissons avec les citoyens et les citoyennes un écosystème apprenant, empathique et inclusif en santé durable où tous et toutes seront mis à contribution afin de comprendre ces liens complexes entre ce que nous appelons l’exposome (exposition à une pléiade de facteurs et de conditions [milieux de vie, environnements] qui affectent nos comportements) et toutes les dimensions de notre santé.
Bref, travaillons avec plutôt que pour la population et démocratisons la santé durable. Un tel défi dépasse largement le mandat du seul ministère de la Santé et des Services sociaux et interpelle tous les ministères. Un projet socio-économique basé sur la santé durable est ambitieux, certes, mais nous le devons à nos enfants et petits-enfants.
Dr Jean-Pierre Després,
Directeur scientifique
VITAM – Centre de recherche en santé durable
CIUSSS de la Capitale-Nationale
Professeur au département de kinésiologie, Faculté de médecine de l’Université Laval
Références :
1. Commissaire à la santé et au bien-être. Mandant sur la performance des soins et services aux ainés — COVID-19. Le devoir de faire autrement. Résumé exécutif. Janvier 2022. https://www.csbe.gouv.qc.ca/fileadmin/www/2022/Rapportfinal_Mandat/CSBE_Resume_exec_rapport_final.pdf
2. Fauci A. Emerging and re-emerging infectious diseases: from AIDS to COVID-19. Symposium: Sustainable development goals & global health through the pandemic lens. Les prix Canada Gairdner Awards. 21 octobre 2020.
3. FAO, OIE, WHO. The FAO-OIE-WHO Collaboration: sharing responsibilities and coordinating global activities to address health risks at the animal-human-ecosystems interfaces. A Tripartite Concept Note. April 2010. https://www.who.int/foodsafety/zoonoses/final_concept_note_Hanoi.pdf
4. Denis JL, Potvin L, Rochon J, et al. On redesigning public health in Quebec: lessons learned from the pandemic. Can J Public Health 2020; 111: 912-20.
5. Nguyen QD. Les leçons de l’épidémiologie pour les CHSLD. L'actualité, 8 février 2022. https://lactualite.com/societe/les-lecons-de-lepidemiologie-pour-les-chsld/. Accédé le 16 février 2022.
6. Belanger MJ, Hill MA, Angelidi AM, et al. Covid-19 and disparities in nutrition and obesity. N Engl J Med 2020; 383: e69.
7. Horton R. Offline: COVID-19 is not a pandemic. Lancet 2020; 396: 874.
8. Singer M. AIDS and the health crisis of the U.S. urban poor; the perspective of critical medical anthropology. Soc Sci Med 1994; 39: 931-48.
9. Joseph JJ, Ortiz R, Acharya T, et al. Cardiovascular impact of race and ethnicity in patients with diabetes and obesity: JACC Focus Seminar 2/9. J Am Coll Cardiol 2021; 78: 2471-82.
10. Munzel T, Sorensen M, Lelieveld J, et al. Heart healthy cities: genetics loads the gun but the environment pulls the trigger. Eur Heart J 2021; 42: 2422-38.