La poésie comme outil de justice
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Victime en 2018 d’une tentative d’agression sexuelle et de meurtre, Geneviève Rioux refuse d’être réduite au silence. Elle a choisi de traduire son expérience douloureuse en poésie et son recueil, Survivaces, témoigne de ce qu’elle a traversé et de sa volonté absolue de trouver un sens à sa vie. En entrevue, cette doctorante en psychologie, qui aura bientôt 30 ans, parle du pouvoir salvateur des mots et de la poésie comme outil de justice.
Geneviève Rioux a survécu à un féminicide et a écrit ce recueil de poésie comme une reprise de pouvoir et de liberté, et comme une grande quête de sens, à la suite d’événements tragiques qui n’en ont aucun. Au fil des poèmes, elle partage une réflexion sur l’improbable répétition de la violence, vécue de mère en fille, en des lieux et des temps éloignés.
Geneviève, avec une grande beauté dans l’écriture, mais une fermeté implacable, donne aussi une voix à la souffrance d’une famille, à celle des amis et des amies, des proches et des connaissances, toutes et tous victimes de ces violences.
La psychologue et poète parle de réparation, de guérison, de quête de sens et de justice, mais rappelle qu’elle a de bons jours et de mauvais jours, et qu’elle garde des séquelles de cette agression. Ça n’effacera jamais ce qui s’est passé, convient-elle, mais « ça permettra de mieux vivre avec ».
Elle ne présente ni un témoignage, ni ses mémoires, ni le récit de ce qu’elle a vécu. Mais son travail est essentiel, authentique, fort, riche d’enseignements, à la fois au fil des mots de chaque poème et entre les lignes.
L’écriture pour guérir
« Quand les événements se sont produits, on était dans un moment fort d’enquête et il y a beaucoup de choses que je ne pouvais pas raconter de mon expérience. J’ai toujours utilisé l’écriture pour faire un petit retour sur ma vie. À ce moment-là, j’avais besoin d’écrire pour me raconter à moi-même, et aussi, éventuellement, pour y donner accès à mes proches. J’ai commencé à faire le récit de ce que j’ai vécu. »
Elle a rencontré l’écrivain David Goudreault pendant un salon du livre et lui a fait part de son projet d’écriture. « Il a apporté l’idée d’être publiée. C’est devenu un outil de justice pour moi. Ma prise de parole, ça va être mon outil de justice. »
« C’est très fort, la poésie. En peu de mots, il y a tellement d’images qui sont utilisées, c’est tellement fort que ça permet de tout dire sans détailler comme dans un récit. »
Au-delà de raconter l’expérience de l’agression, qui a eu lieu le 8 avril 2018, à Sherbrooke, Geneviève--- Rioux ajoute que la poésie, pour elle, est vraiment une façon d’avoir un regard rétrospectif sur ce qui s’est passé. « C’était important pour moi que ce soit accessible, même si c’est de la poésie. C’est une poésie qui est plutôt limpide. » L’autrice parle de reprise de pouvoir, d’une recherche de sens et d’une réparation qu’il y a quand même à faire.
Libérer les émotions
Geneviève Rioux note que certains poèmes lui ont permis de libérer de l’agressivité et pense que la gamme des émotions est bien explorée. « Je vais dans la colère, je vais dans l’impuissance, je vais dans le doute, dans le ressentiment, la tristesse, l’amertume. Mais en même temps, il y a toujours quelque chose qui me ramène au fait que je suis en vie. »
L’écrivain David Goudreault signe la postface du livre et son texte est percutant. « Si dix-huit coups de couteau ne t’ont pas arrêtée, rien ne le pourra, désormais. Tu écris les codes de ta propre reconstruction, sans hargne ni raccourcis, habitée seulement par le juste droit d’être entendue, lue, écoutée. »
EXTRAIT
« Je veux vivre à tue-tête
Tes dents serrées sifflent
Je t’avais dit de pas crier
Mais j’ai appris depuis 1999, la résistance
On se défend
De se fendre
Violées
De mère en fille
Survivaces
De fille en mère »
- Geneviève Rioux est née en 1992 dans le Bas-du-Fleuve.
- Elle est psychologue et travaille au CIUSS de l’Estrie, à Sherbrooke.
- Elle a découvert la poésie dès l’enfance grâce à L’Armoire des jours de Gilles Vigneault.