À quand la levée de l’omerta en éducation?
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En décembre 2018, le ministre Jean-François Roberge clamait haut et fort qu’il fallait briser «la loi du silence» qui régnait en éducation depuis 20 ans, selon lui. Il disait souhaiter «qu’il y ait une liberté de parole, que tout le monde qui intervient dans les écoles se sente libre de nommer les problèmes, évidemment en toute honnêteté et dans un souci d’améliorer les services». Le ministre insistait: «La loi du silence n’est pas une option pour améliorer notre réseau scolaire.»
En effet, dans un état de droit et démocratique, il est inacceptable que les employés de l’État soient réduits au silence dans l’espace public par peur de représailles (dont les exemples abondent).
Il ajoutait: «Quand je procéderai à la renégociation des ententes, j’aurai en tête d’inscrire dans la convention collective cette liberté de parole.» Il désirait que soit reconnu le pouvoir des acteurs de l’éducation de dénoncer les travers du réseau et de proposer des solutions pour l’améliorer.
Depuis 2018, un ministre muet
Or, lors de la négociation des conventions collectives des enseignantes et enseignants en 2020 et 2021, la partie patronale n’en a pas soufflé mot. En juillet 2022, toujours dans une entrevue à La Presse, le ministre revient sur l’importance de la parole du personnel enseignant. Mais qu’ont fait le ministre Roberge et la CAQ durant les récentes élections à ce sujet? Rien.
Rappelons que trois pétitions signées massivement par «celles et ceux qui appellent les élèves par leur nom», pour reprendre son expression préférée afin d’afficher sa proximité du terrain, demandaient au ministre de briser la loi du silence du personnel scolaire: celle de K. Dufault en 2018, celle du collectif Debout pour l’école! en 2019 et celle de l’enseignante S. Bahl en 2022. En tout plus de 30 000 signatures. Et toujours pas d’action du ministre!
Pourtant, il a reçu des avis juridiques pour clarifier la portée de la fameuse «obligation de loyauté» des employés de l’État et leur droit de critiquer publiquement les institutions pour lesquelles ils travaillent. Comme l’écrivait en 2020 dans Contact le juriste L.-P. Lampron de l’Université Laval, «il est effectivement temps d’agir pour corriger la situation et ainsi de faciliter l’exercice d’un droit fondamental de tout justiciable, soit l’accès à l’information d’intérêt public [...] afin d’éliminer le maintien des obstacles juridiques qui expliquent pourquoi de plus en plus d’agents de l’État craignent de subir des représailles s’ils diffusent des informations (ou critiques) d’intérêt public».
Il ajoutait: «tant que les ministres resteront dans le domaine des vœux pieux ou de l’expression de “surprise indignée” face à des cas ([l’enseignante K. Dufault et l’agronome L. Robert, par exemple] médiatisés de menaces de représailles pesant à l’encontre d’agents de l’État qui critiquent leurs institutions publiques de manière légitime, les dérives entourant “l’obligation de loyauté” continueront de nourrir l’omerta à laquelle il convient de mettre un terme».
Qu’ont fait les chefs de partis durant la campagne électorale? Rien.
Ni la CAQ, ni les autres partis politiques, ni les administrations scolaires n’ont abordé cet enjeu, soulevé au cours des dernières semaines par des journalistes spécialisés en éducation de divers médias. Ceux-ci ont beaucoup de mal à s’entretenir avec des enseignants ou directions d’école sur des problèmes graves dont ils ont connaissance. Ces derniers craignant des représailles, l’affaire Dufault hante encore les esprits. Pourtant il s’agit d’un droit fondamental de chaque citoyenne et citoyen et d’une assise de la démocratie politique.
Il est urgent que tous les membres du personnel scolaire soient correctement informés de leurs droits et devoirs quant à leur prise de parole publique sur des sujet d’intérêt public.
Aussi, le ministère de l’Éducation, les directions centres de services scolaires, voire les syndicats du milieu de l’éducation et la Commission des droits de la personne doivent tout mettre en œuvre pour informer les membres du personnel scolaire de leurs droits et de leurs devoirs envers la population. Il est essentiel que tous, au premier chef les directions d’école et le corps enseignant, aient non seulement le droit, mais se fassent un devoir d’informer la population sur toute question d’intérêt public.
Suzanne-G. Chartrand, retraitée de l’éducation secondaire et universitaire, porte-parole de Debout pour l’école!
Jean Bernatchez, spécialiste des politiques publiques, professeur, UQAR
Sylvain Dancause, enseignant au secondaire
Kathya Dufault, ex-enseignante
Louis-Philippe Lampron, professeur, Faculté de droit, Université Laval
Claude Lessard, sociologue, professeur émérite, Université de Montréal
Fikry Rizk, retraité de l’enseignement secondaire, chargé de cours, UQAM