Impossible de savoir où sont les logements subventionnés
Ottawa a prêté un milliard $ pour des projets de loyers abordables tenus secrets
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Ottawa refuse de dire à qui il a prêté un milliard $ de fonds publics pour créer des logements dits « abordables » au Québec, ce qui rend impossible le fait de savoir s’ils ont bel et bien été construits.
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La Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL) dit avoir depuis 2017 financé 38 projets un peu partout dans la province, grâce à des prêts à des taux très avantageux.
En pleine crise du logement, la SCHL juge que son programme baptisé Initiative de financement de la construction de logements locatifs (IFCLL) aidera plus de familles à se loger à prix raisonnable.
Dans une réponse à une demande d’accès à l’information faite par notre Bureau d’enquête, la SCHL n’a pas voulu dévoiler le nom, ni le lieu, ni le nombre de logements de 32 des 38 projets de l’IFCLL au Québec.
Ceux-ci totalisent des prêts avoisinant le milliard de dollars de fonds publics.
- Écoutez le segment judiciaire avec Félix Séguin diffusé chaque jour en direct 8 h 35 via QUB radio :
« Confidentiel »
La SCHL se défend en disant « qu’ultimement tous les projets seront rendus publics », mais qu’elle souhaite protéger « la confidentialité des promoteurs ».
Le promoteur Max Mahi, qui a reçu 28 M$ pour la construction de 81 logements, dont 29 abordables, à Vaudreuil, s’étonne que le fédéral ne veuille pas dévoiler l’existence de son projet. (voir autre texte plus bas )
« C’est avec l’argent des contribuables, je ne comprends pas leur politique », dit-il.
Au Québec, les hypothèques sont de nature publique. Nous avons ainsi pu trouver le prêt de la SCHL au registre foncier.
« Les renseignements concernant un projet spécifique ne peuvent être rendus publics tant que nous n’avons pas signé une entente et qu’une annonce publique n’a pas été faite », affirme l’organisme fédéral.
Dans sa liste, Ottawa a pourtant caviardé un projet qui avait fait l’objet d’une annonce avec deux ministres du gouvernement Trudeau et qui est déjà en construction, soit Haleco, dans le Vieux-Montréal.
Ce projet de 327 logements, dont 77 abordables, a bénéficié du plus important prêt au Québec, soit 135 M$.
Il est piloté par le bras immobilier de la Caisse de dépôt et placement du Québec, Ivanhoé Cambridge.
Secret jusqu’à hier
Hier, après que notre Bureau d’enquête eut posé des questions sur le projet, la SCHL a plaidé une « erreur » de caviardage.
« [Haleco] aurait dû apparaître sur votre liste, mais n’était malheureusement pas présent », a indiqué la porte-parole Claudie Chabot.
Selon la SCHL, 19 349 logements sont en construction au Canada grâce aux prêts de l’IFCLL, mais il est impossible de contre-vérifier ce chiffre.
Lundi, notre Bureau d’enquête révélait des failles dans le bilan en habitation de la mairesse de Montréal, Valérie Plante. Nous avons notamment trouvé, dans le décompte de la Ville, des centaines de logements qui n’avaient pas été réalisés.
Un promoteur surpris du manque de transparence
Le président-directeur général de MB Groupe et Associés, Max Mahi, se dit très surpris qu’Ottawa ne veuille pas informer la population de l’existence de son projet.
Le promoteur affirme n’avoir jamais demandé à demeurer confidentiel et a même organisé une conférence de presse pour lui-même rendre son projet public.
« J’ai demandé au maire, au député fédéral, à la députée provinciale d’être là et ils n’étaient pas là, indique-t-il. Ça ne les intéresse pas d’être là s’il n’y a pas d’intérêt politique. »
Pourtant, « ils sont toujours en train de parler de politique de logements abordables », rappelle M. Mahi.
Son entreprise s’est fait prêter 28 M$ par Ottawa pour un projet de 81 logements à Vaudreuil, qui verra le jour l’été prochain.
En échange d’un taux d’intérêt très avantageux, il s’engage à louer 29 de ses logements à prix « abordable ».
Bien trop cher
Mais Max Mahi juge que les critères d’abordabilité de la SCHL sont bien trop permissifs.
« Ça n’a aucun sens. Ça donne presque 2400-2500 $ par mois, ce n’est plus abordable, tranche-t-il. Les gens en même temps doivent payer leurs taxes, leurs impôts, leur voiture pour se déplacer, leur nourriture... »
Il croit qu’il n’aurait pas été capable de louer ses appartements à ce prix.
« C’est impossible. À Vaudreuil, le plus que le marché peut supporter pour un 5 1⁄2 de haut standing, c’est 1675 $ par mois », soutient M. Mahi.
Dans son projet nommé Racine Vaudreuil, il louera les logements beaucoup moins cher. Ses 3 1⁄2 abordables seront à 993 $ par mois et ses 4 1⁄2, à 1194 $ par mois, dit-il.
« Je suis venu ici avec deux valises, je sais c’est quoi être dans la classe moyenne », affirme ce Marocain d’origine.
Rapport de la vérificatrice
Ses propos rejoignent les commentaires de la vérificatrice générale fédérale, Karen Hogan.
Celle-ci soulignait, dans un rapport publié à la mi-novembre, que les logements abordables de la SCHL étaient « souvent inabordables pour bien des ménages à faible revenu et des personnes faisant partie de groupes vulnérables ».
« ABORDABLE » À 2682 $
Selon la définition de la SCHL, un logement est abordable si son loyer de base correspond à moins de 30 % du revenu annuel médian de la région où il se trouve. Le logement doit comprendre une salle de bain et une cuisine, mais il n’y a « pas d’exigences particulières » de taille.
LES LOYERS MAXIMUMS ABORDABLES DE DIFFÉRENTES VILLES DU QUÉBEC :
Basé sur les données de revenus de 2020
Gatineau : 2682 $
Québec : 2621 $
Montréal : 2405 $
Sherbrooke : 2261 $
Trois-Rivières : 2200 $