Le serment au roi n’est plus, mais la monarchie est là pour de bon
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Le serment au roi obligatoire vient d’être aboli pour les députés de l’Assemblée nationale. Ceux qui y voient un premier pas vers l’abolition de la monarchie risquent toutefois d’être déçus tellement la couronne britannique est au cœur de l’identité canadienne.
Cet attachement à la monarchie remonte à l’indépendance américaine. En 1783, plusieurs colons qui habitaient les États-Unis rejetaient la nouvelle république. Ces loyalistes, quelque 40 000 sujets de Sa Majesté, sont partis vers les colonies plus au nord. Ce noyau constitue la base de ce qui deviendra le Canada anglais, c’est-à-dire la partie anglophone et majoritaire du Canada moderne.
Malgré la perte des treize colonies américaines, l’Empire britannique est resté pendant longtemps le plus puissant du monde. Au Canada anglais, cela était une source de fierté. Le dominion n’était pas une grande puissance, mais appartenait néanmoins à cet empire sur lequel le soleil ne se couchait jamais.
Symbole de supériorité
Ce sentiment s’accompagnait aussi de la mystique monarchique. À l’exception du règne de Cromwell, les Anglais ont toujours vécu sous la royauté. La couronne était un symbole national fort qui illustrait la grandeur de la Grande-Bretagne et sa supériorité sur les autres pays. Cet état d’esprit existait aussi au Canada anglais.
Après 1945, le Royaume-Uni a été dépassé par la puissance américaine. L’Empire britannique s’est peu à peu disloqué. Dans le ROC (« rest of Canada »), cette situation a entraîné une diminution – mais pas une disparition – de l’attachement à la couronne.
Les Québécois, eux, demeuraient hostiles à la monarchie, symbole de la conquête anglaise. On se souviendra notamment du fameux « samedi de la matraque », le 10 octobre 1964 à Québec. Alors qu’Elizabeth II visitait la ville, une manifestation contre sa présence avait tourné à l’émeute.
Cette opposition se manifestait alors que le Canada tentait de rapatrier sa constitution. Jusqu’en 1982, seul le parlement de Westminster avait le pouvoir de modifier notre constitution. Il s’agissait donc de récupérer cette prérogative.
Pirouette antimonarchique
Pierre Trudeau, le père du rapatriement de 1982, était un antimonarchiste. Rappelons à ce sujet sa fameuse pirouette dans le dos de la reine en 1977, cabriole visant à désacraliser la monarchie.
L’idée de l’abolir lui était passée par la tête. Sauf que sa priorité était de stopper la francisation du Québec grâce au bilinguisme. L’abolition de la monarchie n’était pas au programme, car elle risquait de braquer une partie du Canada anglais.
Le rapatriement s’est fait contre le Québec. Deux réformes constitutionnelles, Meech et Charlottetown, ont ensuite échoué à remédier à cette situation. Le tout a mené au référendum de 1995, remporté de justesse par le « non ».
De crainte d’un nouveau référendum, les fédéraux ont tout fait depuis pour ne pas rouvrir la constitution. Ça a été le cas par exemple lors de l’affaire de la succession au trône. En 2011, les pays du Commonwealth ont convenu de mettre un terme à la règle sexiste suivant laquelle les héritiers masculins au trône avaient préséance sur les héritières.
Au lieu de modifier la constitution comme il aurait dû le faire, le gouvernement fédéral a fait voter une simple loi pour effectuer ce changement. L’affaire a été contestée devant les tribunaux, mais les juges nommés par Ottawa... ont donné raison à Ottawa !
Le gouvernement fédéral s’en est tiré de cette façon, mais une abolition de la monarchie nécessiterait à coup sûr un amendement constitutionnel ayant l’appui de toutes les provinces, incluant le Québec, qui exigerait nécessairement quelque chose en retour. L’histoire nous enseigne que ça ne se produira pas de sitôt.