Québec veut assouplir les exigences en français pour les profs formés à l’étranger
Une mesure proposée par le gouvernement inquiète
Coup d'oeil sur cet article
Pour contrer la pénurie d’enseignants, Québec veut assouplir les exigences en français pour les profs formés à l’étranger, une mesure qui est loin de faire l’unanimité.
Présentement, le ministère de l’Éducation peut octroyer un permis probatoire d’enseigner à une personne qui a complété une formation en enseignement à l’étranger jugée équivalente à celle offerte au Québec, à condition qu’elle réussisse le Test de certification en français écrit pour l’enseignement (TECFEE).
La réussite de cet examen est obligatoire pour tous les futurs profs formés dans les universités québécoises.
Or selon des modifications proposées par Québec, un enseignant formé à l’étranger aura maintenant cinq ans pour réussir cet examen après avoir obtenu son permis probatoire. Le ministre de l’Éducation, Jean-François Roberge, a déposé un projet de règlement en ce sens dans la Gazette officielle, le 31 août, dont l’entrée en vigueur est prévue à la mi-octobre.
- Écoutez l'édito de Richard Martineau diffusé chaque jour en direct 8 h 45 via QUB radio :
Une mesure controversée
Cet assouplissement est toutefois loin de faire l’unanimité, tant dans le milieu universitaire que dans le réseau scolaire.
«C’est un peu gênant», affirme Jean Bélanger, doyen à la Faculté des sciences de l’éducation de l’UQAM et président de l’Association des doyens et directeurs pour l’étude et la recherche en éducation au Québec (ADÉREQ). «Il faut s’assurer que les gens qui enseignent à nos enfants maîtrisent le français idéalement à un niveau acceptable», ajoute-t-il.
Le son de cloche est le même du côté des directions d’école, pour qui le recrutement d’enseignants représente pourtant un véritable casse-tête.
«C’est inquiétant, affirme Kathleen Legault, présidente de l’Association montréalaise des directions d’établissement scolaire. Ça pourrait vouloir dire qu’une enseignante qui ne maîtrise pas le français écrit pourrait enseigner à nos enfants pendant cinq ans, alors qu’on fait face à un déclin du français. Pour nous, la qualité du français, ça devrait être une priorité.»
Le recrutement de candidats formés à l’étranger est une «bonne idée», précise-t-elle, à condition qu’on s’assure que «ça ne met pas en péril la qualité de l’enseignement».
«On comprend qu’il faut trouver des solutions pour contrer la pénurie, mais plutôt que de trouver des mesures qui pourraient nuire à la qualité de l’enseignement du français, on pourrait peut-être en faire plus pour garder ceux qui sont déjà dans nos écoles», ajoute Mme Legault.
De son côté, la Fédération québécoise des centres de services scolaires a préféré ne pas commenter cet assouplissement, qui est toujours en analyse. Même si des discussions sont en cours avec Québec pour trouver des solutions à la pénurie d’enseignants, la Fédération n’a pas réclamé un tel changement, a précisé sa porte-parole, Caroline Lemieux.
Une mesure «transitoire»
Au cabinet du ministre de l’Éducation, Jean-François Roberge, on refuse de voir dans cette mesure du nivellement par le bas, puisque «les candidats à la profession devront réussir le test et atteindre les standards».
«C'est une mesure transitoire destinée à combattre la pénurie à court terme et à éviter que les enseignants arrivés de l'étranger se réorientent vers une autre profession pour pouvoir gagner leur vie dès leur arrivée au Québec», a indiqué son attachée de presse, Audrey Noiseux.
Cet assouplissement permettra «à ces enseignants immigrants au Québec d’être reconnus comme légalement qualifiés, de pouvoir prêter main-forte au réseau scolaire québécois, tout en ayant le temps nécessaire pour compléter les cours prescrits, dans un contexte d’immigration qui comprend déjà son lot de défis», a-t-elle ajouté.
«Qualification à rabais»
Le projet de règlement prévoit par ailleurs d’autres assouplissements pour les enseignants formés à l’étranger. Dans certaines conditions, un baccalauréat obtenu dans un autre pays ne sera plus requis pour obtenir le permis probatoire d’enseigner au Québec.
Dans le milieu universitaire, certains déplorent le recours à une «qualification à rabais». «On a besoin d’un enseignant légalement qualifié dans chaque classe? La solution: donner une qualification légale à des personnes qui ne sont pas qualifiées tout court», laisse tomber une source bien au fait du dossier.
Selon des données du ministère de l’Éducation, le réseau scolaire québécois compte environ 2000 enseignants détenant un permis probatoire d’enseigner. En 2019-2020, 360 nouveaux permis avaient été octroyés.