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Manque de places en garderie: obligés de télétravailler avec bébé dans les bras

Des milliers de parents québécois attendent encore des places en garderie

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Biaolan Racette et son conjoint David Gamache ont étiré l’élastique jusqu’au bout à travailler tout en s’occupant de bébé Ethan, âgé de 2 ans et demi, à la maison pendant des mois, faute d’avoir une place en garderie. Photo Agence QMI, Marcel Tremblay


Le manque de places en garderie pousse encore de nombreux parents au congé forcé ou à télétravailler avec bébé dans les bras. Près de 34 000 enfants sont urgemment en attente d’une place, selon les chiffres obtenus par Le Journal.  

• À lire aussi: Places subventionnées en garderie: la CAQ reprend une promesse de l'opposition

« Pendant les réunions, j’écoute avec mes écouteurs sans fil. [...] Le soir, j’essaie de rattraper les heures que je n’ai pas pu faire, mais il me manque toujours un 5 à 10 heures par semaine sur mes paies », raconte Biaolan Racette, 26 ans. 

Depuis près de trois mois, elle fait du travail de bureau dans le secteur public tout en s’occupant de son petit Ethan.  

Pour cette mère de Québec, la situation est plus ardue, car son fils de 2 ans et demi a un retard de développement. La garderie privée qui l’accueillait jusqu’en mai a mis fin au contrat, n’ayant pas les ressources pour répondre à ses besoins. 

Ainsi, la petite famille n’a pas le choix d’attendre une place subventionnée.

« On est épuisés, lâche-t-elle. Tous les jours, c’est un éternel coup de pied dans le derrière. »

Un an plus tard

L’été dernier, Le Journal dévoilait l’ampleur du manque de places en garderie, illustrant ses dommages collatéraux. 

Depuis, le gouvernement Legault a multiplié les annonces : création de places, assouplissements, bonification des conditions salariales des éducatrices. Ont-elles porté leurs fruits ? 

Au 31 mai, 33 829 enfants étaient en attente d’une place immédiatement au Québec, selon les chiffres obtenus par Le Journal

Cette donnée, qui met en lumière la partie la plus criante du problème, n’existait pas l’an passé, ce qui rend difficile la comparaison avec les années précédentes. 

Parmi les milliers de parents qui patientent, beaucoup – généralement la mère – reportent leur retour de congé de maternité et vivent à un salaire (voir autres plus bas). D’autres ont fait le choix de reprendre le travail malgré tout.

« Je suis toujours là, mais pas là en même temps », raconte Angela Moore, une Sherbrookoise de 30 ans qui fait du télétravail pour un organisme à but non lucratif. 

Ses journées de travail commencent parfois à 5 h et se terminent à 23 h.

« Je suis toujours à on. J’ai toujours mon cell sur moi pendant que je joue avec ma fille, au cas où je reçoive un courriel. »

Chanceuses, mais...

Les mères interrogées ont en commun de se considérer « chanceuses » d’avoir un employeur flexible et compréhensif, d’avoir encore un emploi et une maison. 

« Chanceuses », mais au bout du rouleau. 

« Mon conjoint voit les effets sur ma personnalité, parce que je suis trop épuisée. J’étais plus positive avant », avoue Mme Moore, qui se sent coupable.

Mme Racette, elle, a peut-être même trop étiré l’élastique, car elle est en arrêt de maladie depuis deux semaines. 

« Ma capacité à m’adapter a atteint sa limite », a-t-elle observé.

– Avec Marie Christine Trottier, Agence QMI

Pas facile pour les familles

  • Enfants en attente d’une place immédiatement : 33 829 (en date du 31 mai 2022)
  • Nombre de nouvelles places de garderie en installation mises sous permis : 5623 (entre le 1er août 2021 et le 31 juillet 2022)

Source : ministère de la Famille

C’est encore la jungle, témoignent des parents 

Des parents font encore les frais de la féroce compétition qui anime le marché des garderies, qui se traduit par les pratiques douteuses de certains milieux ou encore l’angoisse de ne pas trouver de place. 

L’organisme Ma place au travail, qui milite pour l’accès pour tous les enfants à un service de garde, dit recevoir jour après jour autant de messages de parents désemparés qu’il y a un an. « On tombe encore en bas de notre chaise », constate la co-porte-parole Marylin Dion.  


L’APPEL DU CPE... MANQUÉ 

Moins d’une heure : c’est le temps qui s’est écoulé entre l’appel qu’a reçu une mère de Québec et le moment où elle a rappelé le CPE pour accepter une place. Mais il était déjà trop tard. 

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Photo courtoisie

Myriam Cyr, 32 ans, est passée par toute une gamme d’émotions quand elle a vu le numéro d’un CPE sur son afficheur, en mai. 

« J’ai crié : “mon amour, on a une place !” »

Elle était sortie faire des courses, son cellulaire était sur vibration. Aucun message ni texto n’avait été laissé. Son conjoint, dont le numéro apparaissait aussi au dossier, n’a pas reçu d’appel. 

Elle s’est empressée de rappeler le CPE. Elle a alors appris que la place avait déjà été donnée à une autre famille, raconte Mme Cyr.

Contactée par Le Journal, la directrice du CPE explique qu’elle appelait pour l’aviser qu’elle était deuxième sur la liste d’attente. 

« C’est mon erreur. On a voulu aller trop vite. [...] Et j’aurais dû laisser un message », avoue la directrice.

Ce n’est toutefois pas ce qu’a compris Mme Cyr. 

« On m’a dit qu’ils appelaient plusieurs parents en même temps et que c’était le premier qui répondait qui avait la place. »

Mme Cyr s’est mise à faire de l’anxiété à l’idée de manquer un tel appel à nouveau. 

« Je ne dormais plus. J’étais constamment aux aguets, avec mon téléphone ouvert, dans la douche. J’avais avisé mon employeur [...] qu’en tout temps, si mon téléphone sonnait, j’allais répondre [...]. Je me sentais vraiment sans ressources. »  


FERMETURE APRÈS FERMETURE

Pour la deuxième fois en un an, une mère du Bas-Saint-Laurent fait face à la fermeture de la garderie qui accueillait ses enfants, illustrant l’instabilité qui perdure. 

« Je suis enseignante à contrat. Dans une semaine et demie, l’école recommence », s’inquiète Joanie Caron, 35 ans. 

Dans une semaine, la garderie en milieu familial que fréquentent ses deux enfants de 3 et 4 ans fermera ses portes. 

C’est le jour de la marmotte pour cette famille de la région de Kamouraska, puisqu’à pareille date l’an dernier, sa garderie précédente avait aussi cessé ses activités. 

Son plus vieux entrera heureusement bientôt dans un CPE, mais elle doit continuer de chercher pour sa fille plus jeune. 

« Ce n’est pas évident [...]. Parfois, il n’y a que des places temporaires. »  


EN CONGÉ FORCÉ, SA BOUTIQUE WEB CARTONNE

Le manque de places en garderie est devenu « un mal pour un bien » pour une maman de Sherbrooke qui a créé une boutique en ligne d’artisanat afin de gagner des sous pendant son congé forcé.

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Photo courtoisie

« J’ai dû user de créativité », raconte Daphné Verreault, 24 ans. 

Son enfant aura 18 mois en septembre et elle n’arrive toujours pas à lui trouver une place en garderie. Comme son conjoint a un emploi stable, c’est elle qui reste à la maison, sans pouvoir reprendre ses études en enseignement de l’histoire au secondaire.

Elle a donc ouvert une boutique sur la plateforme Etsy. Elle y vend bijoux, brûlures de bois, objets liés à l’ésotérisme. 

Contre toute attente, la popularité de sa boutique a explosé. 

« Jamais de la vie je n’aurais pu croire ! Pour moi, il fallait que j’aie un travail [pour gagner ma vie] », raconte-t-elle.  


DÉPÔT NON REMBOURSÉ

Une Sherbrookoise multiplie les démarches pour tenter de ravoir les 400 $ qu’elle a donnés en dépôt à une éducatrice pour réserver sa place, ignorant alors que cette pratique était illégale.

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Photo courtoisie

« En tant que nouveaux parents, on fait parfois des erreurs », témoigne Marie-Stefy Desjardins, 25 ans, qui veut lancer une mise en garde. 

En avril, son conjoint et elle ont visité la garderie en milieu familial non accréditée de Cathy Duquette pour une place en septembre. L’éducatrice a alors demandé que le contrat soit signé sur-le-champ et qu’un montant équivalent à deux semaines de service soit déposé pour réserver la place.

« Elle voulait notre réponse immédiatement », relate Mme Desjardins, qui, croyant que cette façon de faire était conforme, a acquiescé. 

Le couple s’est toutefois mis à douter : les installations de jeu étaient sommaires, les certificats attestant la réussite d’un cours de secourisme et d’empêchement judiciaire n’étaient pas à jour, illustre Mme Desjardins. 

Elle a continué à chercher ailleurs et a finalement trouvé à la fin juillet. Quand elle a annoncé à l’éducatrice qu’elle annulait le contrat, celle-ci a refusé de lui rembourser les 400 $. 

« Non, désolé, mais j’ai gardé votre place tout ce temps je perd je doit refaire une annonce [sic] », peut-on lire comme réponse dans l’échange de textos. 

Or, les garderies doivent respecter la Loi sur la protection du consommateur, qui oblige le commerçant à remettre une copie du contrat aux parents avec un formulaire de résiliation et interdit d’exiger un acompte, indique par courriel Charles Tanguay, de l’Office de la protection du consommateur (OPC). 

Une mise en demeure, dont Le Journal a obtenu copie, a été envoyée à Cathy Duquette le 25 juillet. Mme Desjardins attend toujours sa réponse et son remboursement. 

L’OPC confirme avoir reçu une plainte contre cette garderie. Une plainte est également en cours de traitement au ministère de la Famille. 

Cathy Duquette n’a pas souhaité commenter.  

L’hémorragie bel et bien stoppée 

Des signaux encourageants pointent à l’horizon après des années de stagnation et une « hémorragie » pandémique, qui a vu de nombreuses éducatrices fermer leur milieu familial. 

« Je n’ai jamais vu ça en 37 ans de carrière », s’exclame Martine Beaupré, directrice générale de la corporation La Becquée, qui a plusieurs antennes de centres de la petite enfance (CPE) en Beauce et à Québec. 

Dans la dernière année seulement, elle a pu ouvrir 62 nouvelles places qui sont déjà accessibles à des enfants et 114 autres verront le jour dans les prochains mois. Là-dessus, des projets qui dormaient depuis 2013 ont enfin débloqué, souligne-t-elle. 

« C’est clairement plus ensoleillé que l’an passé », confirme Geneviève Bélisle, de l’Association québécoise des CPE.

Garder les éducatrices

Le gros défi, c’est d’attirer et retenir les éducatrices, explique-t-elle. Et la bonne nouvelle, c’est que cette année, on a réussi à stabiliser le nombre de responsables en milieu familial. 

Depuis 2014, c’était la saignée. Année après année, le nombre de responsables qui quittaient le navire était plus grand que le nombre de nouvelles à créer une garderie.

« C’était catastrophique », résume le ministre de la Famille, Mathieu Lacombe, en entrevue avec Le Journal

« On ne perd plus de places en milieu familial. Vous ne pouvez pas soupçonner à quel point pour nous, ça vient complètement changer la donne. »

« Tous les signaux sont au vert », affirme le ministre, qui se dit convaincu que son grand chantier pour que tous les enfants aient une place en garderie soit complété en 2024.

Ce sera long

« En un an, je ne crois pas que la situation se soit beaucoup améliorée sur le terrain », estime le directeur général de l’Association des garderies privées, Samir Alahmad.

Il faudra selon lui attendre encore un, deux, voire quatre ans avant que les places en développement puissent accueillir des enfants. 

« Mais ce sont de vraies places [...]. Ce ne sont pas des annonces bidon », assure-t-il.

« On sent que l’hémorragie est freinée, même si [le patient] n’est pas guéri », image la secrétaire-trésorière à la Fédération des intervenantes en petite enfance du Québec, Anne-Marie Bellerose.

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