Des employés d’Amazon syndiqués au Québec?
Les travailleurs de Lachine se plaignent d’être traités «comme des robots»
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Pour la première fois au Québec, des employés d’Amazon pourraient être syndiqués. Une campagne a commencé au centre de distribution de Lachine la semaine dernière, a appris Le Journal.
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« Je n’ai jamais été aussi excité depuis que j’habite au Québec », lance Justin* en entrevue avec Le Journal mercredi dernier.
Dans quelques heures, ce sera le début de la campagne de syndicalisation de l’entrepôt de Lachine. Des employés de la Confédération des syndicats nationaux (CSN) iront sur place pour y inciter les travailleurs à signer une carte d’adhésion syndicale.
« J’ai hâte de voir la réaction des managers. Ils vont être tellement nerveux », pense-t-il.
Depuis quelques semaines, une dizaine de travailleurs, tous des immigrants récents, s’activent en coulisses pour créer un syndicat, possiblement le premier d’Amazon au Canada et seulement le second dans toute l’Amérique du Nord.
Au menu de leurs revendications : un meilleur encadrement des blessures au travail, plus de respect envers la main-d’œuvre et de meilleurs salaires.
« Je pense que le syndicat c’est la seule façon de mettre de la pression sur Amazon et de changer les choses », juge Denis*.
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Beaucoup de pression
L’an dernier, dans le documentaire L’Envers d’Amazon, notre Bureau d’enquête révélait les conditions de travail au centre de Lachine, qui a ouvert en juillet 2020. Les témoignages recueillis ces derniers jours montrent que les employés ressentent toujours autant de pression, notamment à cause de l’évaluation en temps réel de leur rendement.
« Ils utilisent les statistiques de performance pour faire du chantage. S’il y a peu de colis, ils vont laisser les employés avec un moins bon rendement sur le plancher et envoyer les autres en pause », raconte Justin.
Celui-ci affirme qu’un rendement de 5 % inférieur à la moyenne de l’entrepôt suffit pour avoir un avertissement formel. Au troisième avertissement, un employé peut être congédié.
« Beaucoup de gens ont quitté parce qu’ils se sont blessés aux genoux, au dos, rapporte Éric*. Il y a tellement de pression. Les managers nous traitent comme des robots, mais poliment. Ils nous disent : “J’adore travailler avec vous, vous êtes géniaux” ».
Chez Amazon, les employés gagnent entre 17 $ et 19 $ l’heure. Selon la CSN, pour des emplois d’entrepôts similaires mais syndiqués, les employés gagnent au moins 23 $ l’heure.
Un dur combat
Amazon ne cache pas son opposition au projet. « En tant qu’entreprise, nous n’estimons pas que les syndicats représentent la meilleure solution pour nos employés », indique la directrice des communications chez Amazon Canada, Ryma Boussoufa, tout en ajoutant que les « employés sont libres de se joindre à un syndicat ».
Justin affirme que, dès que la rumeur d’un syndicat s’est répandue, les patrons ont commencé à agir différemment.
« Ils ont fait venir des cadres d’Ottawa et de Toronto qui demandaient aux employés s’ils étaient satisfaits et qui disaient qu’un syndicat, ça coûtait de l’argent », relate-t-il.
De surcroît, les cadres se montreraient plus souriants et ouverts aux commentaires depuis quelques semaines.
« Ça va être difficile, admet Éric. Il y a toujours de nouvelles personnes qui ne savent pas vraiment ce que c’est travailler pour Amazon. C’est moins invitant pour eux de signer des cartes d’adhésion. »
* Noms fictifs
Taux de syndicalisation en Amérique du Nord (2019)
► Québec : 39,3 %
► Ontario : 26,5 %
► États-Unis : 11,6 %
Un seul syndicat en 28 ans
Amazon a su résister aux élans syndicaux en Amérique du Nord durant plus de 25 ans.
Le 1er avril dernier, les militants de JFK8 de Staten Island, dans l’État de New York, ont remporté le vote pour la création d’un syndicat. Une première chez Amazon aux États-Unis, depuis la fondation de l’entreprise en 1994 par Jeff Bezos.
« Je pense que ça peut démarrer une réaction en chaîne, d’un entrepôt à l’autre », avait affirmé l’avocat du syndicat, Eric Milner, le 1er avril.
Mais, dans les jours suivant le vote, l’entreprise en a contesté la validité devant la Commission des relations de travail des États-Unis.
C’est une des batailles que mène le géant du web contre les syndicats. En Alabama, l’an dernier, les employés ont rejeté en majorité l’idée de rejoindre un syndicat.
Toutefois, un nouveau vote devra avoir lieu parce que l’entreprise a été blâmée par la Commission des relations de travail des États-Unis pour avoir interféré dans le processus de vote.
Momentum
Au Canada, un seul entrepôt, en banlieue d’Edmonton, a entamé des démarches formelles pour la création d’un syndicat l’automne dernier.
La tentative a échoué, faute de signatures. Selon le syndicat local, Amazon aurait gonflé le nombre d’employés pour les empêcher d’atteindre les 40 % de signatures requis pour passer au vote sur la création d’un syndicat. Une nouvelle demande a été déposée la semaine dernière.
À Montréal, les syndicalistes sentent un élan. « Ça n’arrive jamais qu’on fasse une syndicalisation en distribuant des dépliants à l’entrée, mais il y a un momentum avec ce qui se passe aux États-Unis », explique Jean-Michel Thériault, conseiller à la syndicalisation à la CSN.
Si le syndicat recueille l’adhésion de plus de 50 % des salariés, il sera automatiquement reconnu par le Tribunal administratif du travail. Aucun vote n’est requis, ce qui fait du Québec un terreau fertile de la syndicalisation.
L’exemple de Walmart
Par ailleurs, c’est à Jonquière que Walmart a eu son seul magasin syndiqué, en 2004.
L’entreprise l’a vite fermé après le regroupement des travailleurs, ce qui a été jugé illégal par la Cour suprême du Canada, près de dix ans plus tard.
Malgré ce précédent juridique et la confidentialité du processus, les employés d’Amazon de Lachine ont peur, affirme Denis*.
« Les employés sont de nouveaux arrivants, ils ont peur de perdre leur emploi, que l’entrepôt ferme et même que ça compromette leur visa [de voter pour un syndicat] », dit-il.