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Détournements de fonds en série chez les Métallos

Quatre officiers du plus gros syndicat du secteur privé au Québec auraient puisé dans l’argent des travailleurs

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Le puissant syndicat des Métallos, affilié à la FTQ, aurait été floué par au moins quatre de ses dirigeants, qui se payaient notamment des dépenses personnelles avec l’argent des travailleurs, a découvert notre Bureau d’enquête.

Trois sections locales du plus gros syndicat dans le secteur privé au Québec (60 000 membres) traversent depuis des mois une vraie crise de détournements de fonds. Au fil des recherches, nous avons même constaté qu’un des officiers syndicaux épinglés, incapable de rembourser, s’est fait saisir sa maison en Beauce jeudi dernier.

Dépenses personnelles réglées par le syndicat, factures réclamées en double, chèques signés en blanc, absence de pièces justificatives... La liste des découvertes, étalées dans des jugements récents, donne froid dans le dos.

«S’investir dans l’action syndicale et la gestion des finances de son association appelle à servir et non à se servir», résume le juge Christian Brunelle, de la Cour du Québec, dans une de ces décisions datée de mars.

Ces cas rappellent celui de l’ex-directeur général de la FTQ-Construction (Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec) Jocelyn Dupuis, dont les allocations de dépenses exagérées avaient été étalées au grand jour il y a une dizaine d’années.

Quelque 650 travailleurs de l’usine de remorques Manac, à Saint-Georges, en Beauce, sont syndiqués avec les Métallos, au sein du local 9471.
Photo tirée de Facebook, Manac
Quelque 650 travailleurs de l’usine de remorques Manac, à Saint-Georges, en Beauce, sont syndiqués avec les Métallos, au sein du local 9471.

«Fallait que ça arrête»

Dans la section locale 9599 des Métallos, qui regroupe des employés de plusieurs organisations, dont la Société des traversiers du Québec, il y avait «un fouillis total» et «une tenue de livres inexistante». 

C’est ainsi que le juge cite le vérificateur Roch Drapeau, mandaté pour mener les vérifications par la maison mère des Métallos, à Pittsburgh.

Ce laisser-aller a permis au secrétaire financier Yann Gauthier de soutirer plus de 46 000 $ de la caisse syndicale jusqu’en 2017. 

«Fallait que ça arrête assez rapidement», selon M. Drapeau.

L’exercice comptable a aussi permis de constater que l’ex-président du 9599 Claude Leblond «amplifiait lui aussi les frais de déplacement à son avantage, ce qu’il a admis en remboursant subséquemment la section locale».

Contrairement à son ami Yann Gauthier, le président Leblond n’a pas été poursuivi. Tous deux étaient libérés à temps complet pour s’occuper du syndicat.

Le directeur québécois des Métallos, Dominic­­­ Lemieux.
Photo tirée de Facebook, Métallos
Le directeur québécois des Métallos, Dominic­­­ Lemieux.

  

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Condamné, il s’excuse

La situation n’était guère plus reluisante au local 9471, qui représente les 650 travailleurs de l’usine de remorques Manac, à Saint-Georges, en Beauce.

Son ex-secrétaire financier Roch Lessard a été condamné par la juge de la Cour supérieure France Bergeron à rembourser presque 110 000 $, plus frais et intérêts, en décembre.

«À l’audience [...], Lessard admet s’être approprié certaines sommes, pour 71 263,33 $. Il s’excuse même de son comportement», a noté la magistrate.

Ces trois nouveaux cas s’ajoutent à celui de Patrick Pellerin, ex-président de la section locale 8922 des agents de sécurité, démis de ses fonctions en décembre et visé par une enquête criminelle pour fraude.

En entrevue avec notre Bureau d’enquête, le directeur québécois des Métallos, Dominic Lemieux, a promis d’aller jusqu’au bout pour récupérer les sommes dérobées.

– Avec Philippe Langlois

«C’est du vol», lance le directeur  

Les Métallos de Rio Tinto Alcan avaient manifesté en 2012 à Québec.
Photo d’archives
Les Métallos de Rio Tinto Alcan avaient manifesté en 2012 à Québec.

Le directeur des Métallos du Québec est déterminé à poursuivre en justice ceux qui pigent illégalement dans la caisse syndicale.

«C’est du vol. On ne peut pas tolérer ça, et on ne le tolérera jamais», lance Dominic Lemieux en entrevue.

Au bout du fil, M. Lemieux ne cache pas son mécontentement. Il aimerait mieux qu’on parle de son organisation pour les bonnes raisons plutôt que pour les personnes renvoyées pour détournement de fonds.

Mais selon lui, les poursuites vont dissuader ceux qui seraient tentés de commettre des gestes illégaux.

«Au syndicat des Métallos, c’est tolérance zéro. Il n’y a aucune entente hors cour qui intervient entre nous et les gens qu’on prend à frauder.»

Son organisation a d’ailleurs récemment obtenu gain de cause contre les ex-officiers syndicaux Yann Gauthier et Roch Lessard, chacun condamné à rembourser des dizaines de milliers de dollars.

Quant à l’ex-président de la section locale 9599 Claude Leblond, il n’a pas été poursuivi, mais son cas est différent selon M. Lemieux. 

«Lui a remboursé 100 % de ce qu’il avait pris. Il a dit: “oui, c’est vrai”, et il a payé.»

Enquêtes policières

Au-delà des poursuites civiles, ceux qui ont subtilisé des fonds des travailleurs s’exposent aussi à des enquêtes de nature criminelle.

«Il y a eu des discussions avec les différents corps policiers. Mais comme vous le savez, c’est pas nous qui décidons si des accusations [criminelles] sont portées», dit M. Lemieux.

Pas trop inquiet

Bien que des cas d’utilisation illégale des fonds aient été rapportés concernant quatre individus dans trois sections locales, le directeur des Métallos ne croit pas que son organisation traverse une crise.

«C’est quatre cas sur 60 000 membres, on ne trouve pas que c’est alarmant. Mais c’est clair que j’aimerais bien mieux ne pas en avoir [de cas]», concède-t-il.

Pris la main dans le sac  

Section locale 9471

(650 travailleurs de l’usine Manac, à Saint-Georges, en Beauce)

Roch Lessard, secrétaire financier

Photo tirée du site web de la FTQ
  • Condamné le 3 décembre 2021 à rembourser 109 461,64 $ plus intérêts.   
  • «L’appropriation illégale» de fonds a duré de 2003 à 2016. Lessard a notamment «transigé sur une carte de crédit de la section locale, dans un but strictement personnel ou non justifié», selon le vérificateur.   
  • Il faisait rembourser les factures de trois téléphones cellulaires.   
  • Il utilisait des chèques en blanc pour ses dépenses.       

Section locale 8922

(16 000 travailleurs dans le domaine de la sécurité, dont des signaleurs routiers, des pompiers et des agents de sécurité)

Patrick Pellerin, président

Photo tirée d’un dépliant d’information du 8922
  • Démis de ses fonctions et visé par une perquisition de la Sûreté du Québec le 15 décembre 2021.   
  • L’enquête criminelle concerne une possible fraude dans les comptes bancaires du syndicat.   
  • Cette section locale a depuis été mise sous tutelle.      

Section locale 9599

(Employés de plusieurs organisations, dont la Société des traversiers du Québec)

Yann Gauthier, secrétaire financier

La maison de Yann Gauthier, saisie par un huissier le 9 juin.
Capture d’écran Google Maps
La maison de Yann Gauthier, saisie par un huissier le 9 juin.
  • Condamné le 31 mars à rembourser 46 043,95 $ plus intérêts.   
  • Sa maison de Saint-Côme-Linière, en Beauce, a été saisie le 9 juin.   
  • De 2011 à 2018, il s’est fait rembourser des frais de kilométrage pour ses déplacements personnels, des frais de repas de 30 $ par jour et des frais d’utilisation de cellulaire, sans y avoir droit. Certaines dépenses étaient aussi réclamées en double.   
  • «Les distances parcourues étaient amplifiées par rapport à la réalité», indique aussi un jugement.   
  • Le juge estime qu’il a abusé «de la confiance de ses collègues» et fragilisé les finances du syndicat.      

Claude Leblond, président  

  • Il «amplifiait lui aussi les frais de déplacement à son avantage, ce qu’il a admis en remboursant subséquemment la section locale», selon un jugement.   
  • Son syndicat ne l’a pas poursuivi, car il a admis ses torts.      

Des chèques en blanc  

Au syndicat des travailleurs de l’usine Manac, en Beauce, les responsables du syndicat signaient des chèques en blanc pour permettre au secrétaire financier Roch Lessard de dépenser selon son gré.

Ces chèques nécessitaient trois signatures, dont celle de M. Lessard. 

«Les chèques sont signés d’avance par deux officiers. Lessard n’a qu’à mettre le montant qu’il veut et signer, sans que personne, au moment où le chèque est libellé, n’ait à vérifier la pièce justificative, son existence, et si celle-ci correspond au montant du chèque», explique la juge France Bergeron dans sa décision.

La magistrate qualifie Lessard, qui a dû rembourser plus de 110 000 $, de «maître à bord sur le bateau des finances de la section locale. Il a le contrôle, tant horizontal que vertical».

Syndics formés «sur le coin d’un bureau»  

Les officiers syndicaux ont-ils eu la formation adéquate pour vérifier les finances de leur section locale? La juge Bergeron en doute.

Le soudeur François Loubier a d’ailleurs indiqué à la Cour avoir été formé comme syndic par Roch Lessard, «sur le coin d’un bureau».

Lessard lui-même avait appris sur le tas. Détenteur d’un diplôme de secondaire 5, il travaille depuis l’âge de 19 ans.

«Le Tribunal ne peut reprocher aux syndics de ne pas avoir fait leur travail de vérification adéquatement. Ils sont de simples ouvriers qui exercent ce travail, sans formation particulière, à l’époque, sauf celle donnée par Lessard. Par ailleurs, depuis l’événement Lessard, les syndics bénéficient d’une formation tout autre», souligne la juge.

En entrevue avec notre Bureau d’enquête, le directeur québécois des Métallos, Dominic Lemieux, explique que son organisation a récemment «renforcé» la formation donnée aux syndics et aux trésoriers.

Merci au vérificateur!  

Les syndiqués doivent une fière chandelle au vérificateur Roch Drapeau, mandaté par la maison mère des Métallos aux États-Unis pour faire la lumière sur les irrégularités.

«L’ampleur de la tâche accomplie [par M. Drapeau] constitue un véritable travail de bénédictin dont il faut souligner la rigueur», souligne le juge Christian Brunelle.

Il poursuit en écrivant que M. Drapeau a «construit patiemment et méticuleusement un tableau au moyen du logiciel Excel», après avoir fouillé une montagne de formulaires, relevés de dépenses et chèques encaissés.

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