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32 enfants pour une éducatrice: déjà le bordel et l’épuisement après deux semaines d’école

Plus d’enfants par éducateur que permis en raison de la pénurie de personnel

Annie Charland
Annie Charland, présidente du secteur scolaire de la Fédération des employées et employés de services publics (FEESP-CSN), s’inquiète de la gravité de la pénurie d’éducateurs en service de garde dans les écoles primaires. Photo Chantal Poirier


Une éducatrice qui s’occupe de 32 petits. Une école où il manque la moitié des éducateurs. C’est au service de garde que la pénurie de personnel frappe le plus fort dans les écoles, au point de faire exploser les ratios.

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«C’est épeurant», dit Frédérique*, une éducatrice qui a 20 ans d’expérience en service de garde scolaire. 

Dans son école de la Mauricie, il manque tellement de personnel que chaque midi, elle est seule pour s’occuper de deux groupes d’enfants de 4 ou 5 ans. 

Les jeunes sont répartis dans deux classes. Quand elle est avec un groupe, aucun adulte n’est là pour surveiller l’autre, raconte-t-elle. 

«À cet âge-là, j’en ai qui ne sont même pas propres [...] Il y en a qui ne savent pas ouvrir leur boîte à lunch [...] En début d’année comme ça, je ne peux pas dire que ce n’est pas le bordel», laisse-t-elle tomber. 

La pénurie de personnel est criante partout dans les écoles du Québec. Mais selon de nombreux intervenants interrogés, c’est dans les services de garde que la situation est la plus grave.

Par exemple, au Centre de services scolaire (CSS) du Chemin-du-Roy, dans le coin de Trois-Rivières, il restait encore 51 personnes à trouver en service de garde en date de lundi. Au CSS de Montréal, 92. 

  • Écoutez l'entrevue avec Martin Bibeau à l’émission de Philippe-Vincent Foisy diffusée chaque jour en direct 6 h 50 h via QUB radio : 

Gonflés

Selon la Loi sur l’instruction publique, les ratios en service de garde ne devraient pas dépasser 20 élèves pour un adulte. 

Mais régulièrement, ces ratios sont gonflés pour éviter les bris de service, observe Annie Charland, présidente du secteur scolaire à la Fédération des employées et employés de services publics (FEESP-CSN).

«Imaginez si on faisait des bris de service. Chaque personne qui s’absente, ce serait 20 élèves sans service de garde.»

Annie Charland
Photo Chantal Poirier

Les éducatrices doivent donc être comme «des pieuvres», image Mme Charland. 

«C’est censé être des activités éducatives, mais on oublie ça : ce n’est que de la surveillance.» 

«L’aide aux devoirs, on n’est pas capables [d’offrir le service]», avoue Denis*, directeur d’une école à Québec.  

Cette semaine, il lui manque six adultes sur les 12 dont il aurait besoin. 

«La conséquence, c’est l’épuisement du personnel. Déjà là, on le sent», dit-il, deux semaines après la rentrée.

Sécurité

Certains craignent même pour la sécurité des jeunes, comme Sylvie*, une technicienne en service de garde de la Rive-Sud de Montréal. 

Elle rappelle que dans une journée, certains enfants passent plus de temps au service de garde qu’avec leur enseignant.

«Tu sais, quand tu es seule avec 27 élèves de 1re année...», commence-t-elle. 

Elle aurait bien aimé parler plus longuement au Journal hier, mais il lui manquait trois éducateurs sur les 12 qui forment le service dont elle est la gestionnaire. 

Pas le choix de descendre sur le plancher elle-même pour s’occuper d’un groupe. 


*Noms fictifs. Les personnes de terrain interrogées ont préféré garder l’anonymat pour éviter les représailles de leur CSS.

Des débuts «broche à foin» pour un projet prometteur

Un projet pilote qui devait permettre de recruter davantage d’éducateurs en service de garde et de décharger les enseignants fait une entrée «chaotique» dans les écoles.  

«C’est broche à foin. Tout le monde fait n’importe quoi n’importe comment», dit Annie Charland de la FEEPS-CSN à propos du projet pilote d’aide à la classe. 

Dès cet automne, des travailleurs scolaires, dont de nombreux éducateurs en service de garde, pourront venir en appui aux enseignants dans une centaine d’écoles du Québec. 

Bonne idée

Ce projet était considéré comme prometteur, car si les éducateurs en service de garde se font si rares, c’est surtout parce que leurs horaires coupés ne sont pas attrayants.  

Par exemple, une éducatrice peut travailler de 6 h 45 à 9 h, puis sur l’heure du midi, puis de 15 h à 18 h. Elle peut alors passer 11 heures à l’école et n’être payée que pour 6 heures de travail, ou encore faire des allers-retours non désirés à la maison. 

«Mais il y a tellement de choses à faire dans les écoles», s’exclame Réjeanne Brodeur, de l’Association québécoise de la garde scolaire. 

Il est donc un peu absurde de renvoyer à la maison des éducateurs qui pourraient surveiller les récréations, accompagner des élèves à besoins particuliers en classe, aider au secrétariat ou à la bibliothèque, illustre Mme Brodeur. 

Surtout que, pendant ce temps, les enseignants se plaignent d’être débordés de tâches connexes qui n’ont rien à voir avec l’enseignement. 

Bisbille

Or, pour l’instant, l’implantation du projet pilote est mal encadrée, notent plusieurs intervenants. 

Certains éducateurs se font offrir d’ajouter des blocs d’aide à la classe qui ne font que multiplier les trous à leur horaire plutôt que de leur offrir une journée de travail en continu, illustre Mme Brodeur. 

Quelles sont les tâches qui pourraient être exigées des aides-enseignants ? Quelles sont les limites des rôles de chacun? Qui sont les chercheurs qui encadrent le projet pilote et quel est leur protocole de recherche?, se demande Mélanie Hubert, présidente de la Fédération autonome de l’enseignement. 

«On est encore en attente des réponses du ministère. On a l’impression que ça va être à géométrie variable d’un endroit à l’autre», craint Mme Hubert.

Au moment de publier, le ministère de l’Éducation n’avait pas répondu à nos questions.  

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