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Des stratégies d’ailleurs pour stopper la violence armée à Montréal

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Montréal doit composer avec de nombreuses fusillades qui effritent le sentiment de sécurité des citoyens, comme dans plusieurs grandes villes d’Amérique. Plusieurs experts s’entendent : si la montée de la violence armée se fait aussi sentir chez nos voisins du Sud, les contextes sociaux sont bien différents, d’où l’importance de développer un modèle unique ici. Voici un survol de techniques policières souvent prises en exemple. L’objectif est toujours le même, soit ralentir la violence armée. Mais si certaines stratégies se sont avérées grandement efficaces... d’autres ont plutôt engendré de sérieux problèmes. 

• À lire aussi: Électrochoc aux criminels armés

Embellir un quartier

La théorie de la fenêtre cassée (broken window), très connue dans le milieu de la criminologie, consiste par exemple à réparer rapidement le mobilier urbain endommagé.

« Si dans un quartier, on remarque des signes de vandalisme, des déchets qui s’accumulent, ça envoie aux gens l’impression que la situation n’est pas sous contrôle, ça devient un lieu de guet-apens », explique Maurice Cusson, criminologue et professeur à la retraite de l’Université de Montréal.

Devant une recrudescence de fusillades, le maire de New York, Eric Adams, a d’ailleurs annoncé au début de l’année, la mise en application de ce projet dans des quartiers à risque. Il souhaite diminuer le nombre de délits qui portent atteinte à la qualité de vie des résidents. La Ville vise, par exemple, ceux qui urinent ou consomment de la drogue et de l’alcool dans les espaces publics, de même que ceux qui font du grabuge et du bruit excessif. 

Certains détracteurs du projet craignent par contre que cette stratégie ne cible que les minorités, comme ce fut le cas avec le stop and frisk (voir autre encadré). 

Arrêtés et fouillés

La technique du stop and frisk (arrêter et fouiller), utilisée pour contrer la violence armée à New York a été dénoncée par plusieurs.
Photo Reuters
La technique du stop and frisk (arrêter et fouiller), utilisée pour contrer la violence armée à New York a été dénoncée par plusieurs.

Le stop and frisk, soit arrêter un individu et le fouiller, était une stratégie policière controversée largement utilisée à New York et ailleurs aux États-Unis, qui visait à sortir les armes de la rue. 

« C’est une tactique qu’on peut qualifier de harcèlement. L’objectif était d’arrêter les individus suspects, les fouiller, confisquer leurs armes. Mais les patrouilleurs dans la rue jugeaient à la tête du client qui étaient les suspects, donc on voyait bien souvent des Noirs et des Latinos », expose le criminologue Maurice Cusson. 

Les citoyens ciblés par les policiers se faisaient souvent bousculer, harceler, rapporte-t-il. 

Durant le mandat de Michael R. Bloomberg, comme maire de la Grosse Pomme de 2002 à 2013, les policiers ont abusé de cette stratégie, en interpellant souvent et sans motif valable plus de 5 millions de fois des citoyens. Or, 9 fois sur 10, l’individu fouillé était innocent. 

La technique a depuis été jugée inconstitutionnelle, mais certains l’évoquent maintenant qu’on est aux prises à nouveau avec des fusillades incessantes.

Intervenir à l’hôpital

Le travailleur social Michael Lewis, la travailleuse sociale en traumatologie Illana Perlman­­­ et le directeur médical de la traumatologie et chirurgien en chef à Sunnybrook­­­, le Dr Avery Nathens, font partie du programme BRAVE à Sunnybrook.
Photo d'archives
Le travailleur social Michael Lewis, la travailleuse sociale en traumatologie Illana Perlman­­­ et le directeur médical de la traumatologie et chirurgien en chef à Sunnybrook­­­, le Dr Avery Nathens, font partie du programme BRAVE à Sunnybrook.

Pour éviter que les victimes qui viennent de recevoir une ou des balles dans le corps ripostent en sortant de l’hôpital, des intervenants agissent directement sur la civière. Une stratégie qui s’avère efficace à Toronto à l’hôpital Sunnybrook. Là-bas, le programme BRAVE a vu le jour en 2020, en réponse à la hausse constante de blessés par balles qui devaient obtenir des soins au fil des ans. 

« On sait que ces personnes-là, si elles sont impliquées dans le milieu, leur premier réflexe va être de se venger. Donc si rien n’est fait sur le coup, ils ne parleront pas aux policiers et vont être en mode riposte », a dit René-André Brisebois, coordonnateur professionnel au Centre d’expertise de l’Institut universitaire Jeunes en difficulté. 

À Toronto, ce sont des travailleurs sociaux qui rencontrent les victimes. Si un tel projet devait exister à Montréal, M. Brisebois verrait davantage des criminels repentis entrer en jeu, puisque les jeunes délinquants ont souvent une méfiance envers les acteurs du système. 

Ces derniers seraient en mesure de donner des options, des voies de sortie ou un regard lucide sur les conséquences qui attendent ceux qui poursuivent une vie de délinquant.

« Ce sont des initiatives qui peuvent être porteuses parce que ce sont des individus quand même à risque de commettre des actes de violence », a-t-il ajouté. 

Offrir une solution

Un programme américain propose une solution aux individus les plus à risque d’être la cible de coups de feu. Les délinquants acceptent ainsi de ranger leurs armes, en échange d’un emploi et de services psychologiques et sociaux pour les aider à ne plus recourir à la violence. Les participants du programme sont choisis grâce à un algorithme créé par l’Université de Chicago, permettant de cibler les délinquants les plus susceptibles de tirer des coups de feu ou d’être blessés ou tués. D’autres sont aussi désignés par des travailleurs de rue ou des dirigeants de centres de détention. 

Le programme, d’un an et demi et au coût de 60 000 $ par participant, a donné de bons résultats. Comparés à des délinquants non investis dans le programme, les participants de Readi ont vécu 63 % moins d’arrestations et ont été 19 % moins la cible de fusillades, selon l’étude du Crime Lab de l’Université de Chicago. 

Le programme permettrait d’économiser près de 122 M$ en coûts liés aux crimes par armes à feu dans les rues, selon le média indépendant The Trace, qui s’intéresse à la violence armée. 

Les points chauds

Pour enrayer la violence, les experts suggèrent souvent de cibler les quartiers et les groupes problématiques. C’est ce que plusieurs grandes villes font, dont Seattle, où les fusillades ont augmenté de 42 % en deux ans. Les autorités ont ainsi décidé de concentrer leurs énergies dans les secteurs chauds (hot spots) ainsi que sur les groupes de criminels qui causent du tort. 

Tant les patrouilleurs que les intervenants communautaires et les enquêteurs sont déployés dans ces secteurs chauds.

« Avec la théorie du hot spot, la police doit être visible. Mais on ne peut pas juste utiliser la stratégie de la tolérance zéro. Il faut mélanger la visibilité policière et la collaboration des groupes communautaires », explique la criminologue Maria Mourani, qui assure que cette pratique ne « déplace » pas la criminalité, comme certains le craignaient. 

Des pacificateurs de conflits

À New York, cet été, plusieurs interrupteurs de violence ont marché dans la rue afin de demander aux autorités plus d’actions pour freiner la violence armée.
Photo AFP
À New York, cet été, plusieurs interrupteurs de violence ont marché dans la rue afin de demander aux autorités plus d’actions pour freiner la violence armée.

Aux États-Unis, d’anciens criminels, aujourd’hui repentis, jouent les pacificateurs auprès des groupes qui font régner un climat de violence dans les rues. Ces interrupteurs de violence vont jusqu’à s’asseoir avec des membres de gangs en conflit, afin de discuter, les amener à réfléchir et tenter de trouver la paix. Une stratégie utilisée dans de grandes villes américaines, comme Chicago et New York, à l’initiative de groupes communautaires, qui fait ses preuves. Or, le programme comporte son lot de risques, croit le chercheur-praticien René-André Brisebois. 

« Ce n’est pas n’importe qui qui peut s’improviser médiateur, arriver dans la rue et vouloir parler avec des groupes rivaux qui se tirent dessus. Ça pourrait avoir des conséquences assez graves. Il faut de l’encadrement clinique et de la supervision », a-t-il dit. 

Autre bémol : plusieurs de ces intervenants refusent de collaborer avec les policiers. Or, selon lui, la collaboration entre les acteurs de prévention et les forces de l’ordre est essentielle pour en arriver à des résultats efficaces. 

Il coordonne lui-même un programme de pairs-aidants à Montréal, avec des criminels repentis qui tentent de sensibiliser de jeunes délinquants. Avant toute chose, il s’est assuré que le passé criminel des anciens membres de gang était derrière eux et que ces individus, qui s’étaient déjà fait passer les menottes aux poignets, étaient prêts à travailler avec différents acteurs, y compris la police.  

Traiter la violence

Un membre du programme Cure Violence discute avec un individu à New York. Son équipe d’intervenants est composée de criminels repentis qui, maintenant, luttent pour désamorcer des conflits.
Photo AP Photo
Un membre du programme Cure Violence discute avec un individu à New York. Son équipe d’intervenants est composée de criminels repentis qui, maintenant, luttent pour désamorcer des conflits.

Cure violence est un programme de prévention qui vise à freiner la diffusion de la violence en utilisant des méthodes associées au contrôle des maladies. Il s’agit de cerner et traiter les individus qui risquent le plus de participer à la violence armée ou de la subir, et de changer les normes sociales, en interrompant la propagation de la violence. Le programme vise aussi à donner des outils aux délinquants, afin d’éviter qu’ils redeviennent des vecteurs de contagion de la violence. Plusieurs programmes sont inspirés de Cure Violence, qui tente également d’offrir une formation professionnelle, un emploi et des services. 

« Cessez-le-feu »

CeaseFire à Boston a permis de réduire la violence armée chez les jeunes dans les années 1990.
Capture d'écran, Harvard Kennedy School
CeaseFire à Boston a permis de réduire la violence armée chez les jeunes dans les années 1990.

En réaction à de nombreux meurtres de jeunes à Boston à la fin des années 1990, policiers, criminologues, travailleurs de rue et agents de probation ont collaboré étroitement pour mener l’opération Ceasefire (Cessez-le-feu). L’objectif était de dissuader les jeunes d’avoir recours à des armes à feu. 

Le programme regroupait tous les intervenants policiers et judiciaires, mais faisait aussi appel à la coopération d’intervenants proches de la communauté, comme le pasteur, des travailleurs sociaux et même des membres de gangs. Des experts universitaires, comme des criminologues, étaient aussi mis à contribution. 

La première étape a été une vaste opération de renseignements, qui a permis d’établir d’où venaient les victimes, les suspects, les types d’armes utilisées et même les vendeurs. Un plan d’intervention structuré a ensuite été mis en place, débutant par l’organisation d’une rencontre entre membres de gangs pour leur servir un avertissement : ils devaient accepter un pacte de non-violence, sans quoi les policiers n’hésiteraient pas à les coffrer pour la moindre infraction.

Ont suivi des descentes surprises, des communications directes avec les gangs pour les informer des récents bons coups des policiers, une intensification des patrouilles et des arrestations de tous les membres de gang qui commettaient des infractions, même les plus banales. 

« Boston a ensuite connu une diminution substantielle du nombre de meurtres », résume le criminologue Maurice Cusson, qui aborde la technique Ceasefire dans son récent livre La criminologie appliquée et la sécurité intérieure, qui traite des mesures de lutte contre le crime prises ailleurs, comme aux États-Unis. 

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