Lafleur laisse parler son cœur
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Mon cœur bat la chamade. Guy Lafleur est au bout du fil. Sa voix n’a jamais été aussi faible. Je ne suis pas à l’aise. Je suis dans mes petits souliers. Mais si Guy prend la peine de répondre au message que je lui ai envoyé pour parler de Mike Bossy, c’est qu’il le respectait énormément et qu’il tenait à lui rendre hommage.
Au fil de la conversation, il me demande de bien vouloir transmettre ses condoléances à la famille de Bossy par la voie de cette chronique.
C’est fait Guy.
On ne refuse jamais une demande d’un homme qui passe sa vie à vouloir faire plaisir à tout le monde.
Même dans la maladie.
Guy demeure à l’égal du grand joueur qu’il a été. Il a du cœur, il parle avec ses tripes. Il est franc, direct et honnête. Il répond sans détour à toutes les questions.
Quand Guy décrit Bossy, on croirait l’entendre parler de lui-même.
« Mike était un gars vraiment intègre, dit-il sur-le-champ.
« Il jouait pour son équipe, il n’était pas un one man show. C’était un gars qui faisait tout pour gagner. Ce qui était important pour lui, c’était la victoire.
« Je suis fier de l’avoir côtoyé avec Équipe Canada (c’était au tournoi de la Coupe Canada 1981). Mike a eu une influence sur plusieurs joueurs. Beaucoup de jeunes joueurs se sont inspirés de lui. »
Et que dire de Flower !
Porteurs de fierté
C’était à l’époque où les Québécois qui connaissaient des saisons de 50 buts étaient une normalité.
Entre le Rocket, en 1945, et Bossy, en 1977, il y avait eu le Boomer (Bernard Geoffrion), en 1961, Flower, en 1975, en 1976 puis en 1977, 1978, 1979 et 1980, Richard Martin, en 1974 et 1975, Jean Pronovost et Pierre Larouche, les deux en 1976 avec les Penguins, et Marcel Dionne, en 1977.
Lors de la saison 1977-1978, deux joueurs seulement ont franchi le plateau des 50 buts.
Ce furent Lafleur et Bossy.
Lafleur a même atteint le plateau des 60 buts, son plus haut total en carrière.
Ensuite, il y a eu dans l’ordre Guy Chouinard, Jacques Richard, Michel Goulet (quatre années d’affilée), Mario Lemieux (six fois, dont une saison de 85 buts), Luc Robitaille (trois fois), Stéphane Richer (deux fois) et Pierre Turgeon.
Vincent Lecavalier a été le dernier, il y a 16 ans.
Maudit que ça nous rendait fiers !
Lors de la saison 1977-1978, deux joueurs seulement ont franchi le plateau des 50 buts.
Ce furent Lafleur et Bossy.
Lafleur a atteint le plateau des 60 buts, son plus haut total en carrière.
Bossy est pour sa part devenu la première recrue à connaître une saison de 50 plus de buts (53), ce qui lui a valu le titre de recrue de l’année.
Ça commençait bien une carrière !
Manque d’appui de la ligue
Dans une ville et une province où les amateurs de hockey n’en avaient que pour lui, les jeunes portaient le chandail du Canadien, numéro 10.
Il y en avait bien des maillots des Islanders, numéro 22, à Long Island, mais pas sur la grande scène de New York, où les Islanders étaient les ennemis jurés des Rangers et de leurs chauds partisans.
Lafleur y va ici d’un commentaire un peu surprenant.
« J’ai toujours pensé que Mike n’avait pas reçu la reconnaissance qu’il méritait, pense-t-il.
« Il en est de même pour Marcel Dionne. On parle de deux joueurs qui ont fait de grandes choses. »
Là-dessus, je dis à Lafleur que c’est peut-être attribuable au fait que les deux ne jouaient pas dans des marchés de hockey traditionnels.
Lafleur n’est pas d’accord.
« Les joueurs de football et de baseball sont mis en valeur par leur ligue, répond-il.
« La LNH n’en a pas fait autant pour Mike et Marcel. »
Deux grands noms ratés par le CH
Il y a peut-être une autre raison. Bossy ne se faisait pas d’amis quand il dénonçait la violence sur la glace. C’était dans le temps où il fallait être dur et macho pour jouer au hockey.
C’est l’une des raisons pour lesquelles le Canadien n’avait pas cru bon de repêcher Bossy. On le trouvait trop frêle, pas assez impliqué physiquement et pas fiable défensivement.
Lafleur s’en souvient.
« J’ai été déçu comme tout le monde quand on ne l’a pas repêché, enchaîne-t-il. « À un moment donné, avec le type d’organisation qu’on a, il faut regarder dans notre cour.
« Si Denis Savard a permis à Al Secord de connaître une saison de 50 buts, j’en aurais compté 100 en l’ayant comme joueur de centre.
« Des joueurs de petit gabarit, on en voit aujourd’hui. »
Vivre
Lafleur demeure tout fait d’une pièce malgré le cancer du poumon qui l’accable. La faiblesse de sa voix frappe au cœur.
Impossible de ne pas lui demander comment il se sent.
« C’est rough, c’est douloureux, répond-il
« Mon poids a baissé à 169 livres. Ça n’a pas de bon sens !
« Je ne prends plus de médication. J’ai lâché tout ça à Noël. Je veux avoir une bonne qualité de vie. Je prends la vie comme elle est. »
Il n’y avait plus rien à ajouter.
Avec un nœud dans la gorge, j’ai dit : « Salut, Guy, porte-toi aussi bien que possible. Merci pour tout !
Et salut à toi aussi, Mike !