L’année de la langue
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La renaissance des débats sur la langue française a été un des sujets marquants de 2022 au Québec.
D’abord, sous l’angle de ce déprimant déclin dans son usage chez nous. « Tous les indicateurs sont au rouge », on « court vers le mur », insistait le nouveau ministre de la Langue française, Jean-François Roberge, dans un fameux point de presse où il appela à un « réveil national ».
Ensuite, les difficultés d’apprentissage furent aussi soulevées, notamment chez les futurs enseignants et les cégépiens, entre autres. « Certaines erreurs révèlent une ignorance tellement abyssale du code linguistique qu’on se demande vraiment comment ils sont arrivés jusque-là. » C’est ainsi que Patrick Moreau, enseignant au Collège Ahuntsic en français et en littérature, parlait de ses élèves, dans une des enquêtes du Journal, récemment.
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Exil
Quelle est la cause de ces difficultés ?
Le rapport du Québec à sa langue n’a jamais été aisé. Langue du conquis, elle ne va pas de soi. Surtout dans un continent en quasi-totalité anglophone. Le sociologue Fernand Dumont a déjà parlé d’une « langue en exil ».
Parmi les idiomes européens transplantés dans le « Nouveau Monde », il est le seul qui a encore la majorité de ses locuteurs sur le vieux continent.
Dans le passé, plusieurs lettrés québécois ont fustigé le peuple d’ici parce qu’il maîtrisait mal le français.
Hier, à Qub radio, un chroniqueur rappelait un texte du grand journaliste Jules Fournier (il a entre autres donné son nom au prix remis annuellement par l’État québécois à un journaliste « en reconnaissance de la qualité de la langue de ses textes »).
Dans « La langue française au Canada » (dans son recueil Mon encrier, 1922), Fournier a des mots extrêmement durs envers ses compatriotes et leurs carences linguistiques : « nonchalance », « gaucherie », « relâchement » ; « Le grand mal canadien, c’est le mal de l’à peu près ».
Se fustiger, cultiver la haine de soi sont des réflexes encore trop présents et qui occultent les obstacles politiques auxquels la langue française fait face au Québec.
Toutefois, il est vrai qu’arriver à la bien maîtriser est souvent, chez nous, une véritable conquête. C’est ce que j’ai envie de retenir de ma lecture de Fournier : à force de volonté, on peut surmonter les obstacles et s’approprier le français.
Numérique
Aujourd’hui, le numérique pose toutefois de nouveaux défis en la matière. De deux manières, il mine son apprentissage.
D’abord, par l’avalanche de contenus anglophones (musique et œuvres audiovisuelles) aisément disponibles sur nombre de plateformes.
Une sorte de dumping culturel fait que les francophones de toutes les générations, mais surtout les jeunes, fréquentent moins les œuvres dans leur langue ; laquelle risque de leur devenir étrangère.
Ensuite, parce que le numérique mine la civilisation de l’écrit. Qui avait bien des vertus, dont celui de faire voir les logiques et ressorts de la langue, structures de la pensée.
Pour enseigner le français, peut-être faudra-t-il que nos écoles se « débranchent », au moins périodiquement. Parions que 2023 nous donnera l’occasion d’en débattre. Il faut le souhaiter.