La justice, c'est presque du théâtre
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Dans un procès, on est très près du théâtre, comme le démontre le nouveau spectacle Verdict.
Les avocats dont le métier est de plaider savent bien qu’ils « font du théâtre ». Comme ils doivent convaincre un juge ou un jury, ils peaufinent leurs effets de toge devant leur miroir, répètent leurs « meilleures lignes » à l’infini, comme les acteurs répètent leurs répliques les plus cinglantes. Les procureurs les plus renommés résistent mal à la tentation de monter eux-mêmes sur scène.
Jacques Vergès, l’avocat qui avait défendu le boucher de Lyon, Klaus Barbie, et une multitude d’autres prévenus tout aussi indéfendables, se produisit en solo au Théâtre de la Madeleine de Paris devant des salles combles en 2008. Même si je ne suis pas tellement porté sur les affaires de cour, j’y avais passé une soirée inoubliable avec ma femme. Nous nous étions levés spontanément pour ovationner le vieil avocat.
Comme nous nous sommes levés, mardi soir, pour applaudir Marie-Thérèse Fortin et Paul Doucet, les deux protagonistes de Verdict, le spectacle qu’on présente au Gésu et qu’on pourra voir ensuite dans plusieurs villes du Québec.
Avec quelques centaines de spectateurs, je venais d’écouter dans un silence religieux les deux comédiens reprendre presque mot à mot les plaidoyers des avocats Claude-Armand Sheppard (affaire Morgentaler), Anne-France Goldwater (le mariage gai), Jean-François Arteau (la mort de Joyce Echaquan), Jacques Larochelle et Joëlle St-Germain (le procès pour meurtre de Basil Parasiris).
UN PLAIDOYER PITTORESQUE
Plus d’un spectateur avait oublié l’entrée fracassante d’une escouade de policiers armés jusqu’aux dents dans la maison des Parasiris à Brossard, en 2008. La descente avait coûté la vie de l’agent Daniel
Tessier. Par contre, les arguments de Claude-Armand Sheppard pour faire acquitter le docteur Henry Morgentaler semblaient presque frais à la mémoire à la suite de l’annulation récente de l’arrêt Roe v. Wade par la Cour suprême des États-Unis.
Même si Marie-Thérèse Fortin plaide avec humour la cause de Theo Wouters et de Roger Thibault, les premiers époux gais d’Amérique du Nord, c’est difficile d’oublier le plaidoyer pittoresque qu’avait livré à l’époque l’inimitable Anne-France Goldwater. Il faut presque regretter que Maître Goldwater ne fasse pas partie du spectacle.
Luce et Lucie Rozon, les productrices de Verdict, jouent littéralement avec le feu en reprenant le plaidoyer de l’avocat Jean-François Arteau devant la coroner Géhane Kamel, chargée de l’enquête sur la mort de Joyce Echaquan à l’hôpital de Joliette. C’est le moment le plus émouvant du spectacle. Paul Doucet réussit une performance remarquable. Il est si convaincant sur la question controversée du racisme systémique qu’il réussirait peut-être à faire virer capot le premier ministre François Legault, toujours convaincu qu’il n’existe pas de racisme « systémique » au Québec à l’égard des Autochtones.
INDÉFENDABLE, UN BON CHOIX
Au mois d’août, j’avais écrit que TVA était loin de partir en « pôle position » avec sa série Indéfendable. La quotidienne devait à la même heure affronter Stat à Radio-Canada, une autre quotidienne produite par l’équipe aguerrie de Fabienne Larouche, une productrice hors du commun. C’était sans compter sur l’intérêt prodigieux des Québécois pour les histoires judiciaires, comme je l’ai constaté durant le spectacle Verdict.
Non seulement la série juridique Indéfendable tient son bout contre Stat – les deux sont nez à nez avec 1,5 million de fidèles –, mais Indéfendable semble avoir un effet d’entraînement sur le reste de la soirée. TVA enregistre, en effet, ses meilleures cotes d’écoute depuis dix ans, loin devant Radio-Canada.