Mélina Roberge: son goût du luxe l’a menée en prison pendant cinq ans
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Bling-bling, selfies et superficialité : c’est son mode de vie de dépensière fauchée, avide de luxe, qui a conduit en prison l’une des deux Québécoises arrêtées en Australie pour avoir participé au trafic de dizaines de kilos de cocaïne.
Ces mots sont ceux de Mélina Roberge, qui se confie dans le livre Sans filtre, en librairie depuis cette semaine et cosigné avec la journaliste du Journal de Montréal Claudia Berthiaume.
Mélina Roberge ne s’en cache pas dans son récit au «je» : l’influence des réseaux sociaux et son désir de renvoyer une image de luxe et de highlife ont mené à une série de mauvaises décisions qui l’ont conduite derrière les barreaux.
En entrevue, Mélina Roberge estime elle-même avoir vécu une histoire de «luxe manqué» jusqu’à son arrestation en 2016, qui avait à l’époque fait le tour de la planète.
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C’est notamment par superficialité que l’adepte des réseaux sociaux a accepté de monter à bord – toutes dépenses payées – du Sea Princess, un bateau de croisière qui devait mettre le cap sur plus d’une dizaine de destinations paradisiaques.
TOUT POUR INSTAGRAM
Et même si elle savait que derrière le voyage se tramait un important trafic de cocaïne dans lequel elle devrait inévitablement jouer un rôle, elle a décidé d’y prendre part. Un mince prix à payer – croyait-elle à l’époque – pour garnir son profil Instagram de photos plus attrayantes les unes que les autres.
Avec une multitude de détails colorés et une pointe d’humour à leur image, les deux auteures transportent le lecteur au cœur de la croisière de Mélina Roberge, de son arrestation et de ses cinq années dans différentes prisons d’Australie.
Avec son récit, la Québécoise aujourd’hui âgée de 29 ans souhaite partager ce qu’elle a vécu dans l’espoir d’en inspirer d’autres à réfléchir avant de s’embarquer sur une pente glissante.
L’expérience, dit-elle, a remis en question ses priorités, elle qui rêvait ni plus ni moins, depuis le fond de sa cellule, de couper des légumes avec sa mère.
PAS DE PITIÉ
La jeune femme dit qu’elle ne cherche ni la pitié ni la rédemption, se dépeignant elle-même de façon disgracieuse à maintes reprises dans l’ouvrage.
Et elle le martèle à qui veut bien l’entendre : elle est la seule responsable de son long séjour en prison. C’est par souci de transparence qu’elle aborde le contexte derrière ses mauvaises décisions.
Cependant, quelques détails demeurent flous après la lecture du livre : Comment Mélina Roberge s’est-elle fait proposer de prendre part à l’opération d’importation de drogue? Comment la drogue s’est-elle retrouvée sur le bateau? Qui sont les gens derrière le complot?
À ces questions, l’ex-détenue s’est gardée de donner des réponses pour des raisons de sécurité : elle affirme que certaines informations pourraient mettre en danger sa vie ou celle de ses proches.
Les auteures ont ainsi choisi de demeurer vagues à quelques égards, en donnant notamment des noms d’emprunt aux acteurs importants du complot criminel pour faciliter la lecture. Par exemple, deux d’entre eux portent le nom de «Banquier» et de «Joaillier».
«C’était une façon plus facile de les identifier, un clin d’œil. Le Joaillier aimait les bijoux et lui avait donné une montre», résume Claudia Berthiaume, ne pouvant en dire plus.
ELLE COMBAT SES DÉMONS
Au détour, le livre de 240 pages aborde la jeunesse de Mélina Roberge, de la séparation de ses parents à son embonpoint d’adolescence qui lui a causé des troubles alimentaires et un important manque de confiance en soi.
Elle combat encore ses démons aujourd’hui, confie-t-elle.
Maintenant, l’ex-détenue souhaite passer à autre chose pour pouvoir avancer dans la vie au-delà du crime pour lequel elle a payé.
Elle ne ferme cependant pas la porte à donner des conférences dans des écoles pour réitérer son message dissuasif.
Un livre malgré les préjugés
Les deux femmes derrière le livre Sans filtre ont dû s’apprivoiser avant de raconter une histoire hors du commun
Derrière l’écriture de Sans filtre se cachent deux filles qui avaient de gros préjugés l’une envers l’autre. La journaliste Claudia Berthiaume a dû gagner la confiance de l’ex-détenue pour parvenir à représenter fidèlement le récit et s’imprégner de son langage.
L’étonnant duo s’est rencontré dans un salon de coiffure, où l’ex-mule, Mélina Roberge, a donné rendez-vous à Claudia Berthiaume, ne sachant pas qu’elle travaillait pour Le Journal de Montréal. La journaliste ayant flairé le potentiel de l’histoire, elle espérait établir doucement un premier contact et voir où cela pourrait mener.
C’est une fois la tête dans le lavabo que la journaliste d’enquête lui a avoué sa profession, sous les yeux écarquillés de la coiffeuse.
«Peut-être que si tu me l’avais dit avant, je n’aurais pas voulu faire tes cheveux, par contre. [Claudia] a été super respectueuse», s’esclaffe Mélina Roberge en sirotant son café glacé à côté de Claudia Berthiaume dans un petit restaurant du Quartier Dix30, à Brossard.
De fil en aiguille, l’idée d’écrire un livre a germé dans la tête de l’ex-détenue, qui a recontacté elle-même sa nouvelle cliente pour en discuter.
DEUX SEMAINES DANS UN AIRBNB
Mais c’était loin d’être gagné. Mélina Roberge n’avait pas eu une bonne impression des journalistes qui ne l’ont jamais dépeinte à son avantage – avec raison –, admet-elle.
Les deux femmes ont ainsi loué un Airbnb à Montréal pour y vivre ensemble deux semaines. Elles ont vite réalisé qu’elles n’étaient pas si différentes l’une de l’autre.
«De l’extérieur, je ne la connaissais pas du tout. Tu pars avec un préjugé. [...] Je n’aurais pas pris une décision comme elle [participer à un complot d’importation de drogue], mais on a quand même des points communs qui font qu’on s’entend bien. Ça lui a permis de s’ouvrir. Il y a des trucs qui lui ont pris du temps», relate Claudia.
MATELAS GONFLABLE ET CAFÉ
Les rencontres hebdomadaires ont continué ensuite pendant plusieurs mois, durant lesquels Mélina Roberge venait de Granby pour la fin de semaine et dormait sur un matelas gonflable chez la journaliste. Les deux femmes partageaient soupers et petits déjeuners. Peu à peu, Mélina a commencé à baisser la garde, confiant des anecdotes et détails qui colorent le récit.
Par souci de sécurité, les auteures ont pris la décision de ne pas publier certains détails, comme le nom de personnes impliquées dans l’importation de drogue.
Durant les séances, Claudia confrontait la criminelle repentie et remettait en question régulièrement ce qu’elle entendait, pour s’assurer de la véracité du récit. Mais au bout du compte, «c’est son histoire, son point de vue», même si Mélina est loin de se mettre à son avantage dans ce qu’elle raconte sur sa vie.
«Souvent tu as envie de la brasser, de lui dire : es-tu sérieuse?», explique Claudia Berthiaume.
AUTHENTICITÉ
Et pour ajouter une bonne dose d’authenticité, l’auteure a adapté sa plume au langage et à l’humour de son sujet, qui refusait catégoriquement de voir le mot «égoportrait» dans son livre.
Par la force des choses, les deux auteures sont devenues de bonnes amies : une complicité qui a permis d’apporter beaucoup de naturel et de transparence entre les lignes.