Santé mentale et criminalité: misons sur la prévention
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À la lumière des récents événements tragiques ayant eu lieu près de chez nous – pensons entre autres au drame familial survenu à Laval en début de semaine dernière – et de la violence dont nous sommes tous témoins à travers les médias, nous ne pouvons faire autrement que de nous demander, en tant que collectivité, comment éviter de nouvelles situations similaires
En raison de nos rôles respectifs, nous sommes souvent amenés à réagir à de tels événements de violence impliquant des personnes vivant avec un trouble mental sévère, et à offrir des explications sur leurs causes, notamment dans des entrevues. Nos interventions des derniers mois nous ont naturellement conduits à accélérer nos réflexions vers des pistes d’amélioration possibles.
Précisons d’entrée de jeu que la majorité des personnes atteintes d’une maladie mentale ne commettra jamais d’acte violent. Ce sont souvent d’autres facteurs allant bien au-delà des symptômes de la maladie qui expliquent ledit geste, comme la stigmatisation sociale vécue par ces personnes.
- Écoutez l'entrevue avec dre. Anne Crocker à l’émission de Philippe-Vincent Foisy diffusée chaque jour en direct 6 h 50 via QUB radio :
Soutenir les proches
Leurs proches composent eux aussi avec cette stigmatisation qui peut entraîner une réticence à demander du soutien, lorsque ce soutien existe. Les membres de la famille et de l’entourage vivent un énorme fardeau, devant assumer de multiples rôles face à un individu qui commence à développer des comportements perturbateurs ou inquiétants, tout en étant eux-mêmes les premières victimes, qu’il s’agisse de leur propre santé mentale ou de leur intégrité physique.
Pourtant, les proches, rarement visibles, doivent être reconnus comme partenaires de choix, car bon nombre de personnes atteintes d’une maladie mentale reçoivent des soins en communauté et non en milieu hospitalier. Alors qu’il paraît nécessaire de rechercher des solutions à même le milieu de vie de ces personnes, augmenter notre capacité à soutenir les proches en augmentant le nombre de ressources qui leur sont offertes pourrait éviter d’atteindre un point de rupture.
Évaluer le risque de violence d’une personne atteinte d’un trouble mental est une démarche primordiale à entreprendre dans une approche de prévention de la violence, et ce, afin de formuler des recommandations de soins et de dispositions légales, si nécessaire.
Le risque zéro n’existe pas, mais celui-ci est grandement amoindri lorsque nous agissons en mode « prévention » plutôt que « réaction ». Il semble donc raisonnable de revendiquer une participation active et collaborative de tous les partenaires du réseau à la prévention de la violence, ce qui exige une réorganisation des ressources pour partager les connaissances en psychiatrie légale en amont, avant qu’une infraction soit commise.
Intervention avant le passage à l’acte
En fait, nos services n’ont tendance à se mobiliser qu’une fois le comportement d’agression judiciarisé ; un programme d’interventions intégrées de type suivi intensif spécialisé doit être proposé aux personnes présentant des troubles mentaux sévères et un risque de passage à l’acte dès le premier contact avec des soins de santé mentale, en plus de développer des corridors accélérés de services. Il faut également se questionner sur la façon dont ces services sont offerts : dirigeons-nous les individus vers les services dont ils ont réellement besoin ?
Ces pistes d’amélioration représentent peut-être une partie de la réponse au problème de violence auquel fait face de manière plus générale notre société. Alors que les écrits scientifiques nous orientent vers ces solutions, il faut emboîter le pas et mettre en pratique nos connaissances afin d’ultimement bonifier nos manières de faire. Nous devons être acteurs de changement, de manière collective et proactive, pour un plus grand soutien aux proches et pour un changement durable vers la prévention au-delà du contrôle social et de la répression.
Dr Mathieu Dufour, psychiatre légiste et chef du département de psychiatrie à l’Institut national de psychiatrie légale Philippe-Pinel
Anne Crocker, Ph. D., professeure titulaire au Département de psychiatrie et d’addictologie et à l’École de criminologie de l’Université de Montréal,
et directrice de la recherche et de l’enseignement universitaire à l’Institut national de psychiatrie légale Philippe-Pinel