Crier dans le désert
Legault

Larguée par un système de santé détraqué et déshumanisé, incapable comme tant d’autres au Québec d’obtenir les soins en santé mentale dont elle avait urgemment besoin, la jeune Amélie Champagne s’est suicidée.
Les réactions horrifiées ont fusé de toutes parts. Avec raison. Le hasard a fait que le même jour, Le Devoir publiait les résultats d’une enquête fouillée de sa journaliste Stéphanie Vallet sur un autre angle mort du système.
Celui du manque effarant de ressources d’hébergement de qualité pour des milliers de Québécois vivant avec une déficience intellectuelle (DI) et/ou un trouble du spectre de l’autisme (TSA).
Bien que ces personnes soient les plus vulnérables d’entre toutes – les oubliées des oubliées –, à peine quelques réactions timides ont suivi. La situation est pourtant inacceptable.
Dans plusieurs de ces résidences qu’on appelle ressources intermédiaires (RI), de type familial (RTF) ou d’assistance continue (RAC), des cas de négligence, voire parfois de maltraitance sont bien réels.
Il existe bien sûr des ressources qui traitent leurs résidents avec respect. Le vrai scandale est qu’un nombre croissant ne le fait pas. Pourquoi ?
Parce qu’elles sont des ressources privées. Subventionnées à 100 % par des fonds publics, elles appartiennent néanmoins à des entrepreneurs individuels.
Logique marchande
Pour maximiser leurs revenus, pas tous, mais plusieurs, sont tentés de rogner sur les soins donnés aux résidents. L’enquête du Devoir en documente de nombreux cas.
Problèmes de malnutrition. Préposés sous-payés et sans formation. Absence de réadaptation, de loisirs et d’exercice physique.
Plusieurs résidences sont aussi trop petites et/ou non adaptées aux besoins spécifiques de leurs résidents. Le tout chapeauté par un encadrement minimaliste de la part des méga-CIUSSS.
Les CIUSSS, pressés de réduire leurs listes d’attente, « placent » trop souvent ces personnes ultra-vulnérables sans égard à leur dignité et à leurs vrais besoins.
Et que dire de toutes ces familles épuisées, craignant de se plaindre par peur de perdre le peu de services qu’elles ont ? Sans compter les nombreux résidents sous curatelle publique et laissés à eux-mêmes.
Des familles piégées
Le « système », lui, piège les familles naturelles. Si elles veulent vivre avec leur enfant, frère ou sœur adultes, tout en travaillant à l’extérieur, elles auront peu ou pas de répit et un soutien financier encore insuffisant.
Si, par épuisement ou parce que le handicap est trop lourd, elles envisagent un « placement », il risque de se faire dans des conditions indignes d’une société avancée.
En 2018, la CAQ s’était pourtant engagée à imposer la parité financière entre les ressources d’hébergement et les familles voulant vivre avec leur enfant, frère ou sœur adultes handicapés intellectuels. Ce ne fut jamais fait.
Quand il s’agit de prendre soin des plus vulnérables d’entre nous, la logique marchande, à quelques exceptions près, est un échec. Il l’est depuis bien avant la pandémie, la pénurie de main-d’œuvre, etc.
Aux niveaux politique et sociétal, cet échec est avant tout le produit navrant d’une indifférence systémique face aux personnes handicapées intellectuelles. Oui, systémique.
Ailleurs dans le monde civilisé, il existe pourtant des modèles publics de soins à domicile ou d’hébergement nettement plus humanistes.
Pendant ce temps, au Québec, des dizaines de milliers de personnes ayant un handicap intellectuel, leurs familles et les comités d’usagers s’époumonent à crier leur détresse dans le désert.
Seule une volonté politique forte et soutenue pourrait y répondre. À quand ?