Festival d’opéra: Yourcenar en deux temps
Une première habilement livrée
Création autour des passions qui ont nourri l’écrivaine Marguerite Yourcenar, l’opéra qui porte son nom, dévoilé jeudi en première mondiale, est une réussite.
On retrouve de bonnes voix, une forte dramaturgie et un environnement musical superbement livré par les Violons du Roy.
Le défi de créer un opéra est, dans un premier temps, une opération à haut risque dans un univers où le public carbure aux classiques. Les oeuvres contemporaines, qui demandent un certain effort, sont souvent mal aimées. C’est un fait.
À l’affiche à nouveau demain soir, au Palais Montcalm, à l’occasion du Festival d’opéra, Yourcenar – Une Île de passions plonge dans les deux grandes histoires d’amour de cette écrivaine, première femme à être élue membre de l’Académie française.
L’opéra s’intéresse à la relation avec Grace Frick, interprétée par la soprano Kimy McLaren, qui lui a permis de s’établir en tant qu’écrivaine et celle, tumultueuse, avec Jerry Wilson, personnifié par le baryton Hugo Laporte.
Lancée par la violoniste Pascale Giguère, la musique d’Éric Champagne se déploie de belle façon et elle colle parfaitement aux émotions et à la dramaturgie du livret d’Hélène Dorion et de la regrettée Marie-Claire Blais.
Les lignes musicales sont contemporaines, mais sans écorcher et être arides pour l’oreille. Elles sont modernes et il faut accepter ce fait afin de pouvoir apprécier pleinement les deux heures de cet opéra. On constate un superbe travail du côté des percussions interprétées par Bob Slapcoff.
Le chef Thomas Le Duc-Moreau, qui se retrouve sur son premier podium, pour la direction d’une œuvre majeure, fait de l’excellent boulot. Il guide bien les musiciens à travers les variations musicales. Ce qu’il a fait, entre autres, lors d’une scène, dans l’acte 2, où l’on retrouve les personnages de Jerry Wilson et Daniel (Jean-Michel Richer).
Après un premier acte où l’on retrouve une Marguerite Yourcenar en pleine émancipation, interprétée par la mezzo-soprano Stéphanie Pothier, l’opéra prend véritablement son envol.
Un beau moment
Admise à l’Académie française, Marguerite Yourcenar entreprend une relation complexe et peu satisfaisante avec Jerry Wilson. On a droit, durant le deuxième acte, à un superbe air chanté par la soprano Suzanne Taffot, applaudie spontanément, à de belles performances vocales de Jean-Michel Richer et Hugo Laporte et un beau moment d’opéra avec les voix croisées de Richer, Laporte et Stéphanie Pothier.
Le seul petit bémol, à ce moment, c’est qu’on s’éloigne beaucoup de Marguerite Yourcenar. Ce deuxième acte s’intéresse surtout à la relation entre Jerry Wilson et son amant Daniel. Ce qui n’est pas inintéressant dramatiquement, mais l’écrivaine, témoin de cette situation, se trouve mise en retrait.
À la fin de l’opéra, Marguerite Yourcenar réalise que la vie est constituée de souffrances et de moments d’émerveillement.
Appuyée par des images vidéo, des projections et de superbes jeux d’ombres qui se déploient sur des panneaux blancs, la mise en scène d’Angela Konrad est réussie. Il y a du mouvement avec la présence d’un chœur constitué de six chanteurs et six chanteuses intégrés à l’histoire.
Sombre, témoignant des émotions vécues par les personnages, la trame musicale d’Éric Champagne s’illumine, l’espace de quelques instants, dans le segment final, accompagnant une femme en paix avec sa vie. Une vie où elle a tangué entre le port et le large.
Yourcenar – Une Île de passions est une œuvre toute jeune. En quittant le Palais Montcalm, jeudi, on a eu l’impression d’assister à un moment fort de l’opéra québécois. Le défi était énorme et il a été relevé.