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Sous-traitance à l’externe en informatique: une dépendance qui empire sous le règne de la CAQ

33% des ressources du gouvernement en informatique sont issues du privé alors qu’il y a près de 1200 postes vacants

La dépendance au privé pour l’informatique a empiré depuis qu’Éric Caire est ministre de la Cybersécurité et du Numérique.
Photo d'archives, Stevens LeBlanc La dépendance au privé pour l’informatique a empiré depuis qu’Éric Caire est ministre de la Cybersécurité et du Numérique.

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2021 aura été l’année de tous les records pour la dépendance de Québec à l’externe en gestion de ses ouvrages informatiques. Quelque 33% des ressources utilisées dans la dernière année étaient des sous-traitants alors que près de 1200 postes demeurent vacants, du jamais-vu.

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Le portrait annuel de la main-d’œuvre en technologie de l’information rendu public par le ministère de la Cybersécurité et du Numérique démontre que malgré des années de récriminations dans l’opposition, le gouvernement Legault ne fait pas mieux que ses prédécesseurs.

Au contraire.

La Coalition Avenir Québec a pris les rênes de l’État en 2018 alors que 2552 ressources externes étaient embauchées en technologies de l’information, soit 28,4% de l’effectif total. Quatre ans plus tard, ce sont près de 1000 ressources externes qui se sont ajoutées, le ratio bondissant à 32,6%.

Et le portrait n’est guère plus reluisant au chapitre des postes vacants, réalité qui force le recours continuel à l’externe. À son entrée en poste, le gouvernement Legault avait devant lui 991 postes en informatique à combler dans l’ensemble de l’appareil gouvernemental, un nombre qui grimpe à 1162 au dernier bilan.

Ces données sont compilées depuis 2015 pour les postes assujettis à la Loi sur la gouvernance et la gestion des ressources informationnelles (LGGRI) qui vise certains organismes et ministères, ce qui exclut notamment le réseau de l’éducation et celui de la santé et des services sociaux (CISSS et CIUSSS). Publié discrètement en avril dernier, le rapport peu reluisant était jusqu’ici passé sous le radar.

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De shérif à ministre

Pourtant, dans l’opposition, l’actuel ministre de la Cybersécurité et du Numérique Éric Caire a souvent été critique des gouvernements précédents.

«Il y a des consultants qui sont là depuis tellement longtemps qu’on les confond avec des fonctionnaires», rechignait-il à l’endroit du gouvernement libéral durant le dernier mandat de Philippe Couillard.

Le «Shérif Caire», comme on l’avait surnommé à l’époque, proposait même en 2015, dans un pacte de 36 mesures pour «mettre fin au déficit chronique de performance», de remplacer 30% des consultants privés en informatique par des ressources internes.

Mais force est d’admettre que la situation, plutôt que de s’améliorer sous son règne, a empiré. En fait, le nombre de sous-traitants externes et leur ratio versus des employés de l’État interne ne cessent d’augmenter depuis l’entrée en poste du gouvernement caquiste en 2018.

À la Régie du bâtiment du Québec (RBQ), ce sont même près de 60% des postes en TI qui sont occupés par des sous-traitants. Et dans des organismes clés de l’appareil gouvernemental comme la SAAQ et les ministères de la Justice et des Transports, le pourcentage de ressources externes oscille entre 45% et 50%.

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Les mains dans le plat de bonbons

Le Syndicat de la fonction publique et parapublique du Québec (SFPQ) dénonce vivement ce qu’il qualifie «d’aveu d’échec» pour le gouvernement, mais encore plus pour le ministre Caire.

«L’Halloween s’en vient, mais là, on n’est plus juste à la porte pour donner des bonbons aux sous-traitants privés, on leur donne la clé en leur disant de venir se servir direct en dedans. Le problème, c’est qu’ils ramassent les bonbons, mais ils sont aussi en train de partir avec les meubles et tout ce qu’il y a dans la maison du gouvernement», image le président du syndicat Christian Daigle.

Ce dernier soutient que si Québec avait amélioré ses conditions de travail à l’interne, la facture ne serait aujourd’hui pas aussi salée pour les contribuables. (Voir autre texte ci-bas.) Il invite donc la CAQ à prendre ses responsabilités et à finalement prendre les mesures pour redresser la barre.

«N’importe quel gouvernement qui prend le pouvoir demain matin a la possibilité de changer les choses en un an à notre avis, mais ont-ils la volonté de le faire? C’est ça la question qu’il faut poser», insiste le syndicat, ajoutant que le gouvernement n’a plus le luxe de mettre sur le dos de ses prédécesseurs les largesses du bilan.

«Ils ont été quatre ans au pouvoir, ils n’ont plus ces excuses-là.»

En fin de soirée mardi, ni le ministère de la Cybersécurité et du Numérique ni le cabinet du ministre Éric Caire n’avaient répondu aux questions du Journal.

Évolution des effectifs en TI dans les organismes et ministères assujettis à la Loi sur la gouvernance et la gestion des ressources informationnelles (LGGRI)

2015

  • Internes: 5889 (66,4%)
  • Externes: 2976 (33,6%)
  • Postes vacants: 486

2016

  • Internes: 5973 (71,4%)
  • Externes: 2388 (28,6%)
  • Postes vacants: 707

2017

  • Internes: 6185 (72,9%)
  • Externes: 2297 (27,1%)
  • Postes vacants: 876

2018

  • Internes: 6427 (71,6%)
  • Externes: 2552 (28,4%)
  • Postes vacants: 991

2019

  • Internes: 6749 (70,8%)
  • Externes: 2787 (29,2%)
  • Postes vacants: 842

2020

  • Internes: 6967 (69,9%)
  • Externes: 3141 (31,1%)
  • Postes vacants: 971

2021

  • Internes: 7134 (67,4%)
  • Externes: 3455 (32,6%)
  • Postes vacants: 1162

Sources: Ministère de la Cybersécurité et du Numérique et Secrétariat du Conseil du Trésor 

Catégories d’emplois en TI au gouvernement du Québec où la proportion d’externes est la plus élevée 

Programmation

66,2%

Soutien de projet

62,5%

Gestion de projet

56,7%

Architecture d’infrastructure technologique

54,8%

Architecture de sécurité 

53,2%

Architecture de processus 

52%

Source: Ministère de la Cybersécurité et du Numérique

Les conditions de travail, source du problème selon le syndicat

Le Syndicat de la fonction publique et parapublique du Québec (SFPQ) continue de marteler le même message en lien avec la dépendance au privé en informatique: tant que les conditions de travail dans la fonction publique ne s’amélioreront pas, le Québec sera toujours à la merci du privé.

«La dernière négociation, comme les autres avant, n’a pas permis de rattraper l’écart avec le privé, ou même de faire un semblant de rattrapage», déplore le président du SFPQ, Christian Daigle.

Et pendant ce temps, des talents quittent, les postes vacants s’accumulent et le gouvernement s’enlise dans la dépendance au privé.

«Il y en a énormément de départs et ça continue. Les gens qui ne sont pas embauchés directement dans le privé viennent prendre de l’expérience au public et après vont se dénicher un emploi ailleurs», précise M. Daigle.

Combler le retard

Pourtant, les emplois intéressants en informatique au gouvernement sont nombreux, insiste le SPFQ. Et la possibilité de se déplacer entre les ministères pour varier les défis et les opportunités est un réel argument pour le gouvernement, malheureusement plombé par les conditions en deçà de celle du privé.

«Il y a tellement de systèmes différents, de défis à relever, de postes différents, quelqu’un qui cherche un défi, c’est super la fonction publique et il faut le dire. Le problème, c’est que les conditions ne sont pas correctement attribuées», expose Christian Daigle, ajoutant comprendre cette décision de quitter des professionnels de l’informatique.

«On ne peut pas leur en vouloir, ils vont choisir quelque chose qui va leur rapporter plus et qui va leur permettre de mieux vivre.»

Et le contexte de pénurie de main-d’œuvre ne sera rien pour aider le gouvernement dans sa quête de réduire la dépendance aux sous-traitants. «Il aurait fallu bouger il y a quelques années parce que là, ça va être difficile de débaucher des gens du privé», observe le SFPQ.

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